Par Jean-Pierre Hauet, Président du Comité scientifique d’Equilibre des Energies
Créé en 2006, le diagnostic de performance énergétique (DPE) est devenu au fil des années un instrument essentiel de la politique énergétique. La loi ELAN du 23 Novembre 2018 l’a rendu opposable et la loi Climat-Résilience du 22 Août 2021 a modifié les niveaux de performance énergétique minimale exigés des logements « décents », en rendant notamment les logements classés G impropres au marché de la location à compter du 1er Janvier 2025.
Ces dispositions sont lourdes de conséquences et l’étape du 1er Janvier 2025 constitue une marche très haute à franchir qui va impacter quelques deux millions de résidences principales. Il est donc essentiel que l’outil utilisé pour juger de leur décence soit exempt d’erreurs manifestes. Les retours d’expérience des trois années écoulées nous conduisent à formuler cinq recommandations essentielles.
Le but de cet article n’est pas de discuter des grandes finalités du DPE et en particulier du poids relatif à donner, dans la détermination de la performance énergétique des logements, à la consommation d’énergie et aux émissions de CO2. Ou encore de savoir si la loi du 22 Août 2021 tape sur les bons clous en créant des contraintes très fortes pour les logements donnant lieu aux transactions les plus fréquentes, alors qu’elle laisse dans l’ombre les logements, en général plus spacieux, plus émetteurs et plus consommateurs, dont le taux de rotation est beaucoup lent. Ce sont des questions essentielles qui devront être rediscutées.
Notre propos est ici simplement de proposer les adaptations qui nous semblent devoir être apportées au nouveau DPE, pour remédier à des anomalies apparues depuis son entrée en vigueur à la mi-2021 et atténuer les conséquences de l’échéance du 1er Janvier 2025.
Ces propositions ne visent pas à remettre en cause le modèle du DPE mais à en ajuster les paramètres pour corriger certaines erreurs et aussi pour faire en sorte que les efforts consentis par les propriétaires ou leurs ayants droit pour améliorer les performances de leurs logements soient récompensés par un juste progrès dans la notation du DPE.
Nous pensons que ces ajustements doivent être apportés rapidement. Le DPE a un poids social et économique trop lourd pour accepter la procrastination dans le traitement de ses maladies de jeunesse. L’examen en cours des dispositions à prendre pour remédier au problème des « petits logements » en apporte la démonstration. Les correctifs doivent porter sur les causes et non sur les effets. Modifier au trébuchet la définition des seuils des étiquettes en fonction des m² habitables pour les rendre acceptables n’est pas une réponse appropriée, alors que l’origine des anomalies est identifiée et qu’il est possible d’y remédier.
Prendre en compte correctement l’apport des systèmes de renouvellement d’air
Le renouvellement d’air est le premier facteur expliquant les dépenses de chauffage dans le DPE. Son poids moyen ressort à 32% contre 25% pour les déperditions par les murs.
Le DPE reconnait quatre types de ventilation :
- La ventilation par ouverture des fenêtres ;
- La ventilation naturelle, notamment par entrées d’air hautes et basses intégrées au bâti ;
- La ventilation mécanique contrôlée simple flux autoréglable (VMC SF autoréglable) qui est à débit d’air constant ;
- La ventilation mécanique contrôlée simple flux hygroréglable (VMC SF hygroréglable), avec un débit d’air s’adaptant au niveau d’humidité.
Les consommations d’énergie induites par ces différents systèmes sont fortement différenciées. La VMC SF hygroréglable réduit de 69% les consommations d’énergie par rapport à la ventilation naturelle et de 57% par rapport à la VMC SF autoréglable (Figure 1).
Figure 1 : Consommations liées au renouvellement d’air
Source : ATEE - Fiches CEE complètes BAR-TH-127_FC_Ventilation Simple Flux et BAR-TH-125_FC_Ventilation Double Flux
La ventilation par ouverture des fenêtres est un concept mal défini. Il n’apparaît pas dans le règlement européen 1253/2014 [1] qui retient comme référence la ventilation naturelle. Dans sa version initiale, l’arrêté du 31 Mars 2021 relatif au nouveau DPE, affectait à la ventilation par ouverture des fenêtre un coefficient de renouvellement de l’air de 2,6 m3/(h.m²), supérieur à ceux applicables à toutes les autres formes de ventilation.
[1] RÈGLEMENT (UE) No 1253/2014 du 7 Juillet 2014 portant mise en œuvre de la directive 2009/125/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences d'écoconception pour les unités de ventilation.
