Par Loïs Moulas - Directeur Observatoire de l’Immobilier Durable
Un mot préalable sur l’OID : Créé en 2012, l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID) est l‘espace d’échange indépendant du secteur immobilier tertiaire. Analyser les forces motrices des transitions écologique, sociétale et numérique en cours et imaginer les actions qui feront l’immobilier de demain doivent relever de démarches collectives et collaboratives. Penser l’immobilier responsable est ainsi la raison d’être de l’OID.
Le lancement de cette initiative collective résulte de la volonté d’acteurs majeurs de mettre en place un baromètre de la consommation énergétique réelle des bâtiments tertiaires. L’OID publie aujourd’hui plusieurs dizaines d’indicateurs environnementaux sur les différentes typologies de bâtiments tertiaires, notamment les bureaux, la logistique et les commerces, en s’appuyant sur la mise en commun des données des principaux acteurs de l’immobilier tertiaire. Il s’agit d’une initiative volontaire de nos contributeurs que nous remercions.
La base de données couvre 7 000 bâtiments, représentant 1% de la consommation énergétique en énergie finale du secteur tertiaire français. Elle inclut plus de 10% des immeubles de bureau situés en Ile de France.
Ensemble immobilier mixte de bureaux et commerces à Paris
Nous sommes loin des promesses...
Nous le savions par retour d’expérience terrain, et l’analyse statistique des données le confirme, chaque typologie de bâtiments tertiaires présente des profils de consommation très différents.
Il est important de penser des réglementations et des actions qui en tiennent compte. Si 80% des immeubles de bureau consomment entre 300 et 600 kWhEP/m².an, les centres commerciaux consomment en moyenne 200 kWhEP/m².an et un hypermarché a des consommations au-delà de 1 000 kWhEP/m².an. En 2017, l’OID évalue la consommation énergétique moyenne d’un immeuble de bureaux à 422 kWhEP/m².an.
On observe une grande disparité au sein même des immeubles de bureau entre un bâtiment situé en province (314 kWhEP/m².an) ou en Ile-de-France (consommation supérieure à 450 kWhEP/m².an), ce qui s’explique par la nature intrinsèque des immeubles, le type d’utilisation et le niveau de service. Ces éléments sont disponibles sur le site de l’OID dans le Baromètre 2017 ; voir également l’infographie en fin de page.
Un immeuble certifié en construction ou en rénovation ou labellisé consomme en moyenne 398 kWhEP/m².an, ce qui le place au même niveau moyen des autres bâtiments. Le bâtiment de bureau RT 2012 consomme en moyenne 364 kWhEP/m².an et la moyenne des bâtiments rénovés depuis 2008 se situe à 370 kWhEP/m².an.
Nous sommes donc loin des promesses des certifications et des objectifs de réduction de 40 % des consommations énergétiques réelles inscrits dans la Loi de Transition énergétique pour la croissance verte à l’horizon 2030, soit 247 kWhEP/m².an. Les usages spécifiques (hors usages RT) de l’immeuble de bureau sont aujourd’hui les grands oubliés de la réglementation. Le resteront-ils dans la prochaine Réglementation environnementale 2020 ?
Cela questionne la légitimité d’un modèle de réglementation basé sur l’obligation de moyens plutôt que l’obligation de résultats.
Il convient toutefois de nuancer ces résultats car l’essentiel des bâtiments neufs (RT 2012) et des bâtiments certifiés présentent des hauts niveaux de service qui en font des bâtiments énergivores par nature.
Le succès viendra d'un changement des comportements
Ces résultats corroborent le ressenti des signataires de la Charte tertiaire de 2016 du Plan Bâtiment Durable, les travaux lourds ne représenteraient que seuls 13% de la contribution à l’atteinte de l’objectif de réduction des consommations énergétiques de 40%. L’essentiel des efforts résultent sur des plans de progrès incluant de l’investissement, voire pas du tout (remplacement des systèmes de CVC, opérations de relamping, pilotage des installations techniques, etc.).
Dès lors, pourquoi parlons-nous encore de « rénovation énergétique » du parc tertiaire et non pas d’un plan « d’efficacité énergétique » du parc tertiaire ?
La plupart des études de prospective le montre, le succès de la transition énergétique et écologique repose sur le changement des comportements.
La bonne utilisation et la bonne exploitation du bâtiment contribuent à plus de 50 % de l’effort à réaliser. Continuer à parler uniquement de rénovation ne permet pas de mettre en valeur le gisement important de chaque partie prenante de la vie d’un bâtiment, et notamment son utilisateur et son exploitant.
En matière de gestion immobilière, la logique économique prime. D’une part, la rénovation énergétique d’un bâtiment doit s’inscrire dans une logique patrimoniale. D’autre part il est absurde de rénover un bâtiment ou remplacer des équipements techniques prématurément dès lors qu’on raisonne en coût énergétique global, couvrant l’énergie grise des matériaux (émissions de gaz à effet de serre (GES)) et l’énergie consommée.
Doublement absurde si on se rappelle que les objectifs de réduction des consommations énergétiques découlent d’objectifs de réduction des émissions de GES de la France dans un contexte de réchauffement climatique !
Il est temps de changer de paradigme
Nous devons changer de paradigme en matière d’approche de l’efficacité énergétique, c’est l’approche retenue dans la première proposition du Plan Bâtiment Durable pour le Plan de rénovation énergétique nationale.
En matière de transition énergétique pour le secteur tertiaire, les réglementations qui encouragent la transparence extra-financière des acteurs privés et publics, plus communément regroupées sous le terme de « Finance Responsable » ou « Finance Verte » sont les plus efficaces. Pour les acteurs de l’immobilier tertiaire, le constat est sans appel : les sociétés d’investissement cotées, soumises depuis maintenant 6 ans à une obligation de transparence extra-financière qui inclut un engagement fort des dirigeants, font partie des « best-in-class » en matière de transition énergétique et écologique.
C’est de ces pratiques, dans le viseur de la Commission européenne et de la communauté internationale, qu’émergeront les plus grandes forces de transition.
Les acteurs de l’immobilier tertiaire sont mobilisés, la finance responsable est en plein essor, charge aux pouvoirs publics de les accompagner.
Par Loïs Moulas - Directeur Observatoire de l’Immobilier Durable
lois.moulas(at)o-immobilierdurable.fr