Par Yann Dervyn, consultant en bâtiment durable
Nouveau label ? Non, pas du tout, le label bas-carbone a été créé il y a 4 ans par le ministère de la Transition Ecologique avec la collaboration de nombreux partenaires. C’est un outil pour atteindre la neutralité carbone avec un pas de plus essentiel : la compensation carbone.
C’est Yann Dervyn, consultant en bâtiment durable, qui décrypte ce label et ce dans cette PREMIERE chronique d’explication générale. Une DEUXIEME chronique, plus spécifiquement dédiée au « bâtiment » viendra compléter cette présentation très prochainement.
Bonne lecture et la parole, plutôt l’écriture, est à Yann Dervyn !
Quelques mots d’introduction de Yann Dervyn …
Il y a quelques années, j'avais vu passer l'information d'un label bas carbone lancé par l'Etat. A l'époque, Directeur d'Effinergie, association définissant des critères de label de performance énergétique et carbone dans le bâtiment, je me suis demandé ce que venait faire cet OVNI dans la jungle déjà épaisse des marques, labels et certifications pour le bâtiment et aussi, pourquoi nous, chez Effinergie, n'avions été ni associés, ni même informés en amont. Puis j'ai compris qu'il concernait de multiples secteurs d'activité et n'était pas ciblé sur le bâtiment. J'ai donc laissé ce nouveau venu de côté d'autant qu'il ne semblait pas provoquer un quelconque enthousiasme.
Puis, dans le cadre de mes nouvelles fonctions, on m'a demandé, début 2023, de présenter ce label et ses applications pour le bâtiment. Je m'y suis donc plongé pour en comprendre le principe que je vais vous présenter ci-dessous. Peu connu dans le bâtiment, ce label pourrait bien se développer suite à la parution de 2 méthodes (même s'il elles sont passées un peu inaperçues pour qui ne surveille pas les parutions au journal officiel). L'une s'intéresse au réemploi en rénovation (26 août 2021), l'autre, toute nouvelle, au stockage carbone dans la construction (5 avril 2023).
1. Pourquoi ce label bas-carbone?
Il y a 3 façons de baisser les émissions de gaz à effet de serre dans les bâtiments :
- Moins construire en optimisant les espaces et en privilégiant quasi systématiquement la rénovation de l'existant.
- Construire et rénover en émettant le moins de carbone possible.
Les différents référentiels de performance environnementale des bâtiments que ce soit HQE, Effinergie, démarches BD (bâtiment durable) ou BBCA prennent désormais toutes en compte l'impact carbone des constructions et des rénovations. Les différentes énergies également sont engagées sur une décarbonation inéluctable. Mais comme le carbone, c'est la vie ! Tout projet de bâtiment en neuf ou en rénovation, même le plus vertueux émettra fatalement du carbone. Parler de neutralité carbone demande donc d'actionner un second levier.
- Séquestrer du carbone dans le bâtiment ou en dehors du bâtiment.
Valoriser le stockage carbone dans le bâtiment essentiellement à l'aide des biosourcés (parmi ces biosourcés c'est surtout le bois qui permet de stocker des quantités notables de carbone) permet de baisser l'impact en émissions de gaz à effet de serre du bâtiment. Toutefois l'atteinte de la neutralité carbone, c’est-à-dire obtenir un bilan net d'émission de gaz à effet de serre à 0 implique de pouvoir séquestrer du carbone ailleurs, par exemple, en finançant la plantation d'arbres (mais il y a une multitude d'autres possibilités). C'est la compensation carbone.
Ainsi la Stratégie National Bas Carbone établie par l'Etat français prévoit, pour une part la réduction des émissions et pour une autre le recours à des puits de carbone permettant de soustraire du carbone de ces émissions.
La SNBC est également en phase avec les engagements de la France au niveau européen et notamment atteindre la neutralité carbone en 2050. Le label Bas-Carbone est un des outils permettant d'atteindre cette neutralité par la compensation carbone.
Ce point est important et c'est ce qui fait la singularité de ce label : c'est un moyen de compter la compensation carbone à l'échelle nationale. Cette démarche est à saluer car la rigueur de la compensation carbone s'appuyant sur des projets de plantation à l'autre bout de la planète est sujette à caution. Un peu d'investigation autour de ces compensations ont permis de montrer que si le financement de plantations d'arbres en Amérique du Sud ou ailleurs a bien permis la plantation effective d'arbres, ces plantations sont loin d'être pérennes et sont soumises au jeu des intérêts locaux[1] bien éloignés des nôtres.
