Par Roger CADIERGUES le 04 Juillet 2019
Il est assez ahurissant de constater que certaines données sont devenues en France des vérités qui vont de soi, des vérités que chacun répète sans les remettre en cause. Ce sont les nombres magiques - ou les mots magiques. Ils foisonnent un peu dans tous les discours.
De quels nombres magiques voulez-vous parler ?
D'abord, et en tête, le fameux "facteur quatre". Résultant d'un mélange inconscient des décisions communautaires et des conséquences que la France devrait en tirer, il s'agit au départ d'un objectif de réduction du dégagement des gaz à effet de serre dans la Communauté Européenne. Il est, dès lors, logique qu'au niveau de chaque pays de la Communauté cela se traduise par une exigence identique, le ratio le plus normal étant le dégagement de gaz à effet de serre par habitant vers 2050. Comme je l'ai indiqué dans la lettre du 12 Février, ainsi que l'exprime Jean Syrota : "pourquoi un Français devrait-il émettre en 2050 deux fois moins de CO2 qu'un Allemand et dépenser énormément d'argent pour y parvenir, sous le prétexte qu'il émettait déjà deux fois moins de CO2 en 1980 grâce aux programmes hydrauliques et nucléaires dans lesquels il avait investi antérieurement ". Ce qui conduit à dire que nous devrions diviser par 2,5, d'ici 2050, nos émissions de gaz à effet de serre… et non pas par quatre. Etant donné le rôle des coûts dans toutes ces opérations, la nuance est fondamentale. D'ailleurs la division par 2,5 est loin d'être facile, et il se pourrait bien que ce coefficient lui-même de 2,5, tout autant que celui de 4, deviendra un nombre magique réservé aux discours plus qu'aux réalités.
Y a-t-il d'autres nombres magiques ?
L'autre nombre que je vois, sans cesse, répéter dans les discours
est la consommation de 50 kilowattheures par mètre carré et par
an dans les bâtiments neufs. Trois remarques sont importantes :
- à la base la spécification repose sur une méthode de
calcul des consommations très conventionnelle (Th CE),
- sur une expression en énergie primaire, un mode qui me semble assez
inadéquat,
- et finalement, selon les textes ou les auteurs, des valeurs variées
de consommations primaires (50, 30 ou 0), avec des délais multiples (2012,
2015 ou 2020), ou dans des domaines d'application différents (logement,
tertiaire, etc, …). De plus, dans bien des discours on ne vous précise
pas les consommations dont il s'agit.
Que voulez-vous dire ?
Pour m'expliquer je vais prendre un exemple, celui du standard allemand Passivhaus, ce standard visant à limiter les consommations des habitations à 15 kWh/m² an d'énergie primaire. En France certains sont pleins d'admiration pour cet objectif, et essaient de le copier, mais ils oublient généralement deux éléments essentiels. Le premier est que le mode de calcul des consommations est propre à l'organisation, et s'avère - à mon sens -assez utopique. Le deuxième est qu'il s'agit des "déperditions", les autres usages étant, eux, de l'ordre de 120 kWh/m² an d'énergie primaire. Ce qui fait que la consommation primaire limite est de 132, et non pas de 12. Lorsque je vois certains projets français 2012 ou 2020 (énergie positive seule autorisée) je crains très fortement qu'il n'y ait confusion entre consommation de chauffage et consommation globale. Ceci dit, il n'y a pas que les nombres qui soient "magiques", il y a aussi les mots.
Quels sont donc ces mots magiques ?
Le plus fréquent est sûrement le mot "solaire". Je lisais récemment une information selon laquelle la recherche française en solaire ne "débouchait pas". Il faut beaucoup d'ignorance pour ne pas savoir que, rien qu'en France, les recherches solaires datent de plus de deux siècles. Avec des déboires périodiques liés à des ambitions économiques qui n'ont jamais pu être tenues. C'est sous-estimer le travail déjà effectué que de croire qu'il suffira d'un coup de baguette magique. Ceci dit, dans certains milieux, il suffit de dire que notre avenir sera solaire pour qu'une telle certitude implique que tous les problèmes seront résolus.
D'autres mots magiques ?
Le plus fréquent est celui d'"énergie positive". Pour ce faire certains projets visent à ce qu'en 2012 ou 2020 nous atteignions le niveau "zéro consommation d'énergie primaire". Avec, en fait et la plupart du temps, le recours systématique à la production localisée d'énergie, et en particulier d'électricité. La moindre étude sérieuse sur ce sujet (avec des bilans corrects) prouve que ce n'est pas forcément la bonne solution. Tous les pays qui ont fait le bilan des puissances à mettre en jeu, ainsi que les bilans carbone ou financiers correspondant, ont abouti à son rejet comme solution de base dans l'utilisation des énergies renouvelables. Nous en verrons, ultérieurement, des exemples.
Roger CADIERGUES