Malheureusement, les correctifs apportés à la hâte en 2021, afin de limiter le nombre de passoires thermiques que le nouveau DPE faisait apparaître, ont entraîné la révision du coefficient de renouvellement d’air qui a été ramené à 1,2 m3/(h.m²), pratiquement au niveau des coefficients applicables aux systèmes de ventilation. (Tableau 1)
Tableau 1 : Extrait du tableau définissant les coefficients de renouvellement d’air dans l’annexe à l’arrêté définissant les méthodes applicables au diagnostic de performance énergétique
L’absence de système de ventilation est ainsi considérée comme équivalente à un système de ventilation très performant. Pour améliorer le DPE, il n’y a en conséquence aucun intérêt à installer une ventilation correcte. Il convient de remonter le coefficient de 1,2 m3/(h.m²) à 2,2 m3/(h.m²) pour l’aligner sur la valeur de référence retenue pour la ventilation naturelle dans le règlement européen 1253/2014 et dans les fiches CEE.
Evaluer correctement les besoins en eau chaude sanitaire dans les petits logements
L’exploitation de la base gérée par l’ADEME des DPE réalisés en 2022 ou 2023 fait apparaître une anomalie très nette pour les petits logements qui sont surreprésentés dans la catégorie des passoires thermiques, puisque 34% des logements de moins de 30 m² sont classés passoires thermiques (F ou G), contre 16,3% pour la moyenne des logements.
Cette situation s’explique par plusieurs facteurs : leur poids relatif dans le nombre des transactions, le fait qu’ils soient, pour une large part, chauffés à l’électricité (76% pour les logements de moins de 30 m², ce point est abordé plus loin), leur facteur de forme qui génère des consommations accrues rapportées au m² habitable, et enfin les modalités de calcul des besoins en eau chaude sanitaire.
Sur ce dernier point, le DPE part de l’hypothèse, qui semble légitime, que la consommation journalière d’eau chaude sanitaire est la même quel que soit le nombre d’occupants, désigné le NAREQ ou nombre d’équivalents-adultes. Ce NAREQ varie bien entendu avec la surface mais, rapporté au m², il croît fortement dans le DPE lorsque la surface du logement diminue (Figure 2). En d’autres termes, les logements sont d’autant plus densément occupés que le logement est petit.
Figure 2 : Nombre d’équivalents-adultes par m² pris en compte dans le DPE selon la surface du logement
Il est possible que de telles variations trouvent leur justification dans des études sociologiques mais l’importance des écarts étonne et, en outre, la performance d’un logement ne devrait pas être dépendante d’un présupposé sur son occupation. Ces hypothèses conduisent bien évidemment à des consommations d’eau chaude sanitaire qui prennent des proportions fortement accrues dans le cas des petits logements et pèsent lourdement dans le DPE.
L’arrêté en cours de consultation applique in fine des correctifs aux seuils déterminant le passage d’une classe à une autre. Il ne traite pas le problème à la source mais constitue une solution palliative qui rend le DPE encore plus complexe à comprendre. Il faut remonter à l’origine de l’anomalie et revoir les données relatives aux NAREQ/m².
Prendre correctement en compte l’apport de la régulation et du pilotage
La régulation et le pilotage des consommations d’énergie sont des solutions reconnues comme pertinentes pour réduire les consommations avec un minimum d’investissement. L’installation de thermostats programmables connectés a fait l’objet d’une campagne de promotion de la part des pouvoirs publics dans le cadre d’un « plan thermostat » lancé le 5 Décembre 2023 et de la création d’un « coup de pouce » s’appuyant sur la fiche CEE BAR TH173.
L’estimation des économies rendues possibles par de tels systèmes a été évaluée, dans le cadre des études préalables à la création de la fiche CEE, à 25,7% dans le cas d’un chauffage électrique. De façon prudente, l’ADEME estime que « s'équiper d'un thermostat programmable connecté permet de réduire jusqu’à 15% sa facture de chauffage » [2].
[2] https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16968
Or dans les calculs du DPE, les coefficients d’intermittence retenus font que l’installation d’un système de régulation pièce par pièce, avec minimum de température, permet de réduire la consommation conventionnelle, dans le cas de radiateurs/convecteurs, de :
- 8,3% en maisons individuelles (0,77/0,84)
- 4,4% en logements collectifs (0,86/0,90)
Le DPE ne reconnait donc pas à sa juste valeur l’apport des systèmes de régulation/pilotage. Ce sont pourtant des moyens efficaces pour réduire les consommations et donc de sortir de la zone des passoires thermiques. Rappelons qu’une réduction des consommations de 10% permettrait de réduire le nombre de passoires thermiques de 20%. Les coefficients d’intermittence doivent donc être revus de façon appropriée.
Nous proposons de mettre en harmonie les coefficients du DPE dans le cas d’un chauffage par convecteur avec les évaluations retenues dans la fiche BAR TH173 en modifiant les coefficients de la façon suivante :
- Maisons individuelles : le 0,77 devient 0,67 et le 0,75 devient 0,64
- Logements collectifs : le 0,86 devient 0,72 et le 0,83 devient 0,67
Il est entendu que cette mise en conformité illustrée sur un chauffage par convecteurs électriques vaut pour l’ensemble des dispositifs avec des niveaux de performance qui leur correspondent.
