Par Roger CADIERGUES le 04 Juillet 2019
Dans les précédentes lettres, partant de la surprise de constater certains découragements des hommes et des femmes de nos métiers, j'ai cherché à mieux en cerner les origines. Pour y parvenir il faut que notre bilan soit complet.
Le moins qu'on puisse dire est que votre démarche est pour le moins pessimiste ?
Pour éclairer cette situation prenez l'exemple de la médecine : toute décision sérieuse commence par un diagnostic. Prenez donc les lettres précédentes comme un début de diagnostic, et essayons d'en tirer les conséquences. Pour cela poursuivons nos examens, car les précédents ne sont pas suffisants.
Qu'entendez-vous par là ?
Que, pour des raisons diverses les intervenants actuels ne font pas assez attention à la mise au point des documents accompagnant la construction. Et en particulier qu'ils ne font pas suffisamment attention à leur entretien.
Qu'est-ce à dire ?
Pour le monter je vais prendre deux exemples. Le premier concerne les plans des bâtiments et leurs accompagnements. Entre les travaux initiaux de l'architecte et le bâtiment final (souvent de très nombreux mois) il y a souvent des adaptations, sinon des modifications, parfois importantes. Aujourd'hui, quand un expert judiciaire - intervenant sur un bâtiment existant - tente de reconstituer le puzzle, il n'y arrive généralement pas : tel ou tel plan, ou tel ou tel document (parfois crucial) manque. Et pourtant de nombreux efforts ont été tentés, dans tous les pays du monde, en vue d'unifier les descriptions, en particulier graphiques. Le Plan Construction en France, par exemple, a essayé de stimuler le recours aux "IFC", les classes objet du bâtiment (Industry Foundation Classes) auxquels se sont raccrochés tous les éditeurs de conception assistée (Autodesk, Nemetschek, Graphisoft), mais ces propositions de l'Alliance Internationale pour l'Interopérabilité n'ont pas eu un effet suffisant, même sur le plan graphique. De plus, même lorsque les règles ainsi définies sont appliquées à la conception, il est fréquent qu'au cours de la vie du chantier (de nombreux mois) les documents ne soient pas régulièrement mis à jour par suite de la relative lourdeur des exigences, et de l'informatique graphique d'accompagnement.
N'est-ce pas simplement, un problème informatique ?
Non, car - comme nous allons le voir - cet exemple de maque de documents, surtout entretenus, va très au-delà des problèmes informatiques. Que les documents soient "dématérialisés (informatisés, et éventuellement transmis par intercommunications), ou qu'ils ne soient pas dématérialisés, le résultat est quasiment le même. Pour le montrer, je vais en prendre un autre exemple.
Quel est-il ?
Au cours des années 70, à une époque où le PC n'était pas encore né, la seule solution matérielle (dans nos métiers) était de faire appel à des mini-ordinateurs. Malheureusement le coût était un peu trop élevé pour certaines de nos applications. Nous avons bien pu implanter une quinzaine de systèmes de ce type pour la gestion d'entreprises moyennes, mais il n'était guère possible économiquement de les utiliser pour les calculs techniques. La seule solution nous restant fut la mise en place d'un service calcul, recevant les données de l'entreprise, le service calculant les plans d'exécution.
Vous retombez, là encore, sur un problème informatique ?
Absolument pas, car vous allez voir qu'il s'agit d'un document papier. Dans
le cadre de ce service calcul j'ai négocié avec les Assurances
un contrat garantissant financièrement le travail de ce service. Etant
donné le rapport considérable entre le risque (le coût final
des installations) et le prix (beaucoup plus faible) du calcul, la négociation
a été difficile. D'autant que le risque était nouveau pour
les Assurances. En fait, le résultat fut le suivant : sur l'ensemble
de plus de 2 millions de locaux chauffés ou climatisés dans le
monde, le bénéfice de l'assurance a été nettement
positif. Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous livre ces explications.
En voici les raisons.
J'ai exigé qu'au reçu du dossier de l'entreprise demandant le
calcul d'exécution, ce dossier soit accompagné d'un descriptif
technique précis (en fait les coefficients K) des parois du bâtiment
concerné, ce descriptif devant être daté et signé.
Sur plus de 2 millions de locaux chauffés ou climatisés nous n'avons
connu que quatre rares "sinistres", d'ailleurs très limités
:
- deux dus à des erreurs de saisie, qui ont été remboursés
à l'entreprise par l'Assurance (remplacement de quelques radiateurs),
- et deux autres pour lesquels j'ai pu facilement démontrer à
l'expert que les parois n'étaient pas conformes au descriptif.
Dans un cas par exemple, de chauffage par dalle pleine, le rez-de-chaussée
étant manifestement insuffisamment chauffé, il m'a suffit d'emmener
l'expert au sous-sol pour lui montrer que l'isolant bas avait servi de fond
de coffrage, et qu'il s'était affaissé, entraînant une perte
manifeste d'isolation.
Depuis lors j'ai toujours insisté pour que tout projet de chauffage soit
accompagné d'un bordereau de coefficients K (aujourd'hui U et Y), daté
et signé.
Dans la prochaine lettre, je tirerai la morale des examens que nous venons de faire depuis début Novembre.
Roger CADIERGUES