Visuel source France.tv
Le carbone censé être stocké risque d'être relargué très rapidement. Mettre en place un système à l'échelle nationale, contrôlé par l'Etat, doit permettre de donner réalité à la compensation et de comptabiliser le plus objectivement possible les kg de CO2 stockés, tout en bénéficiant à des projets français incluant les territoires ultra marins.
[1] Reportage de Cash Investigation sur France TV (voir à partir d'1h15 https://www.france.tv/france-2/cash-investigation/4498144-superprofits-les-multinationales-s-habillent-en-vert.html et aussi article (en anglais) du Guardian sur le sujet https://www.theguardian.com/environment/2023/jan/18/revealed-forest-carbon-offsets-biggest-provider-worthless-verra-aoe ou la synthèse du Monde en Français https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/29/les-benefices-climatiques-de-la-compensation-carbone-sont-au-mieux-exageres-au-pire-imaginaires_6159711_3232.html
2. Quelle est la genèse du label bas-carbone ?
Le label bas carbone est issu d'un projet financé par l'Etat, l'Europe et l'ADEME qui s'appelait Vocal[2]. Il regroupait des acteurs de la forêt et de l'agriculture. Deux clubs de recherche autour de ces filières ont donc porté dans ce cadre des méthodes de compensation carbone.
La cheville ouvrière de la construction du label est l'institut I4CE, Institut de l’économie pour le climat, dont les caractéristiques sont les suivantes.
- Institut de recherche à but non lucratif
- Alimentation des débats sur les politiques publiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique
- Fondé par la Caisse des Dépôts et Consignations et l’Agence Française de Développement[3]
- 40 salariés, budget de 3,8 M€ en 2022
I4CE a assuré la promotion du label bas carbone à son lancement ainsi, que certaines méthodes associées.
Le Label bas-carbone a été créé par le décret n° 2018-1043 du 28 novembre 2018 créant un Label « Bas-Carbone », modifié en mars 2022 pour adapter le fonctionnement général du label. Le fonctionnement détaillé du Label bas-carbone est précisé par l’arrêté du 28 novembre 2018 modifié définissant le référentiel du Label « Bas-Carbone ».
Cadre juridique du label bas-carbone, le décret Label « Bas-Carbone » du 28 nov. 2018
A partir du cadre défini dans le label, plusieurs méthodes d'application sont apparues par secteurs, la première en 2019, plusieurs en 2020, une douzaine actuellement, d'autres en préparation. Elles concernent essentiellement les secteurs de la forêt et de l'agriculture ce qui se comprend par les géniteurs de ce label.
[2] Etablissement public qui contribue à mettre en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale. Climat, biodiversité, paix, éducation, urbanisme, santé, gouvernance…
https://www.i4ce.org/projet/projet-voluntary-carbon-land-certification-vocal/
3. Les objectifs du label bas-carbone
Le label Bas Carbone est un label de compensation carbone, son premier objectif est donc de certifier la quantité de CO2 mais ce terme de compensation est peu employé dans la communication officielle du label, on parle plutôt de garantir la qualité environnementale.
Son second objectif est de permettre un financement des projets demandant le label grâce aux quantités de carbone achetées. Ainsi entreprises, collectivités mais aussi les particuliers peuvent acheter des crédits carbone proposés par les projets ayant obtenus ou souhaitant obtenir le label bas carbone (voir schéma ci-dessous).
Source : présentation officielle du label bas-carbone sur le site https://label-bas-carbone.ecologie.gouv.fr
En pratique, les financeurs s'étant déjà manifestés sont exclusivement des entreprises souhaitant compensation volontairement ou par obligation leurs émissions de carbone. Parmi les financeurs connus, on trouve Dalkia, Enedis, GEFCO ou la Caisse des Dépôts et Consignations. Seuls 28 financeurs sont identifiés à ce jour.
Aucune collectivité et aucun particulier ne se sont engagés, à ce jour pour le financement de projets. Les raisons sont que l'intérêt est moins fort pour ces 2 catégories et il n'y a aucune obligation. On pourrait toutefois envisager, qu'un couple, un peu honteux de prendre l'avion pour des vacances aux Seychelles ou ailleurs, finance partiellement un projet et compense ses kg de CO2 générés. Ou qu'une collectivité qui construit une nouvelle route compense les émissions de la construction, voire de la circulation supplémentaire générée sur sa commune, avec le financement d'un projet. Encore faudrait-il qu'une communication efficace soit faite en ce sens auprès de ces financeurs potentiels du label.
