Par Serge LE MEN, Responsable solutions SmartBuilding Newron, ABB
Le CCTP (cahiers des clauses techniques particulières) est incontournable mais est-il approprié dans cette ère digitale ?
Le CCTP détaille l'objet d’un marché public ou privé et fixe les clauses techniques de ce marché : la description précise des prestations à réaliser. Il permet à la personne responsable de suivre le déroulement du marché et la bonne exécution de ces prestations. On se base sur ses informations pour valider la réception et ainsi initier les périodes de garanties règlementaires. Le légal s’adosse sur ce document technique réceptionné et c’est en ce sens qu’il est incontournable.
Mais ce mode de découpage d’un projet n’est-il pas d’un autre siècle et est-il compatible avec le digital, le SmartBuilding et l’appétence aux services ? Je ne laisserai aucun suspens : non, pas en l’état.
Le CCTP est incontournable mais insuffisant pour le SmartBuilding – source ABB –
Les lots – ou les ilots - techniques de travaux
A la lecture de ces mots vous me trouvez éventuellement quelque peu péremptoire. Laissez-moi m’expliquer. Le Smart est le contraire du CCTP. Le CCTP est fait pour spécifier un ouvrage physique avec des items factuels, palpables et pouvant être recettés. C’est une succession de silos, de clusters homogènes dans leur corps de métier : les fameux lots techniques de travaux.
Tout est étanche, séparé, isolé et distinct pour être mieux réceptionné unitairement et in fine garanti.
Tout se fait en parallèle, avec une coordination chantier forte, mais une coordination de données minimale, voire minimaliste, faute de budget, d’encadrement et de liens entre lots … Surtout pas de porosité entre les lots … Seuls quelques initiés garant de l’ouvrage ont la vision globale. La verticalisation à son paroxysme !
Le numérique c’est l’horizontalité
Rien n’est isolé dans le bâtiment, le numérique c’est l’horizontalité – source ABB –
Or, le numérique c’est l’horizontalité : rien n’est isolé et tout peut communiquer. Les données sont immatérielles et vouées à l’échange. Le numérique casse les silos, il rassemble. Le numérique c’est le dialogue, la connexion, l’échange : c’est la porosité absolue et nécessaire à toute expérience globale. C’est le liant qui harmonise l’ouvrage et permet d’assurer à l’utilisateur une ergonomie et une expérience digne de ce nom. Le numérique casse les clusters, ouvre des portes et permet la communication. On voit bien que c’est d’essence peu compatible avec le CCTP.
Et le SmartBuilding c’est l’expérience digitale qui vient agrémenter l’expérience de vie dans le bâtiment. « Smartiser » un objet, outre être un néologisme, est l’ajout de deux fonctionnalités à un objet (la connexion et les services) tout en gardant la fonction intrinsèque de l’objet. Ici la fonction intrinsèque de l’immeuble est d’assurer le confort minimum et la sécurité minimum. Les fondements de la pyramide de Maslow, et ils ne peuvent être altéré par la fourniture de service. Le CCTP est le garant de cette fonction intrinsèque car il garantit que toute la technique est en place pour que l’utilisateur ait la bonne température, la bonne luminosité et la protection suffisante pour une vie agréable dans le bâtiment.
Le CCTP ne doit pas être un frein au SmartBuilding
Mais à l’aune des deux fonctionnalités supplémentaires du smart, le CCTP doit se réinventer pour éviter d’être un frein au SmartBuilding.
Il a déjà été un frein à l’essor de la GTB de part ce silotage exacerbé.
Comment voulez-vous gérer un bâtiment en global quand vous le découpez en corps de métier ?
Comment faire une télécommande qui gère le chaud, le froid, la luminosité et les stores alors que cela concerne 4 lots techniques différents ? Certains prônaient à juste titre de faire un lot GTB qui serait ce liant mais peu l’on fait, faute de volonté, faute de compétences et encore mus par l’ancien monde ou la CVC était l’alpha et l’oméga.
Le résultat est sans appel : même dans des ouvrages premium, la Gestion technique du Bâtiment n’offre pas les résultats attendus. Ainsi croît une défiance des maitrises d’ouvrages quant à son utilité, fatigués à juste titre de payer des systèmes techniques divergents silotés et sans convergence.
Un nouveau lot, le « lot Smart »
Le lot SMART pour la connectivité du bâtiment et les services
Le CCTP doit donc évoluer et intégrer un lot qui assure ce liant, cette glue : le LOT SMART. On reste ainsi en lotissement de tâches et ainsi dans la philosophie du CTTP.
