Électricité : le power-to-gas incontournable pour un avenir 100% renouvelable

Par Bernard Reinteau, journaliste spécialisé

En quelques années, l’idée d’une électricité 100% renouvelable s’est imposée. À tel point que les industriels proposent des solutions techniques aux difficultés que sont la variation de fréquence ou l’intermittence des énergies.

Tous les observateurs du monde de l’énergie électrique ont entendu les retournements de discours au cours des 15 à 20 dernières années. Ainsi, on est passé d’une impossibilité à assurer une production électrique avec les énergies renouvelables à une « faisabilité technique et scientifique avérée ». Un Webinaire mené par négaWatt début avril dernier (1) présentait les dernières avancées sur ce sujet important pour les décennies à venir. Comment un système électrique majoritairement alimenté par des énergies renouvelables variables est-il techniquement possible ? 

L’un des pivots de la réussite de cette transition est le développement du power-to-gas, c’est-à-dire l’association des EnR et de l’hydrolyse afin d’optimiser l’usage de l’électricité renouvelable en produisant de l’hydrogène qui sera injecté dans le réseau de gaz naturel ou consommé pour produire de l’électricité.

Enr

Concept Power-to-gas pour contribuer à une électricité 100% renouvelable
 

La convergence des études vers une électricité 100% renouvelable

Porte-parole et militant de longue date au sein de négaWatt, Marc Jedliszka souligne l’intérêt porté à ce sujet depuis le début des années 2000. En Allemagne, l’étude Kombikraftwerk 1 de 2004-2007 développée par l’institut Fraunhofer IWES de Kassel visait à prouver la faisabilité d’un système électrique 100% renouvelable. Cette approche sur une maquette au 1/10 000ème montrait que l’équilibre était atteint à tout moment sans importation. Cependant, des questions importantes comme la qualité de l’onde et la stabilité du réseau n’avait pas été abordées à cette date.

L’étude Kombikraftwerk 2 de 2011-2013 – qui porte sur une modélisation complète du réseau haute tension allemand – est venu combler cette lacune par cette conclusion : « Les simulations montrent qu’un approvisionnement électrique avec 100% de sources renouvelables est techniquement possible en Allemagne dans le futur dans de bonnes conditions de fiabilité et de stabilité, à condition que la production, le stockage et le secours interagissent intelligemment avec le gaz renouvelable. »

D’autres études ont apporté des conclusions similaires. Marc Jedliszka rappelle l’étude de l’ADEME de 2015 sur un mix énergétique 100% renouvelables. En novembre et janvier dernier, le Cired (CNRS) (2) est revenu sur ce sujet. Son travail sur l’électricité renouvelable repose notamment sur les profils horaires de l’éolien et du photovoltaïque des 18 années météo passées (2000-2017) et sur un chiffrage du coût moyen des EnR de 52 €/MWh.

Il cite aussi le projet REStable piloté, de 2015 à 2019 par Mines ParisTech pour apprécier les variations de fréquence sur le réseau de 12 parcs éoliens et de 5 parcs photovoltaïques : les variations de fréquences restent dans la fourchette de tolérance de +/-10%.

Cette crainte des électriciens devrait encore être écartée par le programme Migrate (3) conduit par l’École nationale des Arts et Métiers avec Schneider Electric et RTE et d’autres partenaires. L’idée est d’installer sur les réseaux des équipements tels que des compensateurs synchrones pour maintenir le 50 Hz avec 100% de production EnR. Enfin, en janvier dernier, un rapport conjoint du gestionnaire RTE et de l’Agence internationale de l’Energie (4) indiquait au ministère de la Transition énergétique les « conditions et prérequis » pour réaliser un système électrique avec une part importante d’EnR d’ici 2050.

Pour Marc Jedliszka, un système électrique 100% renouvelable est donc faisable, en respectant cependant :

  1. des conditions techniques, avec en particulier l’utilisation de solutions comme le Power-to-gas pour lisser la production, la mise en service de compensateurs asynchrones pour maintenir la qualité du courant et l’exploitation de manière industrielle des prévisions de production ;
  2. des conditions réglementaires, car des textes restent à produire pour avancer sur cette voie ;
  3. et managériales, car une collaboration est indispensable entre les parties prenantes.

Il souligne que « dans tous les cas », il sera nécessaire d’investir massivement dans les moyens de production d’électricité, nucléaires ou renouvelables, mais il s’agit désormais de tenir compte de la « baisse spectaculaire des coûts de production du PV et de l’éolien en comparaison aux autres moyens de production "décarbonés" », au même titre que le pilotage de la demande et de la production d’électricité, des batteries ou du Power-to-Gas. Et de conclure : « Ainsi, refuser de s’engager dans cette voie ne relève pas d’un choix techniquement et économiquement rationnel, mais d’un choix idéologique ou politique. ».

