Humeur virale – Humeur sur nous-mêmes

Par Bernard SESOLIS, expert Energie Environnement le 26 Mars 2020



Impossible d’échapper à l’actualité. Entre celui qui ne veut pas en parler pour faire preuve d’originalité et celui qui en parle et qui passe pour un mouton de Panurge, personnellement, je préfère me ranger dans le troupeau des ovins.

Pourquoi diable parler de ce sujet ici aussi ? Pourquoi prendre le risque de vous lasser en répétant ce qu’on entend des dizaines de fois par jour depuis maintenant des semaines ? Pourquoi s’exposer à devenir complètement obsolète à cause du décalage entre le temps de l’écriture et celui de la lecture avec cet épisode qui ne cesse d’évoluer chaque heure. Des précautions oratoires du genre « à ce stade », ou bien « au moment où je vous parle »… pourraient être avancées histoire d’assurer mes arrières.

Pourtant, il paraît intéressant et même pas audacieux de se pencher déjà sur ce que révèle cette pandémie. Et, à travers cet évènement, de s’interroger sur nous-mêmes.


Coronavirus   –   Humeur virale de Sésolis


Mondialisation et circulations en tous genres

Depuis plus de 20 ans, Internet a permis de mondialiser les communications. Tout s’est emballé. D’abord, la finance qui déjà optimisait grâce aux paradis fiscaux nichés aux quatre coins de la planète, puis l’économie, puis la culture. 
Les moyens de communiquer à distance n’ont pas freiné l’extension des transports. Ceux des marchandises se sont développés avec l’hyper spécialisation par pays et surtout les délocalisations vers la main-d’œuvre à très bas prix. Le dumping social a précarisé les moins favorisés des pays développés et fait apparaître des classes moyennes dans les pays en forte croissance, particulièrement en Asie du sud-est. Le tourisme s’est massifié d’une manière inédite. Dans les pays développés, la mobilité s’est encore accrue (tourisme, éloignements des lieux de travail).

Ainsi, on constate une augmentation astronomique de la circulation de l’information mais également de celle des hommes et des marchandises. 
Au point que les transports pèsent 24% des émissions planétaires de gaz à effet de serre (GES) et un peu plus chez les gros émetteurs : 31% en Chine, 35% aux USA,  28% en Europe, 29% en France (AIE, 2017).

Cependant, la course frénétique vers la croissance et la généralisation du modèle néo-libéral de l’économie ont connu quelques soubresauts. Trois évènements ont provoqué à leur époque respective des accidents de parcours (2) et une baisse des émissions de GES :
- Le 2ème choc pétrolier de 1979
- L’effondrement de l’URSS en 1990
- La crise des sub-primes en 2008.

Ces crises étaient d’ordres politique ou financier. Elles n’ont eu que peu d’effets sur la suite.

Les leçons tirées n’ont pas été appliquées. Le pétrole est encore roi. L’URSS est devenue la Russie avec une nouvelle bureaucratie encore plus concentrée que l’ancienne et le « capitalisme » a gagné contre le « communisme ». Les banques continuent leurs pratiques avec autant d’opacités que de libertés.


Echanges « sanitaires » mondialisés

Ce n’est pas la première fois qu’une pandémie affecte la planète. Mais indéniablement, le rythme d’apparition de tels évènements s’accélère.

Depuis 1940, des centaines d’agents pathogènes ont été observés là où ils n’existaient pas habituellement.

C’est le cas du VIH d’Ebola en Afrique du Sud, de Zika en Amériques, du SRAS, du H5N1 ... L’origine de ces vecteurs infectieux est majoritairement animale, soit sauvage (2 fois sur 3), soit d’élevage. La faune sauvage, comme tout animal dont l’homme, vit avec de multiples microbes qui sont anodins pour elle.

Le vrai problème est que les animaux sauvages voient leurs habitats détruits, leurs territoires réduits à cause de notre frénésie à déforester, à urbaniser et à  industrialiser. Sonia Shah, journaliste spécialisée sur les pandémies, explique comment les actes contre la biodiversité et l’addiction à la croissance engendrent, soit une augmentation spectaculaire des contacts entre certains animaux sauvages et les humains, soit des conditions d’élevage intensifs propices à l’apparition d’agents pathogènes, à leurs mutations et à leurs propagations (1).

Il faut ajouter que le changement climatique, qui est une des conséquences de nos actes, amplifie les phénomènes de pandémies par la modification locale de la faune et de la flore.

Vision apocalyptique ? Malheureusement pas ! Il faut se référer aux faits et déplorer la dégradation rapide de la biodiversité depuis le début de ce siècle.