Le lot SMART se veut le lot qui va apporter les deux fonctionnalités inhérentes au smart que j’ai nommées précédemment. Il doit permettre la connectivité du bâtiment ainsi qu’assurer son côté serviciel.
Ce lot SMART se doit d’être réel, tangible et factuel. Il permet en premier lieu de supprimer les réseaux des lots techniques en parallèle, de mutualiser un socle numérique commun cross-bâtiment et ainsi assurer des gisements d’économies substantiels dans les lots techniques.
Il décrit le fameux réseau SMART du label Ready2Services (R2S) qui mutualise un réseau physique de données sur lequel vont se connecter tous les lots techniques. Un réseau physique conçu et déployé dans les règles de l’art de l’infrastructure et des réseaux : unique, managé, sécurisé, virtualisable, redondé et connecté à Internet.
Ce réseau est le socle commun de données du bâtiment. C’est le fameux 4ème réseau du bâtiment après le réseau d’électron, le réseau d’air et le réseau d’eau: le réseau de données.
Il doit, comme ses confrères, irriguer de façon homogène l’ouvrage. Il doit être unique, bien conçu, protégé et hiérarchisé. Ce réseau mutualisé va donc connecter physiquement tous les lots et en faire un seul et même système d’information. La beauté de cette histoire est que tous les réseaux de données des lots pourront être ôtés des autres lots techniques et ainsi assurer des économies substantielles. Et si vous voulez tout de même segmenter les informations vous le pouvez grâce à la virtualisation.
La seconde mission du LOT SMART : rendre l’ouvrage serviciel
A ce niveau, seule la première des composantes est assurée : la connectivité.
Pour la seconde (les services) il faut que ces données alimentées par les différents lots et circulant sur ce réseau soient regroupées, contextualisées et rendues utilisables par des applications tierces qui ont la volonté d’apporter des propositions de valeur autour de ces données. C’est la seconde mission du LOT SMART : rendre l’ouvrage serviciel.
Le LOT SMART doit supprimer les silos de données et garantir que l’ouvrage fournit des données unifiées, valides, qualifiées, contextualisées, inter-lot, organisées en zones, en espaces, ouvertes dans les technologies idoines de l’Internet …
Ce lot doit prévoir un Building Operating System (BOS). Le LOT SMART se doit de bien décrire le besoin de cette couche logicielle qui va ouvrir et publier les données techniques à travers des interfaces logicielles orientée Web (WebServices ou WebAPIs). C’est cette couche qui pourra prendre les données de lots techniques silotées et ainsi les unifier pour les publier de façon interopérable à des éditeurs de services.
Mais quelle entreprise peut ensuite répondre à ce LOT SMART ?
Un installateur ? Un intégrateur ? Une ESN (entreprise de services du numérique) ? une SSII (société de service et d'ingénierie informatique) ?
Qu’importe… Là encore l’entreprise ne devra pas être silotée dans son métier et devra maîtriser à minima les fondements de ces métiers divers. C’est une nouvelle fonction hybride, plus généraliste, qui embrasse les métiers bâtimentaires, techniques et informatiques : le MSI (Master System Intégrateur).
Pour être en capacité à répondre à ce lot, il faut en effet allier des connaissances :
- d’installation réseau,
- de paramétrages des données techniques,
- de supervision, de connaissances réseaux IT,
- et enfin de gestion de systèmes d’informations …
Mais la profession a bien compris ce nouveau défi et s’organise déjà.
En conclusion
Si le CCTP ne veut pas freiner l’expansion des SmartBuildings, il doit se renouveler et s’ouvrir vers l’IT (Technologies de l’Information).
Il a l’obligation de spécifier et valider les deux branches nécessaires au Smart : la connectivité et les services.
Il doit de fait impérativement ajouter explicitement un LOT SMART à part non adossé à un autre lot technique qui de facto serait implicitement prégnant … Un bon LOT SMART indépendant est cœur de la solution.
Le chef d’orchestre digital des métiers, le fameux liant horizontal cassant les verticales métiers.
La bonne réception de ce lot SMART indépendant sera la garantie d’avoir un vrai SmartBuilding, R2S de préférence. Et sincèrement, je suis confiant …
Source et lien
Il ne faudrait pas à vouloir se focaliser sur les réseaux et la connectivité, en oublier les fondamentaux: comment doivent fonctionner et interagir les différents équipements techniques pour assurer le confort tout optimisant les consommations d'énergie.