Stockage énergie

Webinaire - Le système électrique peut-il fonctionner avec 100% de renouvelables – Webinaire de Négawatt du 7 avril 2021 – source Négawatt -

Les EnR aidés par les grands gestionnaires d’énergie

Côté négaWatt, ce discours n’étonne guère. Il est en phase avec les livres blancs que cette association de sachants produits régulièrement. Son scénario 2017 indiquait une consommation d’électricité passant de 431 TWh en 2015 à 305 TWh en 2050, et une consommation totale d’énergie (chaleur, transport et électricité) chutant de 55% (1 830 TWh en 2015, 806 TWh en 2050). La mise à jour de cet exercice est annoncée pour l’automne 2021.

En revanche, ce qui peut étonner est l’accompagnement de ce discours par une entreprise telle que Storengy. Cette filiale d’Engie est spécialisée dans le stockage de gaz naturel dans des sites géologiques souterrains (nappes aquifères, cavités salines). L’entreprise (5) dispose de 21 stockages en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, soit une capacité de 12,2 Gm³, l’équivalent de 75 tranches nucléaires.

Pierre Chambon, directeur général de Storengy France, voit dans le développement de l’électricité EnR l’opportunité d’une nouvelle activité pour son entreprise : le stockage des gaz renouvelables qui participeront aux nouveaux modes de production de cette énergie. Il s’agit principalement de biométhane issu de méthaniseurs désormais très largement répartis sur le territoire, et d’hydrogène produit par hydrolyse alimentée par l’énergie excédentaire des champs photovoltaïques et éoliens. Ce power-to-gas permet de compenser l’intermittence des installations : essentiellement stocker l’énergie et la fournir en déphasant la production pour éviter de renforcer les réseaux.

Une autoroute de l’hydrogène renouvelable

Pour faire valoir ses arguments, Storengy se lance, au cours de la période 2021-2023, dans le projet démonstrateur Hypster, un stockage d’hydrogène renouvelable sur son site d’Etrez, dans l’Ain. Il entrera en phase commerciale en 2023. Hypster rassemble 7 partenaires (industriels, chercheurs, consultants en solutions bas carbone) et les 3 pays où Storengy est présent. Le budget d’investissement atteint 13 M€ (5 M€ de subventions européennes). Cette nouvelle installation industrielle se compose d’une cavité saline d’une capacité de 44 t associée à un électrolyseur de 1 MW.

Parallèlement, Storengy conduit le développement d’un réseau européen de transport dédié à l’hydrogène. Actuellement essentiellement franco-allemand, ce « Backbone H2 » est prévu pour transiter de Marseille à Hambourg, via Cologne et Hanovre. Ainsi, en France, des cavités souterraines tels que celles de Manosque, Tersanne, Etrez ou Cerville seront uniquement dédiées à l’hydrogène, et les pipelines qui initialement transportaient du gaz naturel seront convertis pour pouvoir transporter cette molécule. Par ailleurs, sur ce tronc principal, de nouvelles branches de pipelines seront construites et connectées pour irriguer la France, l’Allemagne et d’autre pays d’Europe centrale.

Ce chantier entre dans le cadre de la Vision LT d’un scénario « 100% gaz décarboné » de l’entreprise. Il confirme le changement de paradigme des industriels de l’énergie au sujet de l’électricité 100% EnR et leur mise en ordre de bataille pour le mener à son terme.

1- https://negawatt.org/Le-systeme-electrique-peut-il-fonctionner-avec-100-de-renouvelables-replay

2- http://www.centre-cired.fr/fr/ Centre international de recherche sur l’environnement et le développement
Webinaire : Une électricité 100% renouvelable est-elle possible en France d’ici à 2050 et, si oui, à quel coût ? (http://www.centre-cired.fr/fr/webinaire-une-electricite-100-renouvelable-est-elle-possible-en-france-dici-a-2050-et-si-oui-a-quel-cout/)
Quel mix électrique optimal en France en 2050 (http://www.centre-cired.fr/fr/quel-mix-electrique-optimal-en-france-en-2050/)

3- Massive Integration of power electronics devices (https://www.h2020-migrate.eu/)

4- RTE et l’AIE publient leur étude sur les conditions d’un système électrique à forte part d’énergies renouvelables en France à l’horizon 2050 : https://www.rte-france.com/actualites/rte-aie-publient-etude-forte-part-energies-renouvelables-horizon-2050

5- En France, un second acteur, Teréga, filiale de Total, gère 2 sites.

Commentaires

  • Bernard
    0
    10/05/2021

    C'est un fait : le discours de Jean-Marc Jancovici est très largement et systématiquement défavorable aux énergies renouvelables. Et, généralement, ses critiques ont essentiellement pour but de mettre l'accent sur l'intérêt des solutions nucléaires. L'examen de cette solution énergétique, de l'extraction du minerai jusqu'au stockage des déchets, en passant par l'exploitation des centrales, peut aussi, sans beaucoup d'effort, permettre de produire toutes sortes de courbes assez déprimantes.


