Par Patrick Rubin, architecte et Michèle Raunet, notaire étude Cheuvreux
Construire réversible, pour un bâtiment réversible en logements, bureaux et tout autre usage, est une démarche bas carbone et visionnaire qui consiste à utiliser l’existant tout en prévoyant de multiples usages que le bâtiment risque de rencontrer sur son cycle de vie.
Pour nous en parler et nous éclairer sur ce nouveau droit, l’architecte Patrick Rubin, architecte fondateur de l’atelier Canal Architecture et Michèle Raunet, notaire associée à l’étude Cheuvreux.
Le propos de ces deux sachants s’appuie sur un retour d’expérience de 5 000 m² Elithis à Bordeaux, exprimé lors d’EnerJ-meeting Paris le 31 Mars dernier, et repris en partie ci-dessous en texte et en vidéo. En exclusivité pour les lecteurs MOA et MOE d’XPAIR.
Retour d’expérience construction de « bâtiments réversibles », avantages et droits !
Et l’architecte Patrick Rubin commence son propos …
Patrick Rubin, Architecte, fondateur, Atelier Canal Architecture à EnerJ-meeting Paris le 31 Mars 2022
Le permis d’innover pour un construire un bâtiment d’un nouveau genre …
“Construire réversible“ livret écrit par Canal Architecture - Cf. en bas de page pour le télécharger - a été un guide précieux qui nous a permis, après avoir été lauréat d’un AMI (Appel à Manifestation d'Intérêt), appel à projet du Ministère, d’avoir obtenu, après concours, la possibilité de construire à Bordeaux un bâtiment d’environ 5 000 m² dont le PC sera obtenu au mois de Mai 2022, avec notre partenaire ELITHIS, une façon de mettre à profit nos dix années de travail théorique sur le sujet de la réversibilité des bâtiments. C’est Stephan DE FAY, dirigeant du Grand Paris Aménagement, membre du jury, qui a souhaité qu’il y ait le premier démonstrateur de construction réversible qui soit mis en place et ce, rappelons-le grâce à la loi ELAN dans le cadre du “Permis d'Innover”. Celui-ci vous permet de faire ce que vous n’avez pas le droit de faire tout en slalomant avec l'innovation et en étant en marge des textes réglementaires. Vous disposez par exemple pour toutes les opérations qui sont aujourd’hui dans des secteurs OIN (Opération d'Intérêt National), d'origine juridique particulier et sur les terrains qui appartiennent à l’Etat, de la possibilité de construire un bâtiment qui ne sera pas genré, qui sera établi sur des concepts nouveaux avec de nouvelles règles. Ce bâtiment ainsi conçu peut être dans son cycle de vie une résidence, un hôtel, un lieu d’activité, du logement, du bureau.
Immeuble réversible, quartier de l’Ars à Bordeaux
L’épaisseur d’un bâtiment réversible par exemple bureaux - logements doit mesurer environ 13 m, les escaliers sont sortis du bâtiment, il n’y a plus de noyau central, les réseaux et les fluides passent également à l’extérieur. S’il mesure 13 m d’épaisseur c’est pour que l’on puisse à tout moment faire des bureaux ou des logements (13 mètres, c’est pour disposer de logements c’est pour avoir des appartements traversants en double exposition).
Principes de bâtiment réversible bureaux logements - source “ Construire réversible “ livret écrit par Canal Architecture
Une HSP de 2.70 m pour les logements comme pour les bureaux
Comme mentionné sur le schéma ci-dessus, il y a 2.70 m sous faux-plafond, c’est 2.70 m autant pour le logement que pour le bureau. Pour celui-ci, alors nous ne mettrons pas de faux-plafonds. Dans le cas où il y aurait des réseaux qui passent au plafond, nous mettrons ou pas des faux-plafonds. Le fait d’en mettre, rappelons-le, va contre le confort d’été du fait que l’inertie de la dalle est isolée. Donc par principe, pas de faux-plafonds.
Les planchers : c’est un système structurel en poteau/dalle noyé dans la masse. Le principe est de disposer de grandes portées de structure pour réaliser des plateaux comme nous le voyons souvent dans les bâtiments industriels. Et d’ailleurs les meilleurs logements aujourd’hui sont souvent issus de bâtiments industriels réhabilités. Nous avons donc tout passé à l’extérieur, les circulations, les fluides, …, tout en pensant à la ville, ce n’est jamais un bâtiment orphelin.