Equation du 1er degré : pandémie = crise économique mondiale

Ce qu’on vit en ce moment est très différent des évènements de 1979, 1990 ou 2008. Cette crise sanitaire nous touche d’abord physiquement et directement. Elle se caractérise à la fois par sa rapidité de propagation liée à une mobilité d’un niveau jamais atteint, et par son impact sur les places financières qui spéculent maintenant à l’échelle de la nanoseconde.

Par la nature même de cette crise, le traitement est différent des crises précédentes. Elle engendre le confinement des personnes et provoque une baisse drastique des transports car les individus sont les vecteurs directs de la pandémie. Comment produire si on reste à la maison ? Comment consommer si les rayons alimentaires se vident et si seulement certains commerces de premières nécessités sont ouverts au compte-goutte ?

L’économie est paralysée et la finance s’affole, principalement du fait des incertitudes à court terme, rythme exclusif de la spéculation. Du coup, comme les crises précédentes, elle engendre une baisse de la consommation et de la production. La récession s’installe en Chine, en Europe et aux Etats-Unis … et tout le monde tousse.

Du coup aussi, l’accroissement des émissions de GES cesse et le niveau de pollution des grandes mégapoles s’améliore spectaculairement.



Taux de CO2 en Chine (photos de la NASA (3))


Monoxyde de carbone mesuré par le satellite IASI en Chine (à gauche) et en Italie (à droite). Maya George (LATMOS/CNRS) (3)


Cet épisode montre qu’un virus est plus efficace pour réduire les émissions de GES que les volontés politiques affichées ! Pour des raisons sanitaires, guerrières ou financières, la décision politique est capable de taper vite et fort. Pour des questions cruciales mais moyen ou long terme comme le changement climatique ou la préservation de la biodiversité, ce n’est pas encore ça … Comme l’affirme Stéphane Foucart dans un billet récent (4) : « Le cerveau occidental est ainsi fait qu’il fait bien peu de cas des catastrophes lentes ».

Nous avons entendu une première fois Emmanuel Macron le 12 Mars affirmer que tout serait mis en œuvre pour stopper la pandémie « quoi qu’il en coûte ». Il faut sauver le soldat producteur-consommateur-électeur que nous sommes tous devenus … au mieux (ceux qui ont du travail, peuvent surconsommer et peuvent voter librement). Lundi 16 Mars au soir, Emmanuel Macron déclara la guerre contre le Covid-19. Une mobilisation générale contre l’ennemi invisible, démontrant par-là l’importance du levier politique en cas de nécessité absolue.

Nous sommes directement touchés, maintenant. Ici et tout de suite. L’Europe est devenue l’épicentre de la pandémie. A ce jour (16 Mars), et dans le monde, environ 7000 décès ont été constatés sur 10 semaines. Ce chiffre grimpera inéluctablement tous les jours. J’oserais néanmoins avancer un chiffre pour relativiser, c’est à dire placer cet évènement gravissime sur une échelle du malheur. Songeons un court instant aux 7000 morts quotidiennes sur la planète par le choléra ou l’hépatite dues au manque d’eau potable, et ce, depuis de nombreuses années !

Mais, pour ce qui est de l’ailleurs et plus tard, nous verrons … plus tard. Le pessimisme pousserait à affirmer : « Soyons lucides : ce n’est pas demain que le climat et la biodiversité seront préservés quoi qu’il en coûte » (4)


Un peu d’utopie pour supporter le confinement

Glenn Albrecht, l’inventeur du terme « solastologie (5) », continue à créer des néologismes pour exprimer les émotions inédites que l’Homme ressent face à la catastrophe qu’il a lui-même engendrée. Il rappelle que « ce que nous faisons subir à la terre est sans précédent dans l’histoire de l’Humanité » (6). Nous ne serions pas les premiers à risquer de causer notre propre disparition. Des sociétés puissantes et cultivées pré-incaïques auraient disparues en Amérique du Sud après avoir détériorer leur propre environnement. Une sorte de suicide collectif inconscient. Si nous faisions de même, cette fois à l’échelle de la planète, ce serait en parfaite conscience !
Glenn Albrecht a concocté un nouveau mot plein d’optimisme : le « symbiocène » : ce serait l’ère qui succèderait à l’anthropocène et qui correspondrait à l’époque où l’empreinte des humains serait réduite au minimum, où toutes nos activités seraient intégrées dans les systèmes vitaux.
Mais l’« écoagnosie », syndrome d’une personne ignorant son environnement ou indifférente à l’écologie, reste la règle actuelle de l’économie mondialisée.