  • Jean-Marc
    0
    06/05/2021

    Je ne suis pas spécialiste de la question énergétique ni éolienne mais Jancovici, qui se base sur des relevés réels de production et non pas sur des données météo, produit des courbes plutôt déprimantes.... (sans parler des pertes de rendement des systèmes aval en power-to-gaz) https://www.youtube.com/watch?v=q3QHOp9BpLo


LAISSER UN COMMENTAIRE

ABONNEZ-VOUS !
En validant ce formulaire, vous acceptez que les informations saisies soient transmises à l’entreprise concernée dans le strict respect de la réglementation RGPD sur les données personnelles. Pour connaitre et exercer vos droits, vous pouvez consulter notre politique de confidentialité
Suggestions

Le rafraîchissement Adiabatique Indirect à Haut-Rendements pour la transition énergétique

Le rafraîchissement Adiabatique Indirect à Haut-Rendements pour la transition énergétique

La climatisation n'est pas la seule solution pour rafraîchir les bâtiments : le rafraîchissement adiabatique est une alternative en accord avec la transition énergétique. C'est ce que nous prése


Gamme de pompes à chaleur air-eau 100% dédiées à la rénovation

Gamme de pompes à chaleur air-eau 100% dédiées à la rénovation

Pacific et General propose une large gamme de pompes à chaleur air-eau 100% dédiées à la rénovation.


PACIFIC et GENERAL, une alliance de 2 marques pensée pour le meilleur de la pompe à chaleur

PACIFIC et GENERAL, une alliance de 2 marques pensée pour le meilleur de la pompe à chaleur

Les marques PACIFIC et GENERAL s'allie afin d'améliorer la pompe à chaleur. Découvrez cette association


Le guide des pompes à chaleur dans les bâtiments tertiaires

Le guide des pompes à chaleur dans les bâtiments tertiaires

L'AFPAC a édité en Octobre 2023 le guide PAC dans les bâtiments tertiaires sur le thème « Les leviers de performance et enjeu de décarbonation ».


Rénovation Énergétique des copropriétés : inventons les offres de demain et agissons !

Rénovation Énergétique des copropriétés : inventons les offres de demain et agissons !

La rénovation énergétique des copropriétés s’organise dans son projet en réalisation du DTG (Diagnostic Technique Global).


La décarbonation des logements : comment changer de rythme ?

La décarbonation des logements : comment changer de rythme ?

Avec le plan présenté par le SGPE, celui-ci retient trois lignes d’action d’importance très inégale pour réduire les émissions de 28 Mt de CO2.


EnerJ-meeting Paris 2024 : Save the date le 6 Février 2024 au Carrousel du Louvre

EnerJ-meeting  Paris 2024 : Save the date le 6 Février 2024 au Carrousel du Louvre

Venez rencontrer les équipes d'EnerJ-meeting à la journée de l’efficacité énergétique et environnementale du bâtiment organisée au Carrousel du Louvre à Paris, le 6 Février 2024 !


L’audit énergétique, l’étape fondamentale pour une rénovation performante

L’audit énergétique, l’étape fondamentale pour une rénovation performante

L'audit énergétique pour une rénovation performante a été au coeur des débats d'EnerJ-meeting Nantes 2023.


RE2020 en logements : oui le niveau 2031 est accessible dès aujourd’hui !

RE2020 en logements : oui le niveau 2031 est accessible dès aujourd’hui !

Le niveau 2031 lié à la RE2020 en logements doit être atteint très rapidement pour éviter de graves dommages d'ici 20 ou 30 ans.


Le label bas-carbone de l'Etat, quel avenir dans le bâtiment ?

Le label bas-carbone de l'Etat, quel avenir dans le bâtiment ?

Voici l’éclairage sur les « méthodes » pour obtenir le fameux sésame « label bas-carbone de l’Etat » par Yann Dervyn, consultant en bâtiment durable et ancien directeur d’Effinergie.


Découvrez tous les avantages de la PAC hybride collective !

Découvrez tous les avantages de la PAC hybride collective !

Découvrez tous les avantages de la PAC hybride collective : une solution très performante et bas carbone, compatible avec les dernières évolutions réglementaires, en neuf comme en rénovation.


Les solutions pour rafraîchir les villes

Les solutions pour rafraîchir les villes

Rafraîchir les villes devient une nécessité tant le bâitment est au coeur du réchauffement climatique


Surcoûts majeurs pour atteindre la neutralité carbone - Le rapport à la Première Ministre

Surcoûts majeurs pour atteindre la neutralité carbone - Le rapport à la Première Ministre

Prenons connaissance du rapport établi, fruit d'un projet collectif, mettant en avant l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de la France.


Le label Bas Carbone de l'Etat pour assurer la compensation carbone

Le label Bas Carbone de l'Etat pour assurer la compensation carbone

Le label Bas Carbone de l'Etat existe depuis 4 ans et vise la compensation carbone : comment fonctionne-t-il ?


Bétons bas carbone : des initiatives radicales pour répondre aux enjeux environnementaux

Bétons bas carbone : des initiatives radicales pour répondre aux enjeux environnementaux

Le béton est décrié à cause de son poids carbone. Les solutions de bétons bas carbone changent-elles complètement la donne ?