Un bâtiment réversible, une épaisseur de 13 mètres optimale
2.70 m de hauteur, logements comme bureaux
Un permis de construire réversible, un appui juridique fort
Le présent projet de bâtiment réversible a été fait dans le cadre du dispositif du Permis d'Innover. Ce dispositif, rappelons-le, autorise le maître d'ouvrage à déroger à certaines règles opposables au projet dès lors qu'il atteint des résultats équivalents de mêmes exigences. Il s'agit de favoriser l'innovation, soutenir la créativité architecturale et inventer collectivement les villes de demain.
Cela prend du temps et comprend toute une réflexion entre architecte, notaire et avocat, pour accompagner le dépôt du permis de construire avec des dérogations. Ce PC est ainsi reçu malgré des contraintes que chacun accepte, en premier lieu le maître d’ouvrage.
Toutes les études s’effectuent sans savoir si la destination à réception sera du logement ou des bureaux
Des formulaires de permis de construire à faire évoluer pour le bâtiment réversible
Immeuble réversible du quartier de l’Ars à Bordeaux, une construction extrêmement simple poteaux dalles
Un bâtiment réversible Elithis très vertueux en énergie et carbone
Et Michèle Raunet, notaire associée à l’étude Cheuvreux, de nous éclairer …
Michèle Raunet, Notaire associée étude Cheuvreux à EnerJ-meeting Paris le 31 Mars 2022
A-t-on le droit de construire du bâtiment réversible ?
La question qui se pose aujourd’hui est : “ Est-ce que le projet de bâtiment réversible de Bordeaux est finalement exceptionnel ? ”
Exceptionnel oui et non, … Dans le cas présent, nous sommes à Bordeaux, dans une opération d’intérêt national avec un établissement public d’état, sur un terrain de pleine propriété et de ce fait nous avons une opération réversible exceptionnelle, relativement.
Est-ce exceptionnel ou est-ce qu’aujourd’hui dans le droit, nous pouvons construire des bâtiments réversibles ailleurs qu'à Bordeaux dans le périmètre équivalent.
A partir du moment où l’on décide de construire réversible, il va falloir prendre la matière juridique comme une matière pour faire du réversible. A partir de là, vous allez devoir penser différemment de ce que vous avez pensé pendant des dizaines d’années, car pendant ces dizaines d’années nous avons construit pour un usage déterminé et pour l’éternité. Ainsi, nous voyons pourquoi aujourd’hui la question de la transformation des bâtiments pose question.
Diverses grandes questions juridiques à se poser
Sur les questions juridiques, et pour concevoir des bâtiments réversibles, vous avez plusieurs grands champs qu’il faut appréhender.
Premier champ important, c’est la question contractuelle, la question du droit privé, chose que beaucoup d’entre vous connaissez, quand vous achetez ou vous vendez un bien, ou quand vous mettez un bien en copropriété ou en volumétrie. Dès ce moment-là, vous devez penser “ réversible “ et rien ne vous empêche dans les textes de penser réversible et d’écrire la réversibilité, donc c’est une première chose à faire.
Les promoteurs, les aménageurs quand ils vendent, les géomètres et les notaires quand ils mettent en copropriété doivent écrire des choses qui permettent de passer d’un usage à l’autre, cela est un point extrêmement important dans un premier temps.
Par la suite il y a le point réglementaire, c'est-à-dire est-ce qu'aujourd'hui les autorisations d’urbanisme, hors le périmètre de Bordeaux, nous permettent de construire réversible ? La réponse est "pas toujours". Ce qu’il faut savoir c’est qu’il y a une forte demande de la pratique en la matière, le rapport de l’architecte François Rebsamen sur la relance durable de la construction, commandé par le Gouvernement, a dit clairement qu’on voulait un permis à plusieurs ou sans destination; nous voyons bien que l’évolution est dans les tuyaux.
Mais ce qu’il faut savoir c’est que d’ores et déjà il existe un certain nombre de textes qui permettent cette réversibilité, et il faut que les acteurs s’en emparent pour que l’on expérimente et que l’on voit comment on fait les choses de la bonne manière.