Conclusion confinée

Nous voici dans la même situation que les chinois il y a un mois et demi et les italiens il y a deux semaines. Acteurs du bâtiment, de l’urbain et de l’aménagement, nous serons nombreux à rester reclus pour plusieurs semaines chez soi. Nous pourrions utiliser tout ce temps retrouvé, toute cette parenthèse, pour réfléchir, prendre de la distance par rapport à notre quotidien, pour tenter de répondre aux nombreuses questions qui nous concernent, mais laissées en suspens ou aux autres, faute de temps, de disponibilités.

Cette période exceptionnelle et pénible, nous pouvons la mettre à profit pour lire la pile de livres qui nous attend depuis des lustres, pour réfléchir à comment agir après le passage du Covid-19, pour nous rappeler que notre solidarité entre les Hommes, si elle est nécessaire, est loin d’être suffisante.

Nous redécouvrons un peu tard que nous faisons intégralement partie de la faune et de la flore y compris les virus. Il va falloir vraiment arrêter de scier la branche sur laquelle nous avons osé grimper.

Resterons-nous des amnésiques chroniques ?  Qu’avons-nous retenu des catastrophes passées ? Qu’avons-nous définitivement intégré des avancées de la connaissance ? Pourquoi l’Histoire de l’Humanité est faite d’avancées mais aussi de régressions ? Pourquoi capitalise-t-on si mal nos erreurs ? Pourquoi avons-nous tant de difficultés à concrétiser les leçons que nous sommes capables de formuler ?

Ces questions sont bien générales et certains d’entre vous les trouveront peut-être ronflantes, voire gonflantes. C’est pourtant une occasion rare de se les poser, de prendre de la distance avec nos préoccupations professionnelles quotidiennes, d’intégrer ces dernières dans un champ plus ouvert que celui très restreint de la réponse à fournir urgemment pour prouver à son n+1 ou à soi-même sa sacro-sainte efficacité !

Oui. C’est une occasion trop moche pour la rater !
 

  1. « Contre les pandémies, l’écologie » -  Le Monde Diplomatique - Mars 2020 - Sonia Shah
  2. Un « parcours » imposé à la majorité par une minorité de plus en plus restreinte. En moyenne, cette majorité doit y trouver son compte pour que la paix sociale permette de faire perdurer la règle du jeu consistant à transformer chaque individu en un consommateur… Globalement, la richesse mondiale augmente mais elle se répartit de manière de plus en plus inéquitable.
  3. « Quand les effets du coronavirus se voient depuis l’espace » - La Tribune - 14 Mars 2020 - Carole Deniel (CNES)
  4. « Réchauffement et Covid-19, même combat » - Le Monde - 15 et 16 Mars 2020 - Stéphane Foucart
  5. Mot inventé en 2005 pour décrire le mal du pays dans son propre pays suite à sa dégradation. G.Albrecht a créé ce mot pour qualifier le choc émotionnel des habitants lors de la création d’une gigantesque mine de charbon à ciel ouvert qui a éventré toute la région de l’Upper Hunter Valley, en Australie. Les monstrueux incendies australiens de cet hiver ont provoqué à nouveau cette altération psychologique.
  6. « Glenn Albrecht, gentleman « fermosophe » » - Le Monde - 10 Mars 2020 - Catherine Vincent



Commentaires

  • Elisabeth
    0
    26/03/2020

    Merci de ce billet d'humeur confinée et pertinente, on se sent moins seul dans nos réflexions !


  • NUNES
    0
    23/03/2020

    Le coronavirus petit individu de l'ordre du micron aura eu raison de notre orgueil vis à vis de la nature. Il aura réveillé nos consciences et relativiser l'essentiel, soit notre vie et celle des nôtres. C'est l'Environnement qui en sortira gagnant, soit l'humain et ses valeurs de solidarité.

    • Jean-Louis
      0
      26/03/2020

      Bonjour.
      J'aimerais bien partager votre point de vue.
      Cependant, la nature hégémonique, voire rapace, de l'homme, le pousse inexorablement vers la réalisation du profit le plus intense possible dans un temps le plus court.
      Comment, dans ces considérations, concilier l'économie et l'écologie / environnement ?
      Je ne suis pas convaincu par l'idée que l'homme saura tirer les leçons de ce qui nous arrive actuellement.
      Chassez le naturel, il revient au galop.
      La politique de la main sur le cœur n'a qu'un temps (cf. "Plus jamais çà" à propos des guerres)


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