Promouvoir l’installation de panneaux photovoltaïques en toiture
L’installation de panneaux solaires en toiture est également mal valorisée dans le DPE alors qu’elle se combine de façon positive avec la production d’eau chaude sanitaire ou, en été, avec une pompe à chaleur air/air.
En zone H2b, 15 m² de panneaux photovoltaïques assurent une production annuelle d’environ 2 700 kWh. Seule est prise en considération la part autoconsommée par les usages retenus par le DPE, à l’exclusion des autres usages, tels que les usages mobiliers ou la recharge d’un véhicule électrique, et avec des coefficients qui semblent faibles. Mieux prendre en compte les apports solaires serait un moyen de faire sortir un nombre substantiel de logements situés à la limite de la classification des passoires thermiques. Ce type d’installation devrait en outre être davantage encouragé lorsque le photovoltaïque accompagne une pompe à chaleur air/air.
Sortir les logements qui n’auraient jamais dû entrer dans la catégorie des passoires thermiques
La performance énergétique des logements continue à être calculée en énergie primaire, comme au temps des énergies fossiles, et les consommations d’électricité, aussi bas-carbone soient-elles, sont affectées d’un coefficient multiplicateur de 2,3 qui pénalise les usages de l’électricité, et notamment le développement des pompes à chaleur, au moment où l’on souhaite en encourager la massification.
Ce coefficient de 2,3, l’un des plus hauts d’Europe, a pour effet de classer comme passoires thermiques environ un million de logements, au seul motif qu’ils sont chauffés à l’électricité, alors qu’ils sont isolés en règle générale mieux que les logements chauffés avec d’autres formes d’énergie. On observe par exemple, en analysant la base des DPE, que les coefficients UBat [3] des passoires thermiques se répartissent conformément à la Figure 3.
[3] Ubat : coefficient moyen caractérisant les déperditions thermiques réelles d'un bâtiment par transmission à travers les parois et les baies (en W/m²)
Figure 3 : Coefficient de déperdition thermique Ubat des passoires thermiques (F et G) selon le mode de chauffage
Source : données Base ADEME
Sur le plan des principes, le coefficient de conversion en énergie primaire, supposé être représentatif du rendement des moyens de production d’électricité, repose sur des considérations qui échappent totalement au logement et sur lesquelles l’occupant n’a aucun moyen d’action.
Nous estimons que la France doit à minima suivre la trajectoire définie par la Commission européenne, qui a ramené en Décembre 2022 le coefficient par défaut pouvant être utilisé par les Etats, de 2,1 à 1,9, notant en outre qu’une majorité d’Etats membres appliquent concurremment un coefficient de 1,1 au gaz. En parallèle, devraient être lancés les travaux permettant d’en finir dès que possible dans la réglementation des bâtiments, avec l’usage du concept d’énergie primaire qui n’est utilisé ni pour les bâtiments tertiaires, ni dans les transports, ni dans l’industrie.
Ne pas suivre cette voie conduirait à pérenniser un DPE favorable aux énergies fossiles, dépendant de considérations qui n’ont rien à voir avec la performance des logements, à imposer des travaux coûteux à plus d’un million de logements en règle générale déjà isolés de façon acceptable et à pénaliser fortement l’usage de l’électricité, notamment par pompes à chaleur.
En conclusion : une « révision triennale » !
Il nous semble que le moment est venu de faire subir au DPE une « révision triennale », bien légitime au regard de la complexité du sujet, prenant en compte l’ensemble des points à traiter. A défaut, les pouvoirs publics risquent d’être confrontés, notamment avec l’arrivée de date charnière du 1er Janvier 2025, à une succession de problèmes qu’ils ne pourront pas continuer à traiter par des mesures palliatives.
Par Jean-Pierre Hauet, Président du Comité scientifique d’Equilibre des Energies
Source et Lien
EdEn fédère des entreprises de l’énergie, du bâtiment et de la mobilité désireuses de promouvoir des mesures concrètes allant dans le sens d’une transition énergétique durable et profitable à tous.
Une autre difficulté vaudrait d'être analysée et traitée : le DPE est basé sur une évaluation conventionnelle des déperditions de l'enveloppe du bâti GV (en W/K) dans la méthode 3CL.
Cette évaluation est parfois très éloignée des déperditions réelles auxquelles on peut accéder par l'analyse statistique des consommations au regard de la température extérieure. On a pu rencontrer des écarts de 40% à 50%. Mais les Bureaux d'Etudes ne disposent pas d'outils permettant de recoller ces deux approches.
Il en résulte que l'estimation des économies issues d'une rénovation de l'enveloppe du bâti, effectuée à partir des déperditions conventionnelles (avant-après), n'a que peu de rapport avec les économies réelles apportées par la rénovation.
Le Plan de financement, qui doit permettre à un propriétaire ou à des copropriétaires de prendre la décision d'une rénovation, est donc entaché d'une erreur. Cela peut amener à ne pas lancer une rénovation qui apparait, à tord, trop couteuse, mais aussi à lancer une rénovation qui sera difficile à supporter dans la durée.