Vous avez le Permis d’Innover qui a été utilisé à Bordeaux, mais qui peut être utilisé finalement ailleurs, sachant que le permis d’innover a un périmètre d’application restreint puisque l’on parle des OIN (Opération d'Intérêt National), des ORT, des opérations de revitalisation des centres-villes, ou les espaces qui vont donner lieu à la réalisation des Jeux Olympiques 2024, mais toujours est-il que dans ces périmètres nous pouvons refaire ce qui a été pensé dans l’opération réversible de Bordeaux sans difficulté, et c’est un point important.
Par ailleurs, vous avez aussi un certain nombre d’outils qui ont été mis en place et notamment qui facilitent beaucoup ce que nous appelons l’urbanisme transitoire où l’on va permettre des usages transitoires dans l'attente d’un autre usage.
Vous avez un droit d’expérimentation et de dérogation qui a été donné au Préfet en Avril 2020. Par exemple, le contrat de résidence temporaire qui permet d’utiliser des biens sans en changer la destination, ce qui est extrêmement intéressant. Ce sont des mécanismes qui ont été mis en place ces dernières années et le contrat de résidence temporaire c’est avec la loi ELAN.
Vous avez bien sûr la loi sur les Jeux Olympiques qui a mis en place, le permis de construire à double état permettant d’avoir un permis qui autorise un état provisoire pour faire le village olympique et un état définitif pour faire un grand projet de développement urbain.
Nous voyons donc qu’aujourd’hui dans la réglementation il y a toute une série de dispositifs qui sont en train de se passer et d’évoluer pour permettre la réversibilité des bâtiments, et que ces dispositifs sont d’ores et déjà utilisables.
Réversibilité ne veut pas dire liberté à tout prix
Réversibilité de la construction c’est très bien, mais cela ne veut pas dire liberté à tout prix, et qu’à côté de cette réversibilité il faut mettre en place des outils intelligents de régulation.
Bien sûr, le PLU et les auteurs du PLU ont une responsabilité par rapport à cela, ils doivent permettre une réversibilité avertie pour la mise en œuvre des politiques publiques qui sont nécessaires, à savoir la préservation du logement, le développement de l’activité économique, etc, …
Par Patrick Rubin, Architecte, fondateur, Atelier Canal Architecture et Michèle Raunet, Notaire associée étude Cheuvreux
A lire, sans modération
Construire réversible par Canal Architecture – 50 pages
Qu’attendons-nous pour construire des bâtiments réversibles ?
En posant cette question, et en tentant d’y répondre, Canal participe à l’émergence d’un mouvement en faveur du concept de réversibilité en architecture. S’il est entendu qu’un bâtiment peut avoir plusieurs vies, l’effort est devenu démesuré pour y parvenir, tant l’architecture est le plus souvent contrainte par sa programmation initiale et sa reconversion progressivement complexifiée par la multiplication des normes. L’idée d’habiter, travailler, enseigner, … successivement dans un même lieu engage à dissocier programme et procédé constructif dès la conception, au bénéfice d’une souplesse d’usages dans une géométrie libérée. « Penser réversible », c’est anticiper l’évolution d’un édifice avant même sa construction, pour alléger au maximum les adaptations et leurs coûts, lors de sa transformation.
SOMMAIRE
- Édito
- Réhabiter la société
- Lexique
- Agora
- Avant-ailleurs
- 7 principes
- Échiquier
- Entretiens
- Après demain
- Contributeurs
Téléchargez l’ouvrage Construire Réversible
Transformation des situations construites par Canal Architecture – 91 pages
Des sources d’inquiétude se rejoignent : fonte des glaces, destruction des forêts, disparition des espèces, déficit d’habitats, ... Nos sociétés ont davantage bâti ces dernières décennies que les siècles auparavant, et les perspectives de transformations à opérer sont immenses. Préférer la réhabilitation à la construction sera bientôt la règle. Mais peut-on affirmer qu’il faille conserver tout ce qui est construit, et à quel prix ? L’effort à produire est souvent démesuré pour offrir une nouvelle vie à un bâtiment lorsqu’il est dépourvu de magie et semble inapte à accueillir de nouveaux usages. Le défi relatif à la transformation des villes et à la pénurie de logements, autant que nos doutes sur les ressources Terre et la soudaine conscience de notre vulnérabilité, nous invitent à marquer un arrêt pour envisager de nouveaux dispositifs d’actions.
SOMMAIRE
- Rupture
- Déplacement
- Nouvelles de Laponie
- Design, soft power
- Lexique
- Situations (re)construites
- Agora
- Tactiques
- Disputations
- Transformations
- 365 jours
- Contributeurs
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Sources et liens