4. Que "compte" le label bas-carbone ?
On part d'une situation dite de référence, a minima respectant la réglementation ou les pratiques courantes du marché. On calcule la quantité de carbone correspondante pendant une période d'accréditation de plusieurs années à quelques dizaines d'années. On calcul ensuite de la même façon la quantité de carbone du projet vertueux en carbone. La différence cumulée sur la période d'accréditation va permettre de définir une quantité d'émissions de carbone évitée ou stockée. Le label bas carbone certifie alors cette réduction d'émission.
Les réductions d'émissions peuvent être directes ou indirectes, réalisées ou anticipées.
Source : présentation officielle du label bas-carbone sur le site https://label-bas-carbone.ecologie.gouv.fr
En complément, le label bas carbone va étudier :
- l’additionnalité : démontrer que le projet n’aurait pas pu se faire sans l’incitation carbone
- le suivi des émissions et de la séquestration
- la vérification par un tiers pour pouvoir prétendre à des crédits carbone
- la traçabilité des réductions d’émission avec mise en place d’un registre permettant d’éviter le risque de double compte
- la permanence des réductions d’émissions ou la gestion du risque de non permanence
- La présence de co-bénéfices sociaux et environnementaux (biodiversité, eau, emploi…)
Ces co-bénéfices peuvent être valorisés sous forme de bonus de quantité de carbone.
Chaque méthode précise ces différents éléments (voir paragraphe 6).
5. Le processus de labellisation bas-carbone
C'est un label de l'Etat, impliqué dans tout le processus d'attribution. Il a arrêté le principe, il approuve les méthodes proposées par des experts de différents domaines, il examine les projets proposés par des acteurs locaux suivant une des méthodes approuvées et reconnaît in fine les réductions d'émissions après l'intervention d'un auditeur indépendant.
Source : présentation officielle du label bas-carbone sur le site https://label-bas-carbone.ecologie.gouv.fr
C'est à mon avis, la force et la faiblesse de ce label. L'Etat apporte une grande crédibilité aux quantités de carbone reconnues. Mais l'Etat est le grand organisateur de cette méthode sollicitant ses services aux différentes étapes ce qui peut générer des lourdeurs et lenteurs administratives (par ailleurs tout à fait compréhensibles) surtout si ce label devait se développer.
6. Le principe des méthodes du label bas-carbone
Chaque projet doit répondre à une méthode qui définit les modalités de certification (règles de calcul, critères de qualité…). Elles sont proposées par des acteurs d'une filière ou un territoire, c'est assez souple. Puis elles sont examinées par un groupe d'expert missionné par l'Etat qui ensuite validera, ou non, la méthode. La méthode est alors utilisable par tous après publication au journal officiel.
Chaque méthode doit préciser :
- Le type de projets concernés, bénéfices attendus (co-bénéfices socio-économiques et environnementaux) et critères d’éligibilité
- Le scénario de référence et la démonstration de l’additionnalité
- L’additionnalité doit être démontrée pour éviter l’effet d’aubaine et assurer que c’est la labellisation qui conduit à un effet bénéfique pour le climat
- L’additionnalité est appréciée par rapport à un scénario de référence : seules les réductions d’émissions qui vont au-delà sont prises en compte
- La méthode d’évaluation des réductions d’émissions décrite précisément (ça demande quelque calculs mathématiques).
- Les modalités de vérification des réductions d’émission du projet :
- Vérification obligatoire, déclenchée par le porteur de projet
- Systématique ou par échantillonnage
- Implique souvent une visite sur site
- Contrôles aléatoires déclenchés par l’Autorité sur toute la durée de vie du projet
- Auditeur compétent et indépendant - La manière d’estimer les rabais (pour tenir compte des incertitudes)
- La durée maximale de validité du projet pour le calcul des quantités de carbone, généralement 5 ans, mais une autre durée peut se justifier (ex : 30 ans pour les projets forestiers, 50 ans pour le bâtiment)
- La liste des données et sources utilisées
7. Les méthodes à ce jour
Label issu du monde de la forêt et de l'agriculture via le projet initial Vocal (voir plus haut), c'est sans surprise que la majorité des méthodes est consacrée à ces 2 secteurs.
Dans le domaine de la forêt
- Boisement
- Reconstitution de peuplement forestiers dégradés
- Balivage (conversion de taillis en futaie sur souches)
Dans le domaine de l'agriculture (et élevage)
- CarbonAgri : développée par l'Institut de l'élevage (Idele), cible les réductions d'émissions en élevages bovins et de grandes cultures.
- Haies développées par la Chambre d'Agriculture des Pays de la Loire, cible la gestion durable des haies.
- Plantation de vergers développée par la Compagnie des Amandes.
- SOBAC'ECO TMM développée par l'entreprise SOBAC, cible la gestion des intrants.
- Ecométhane développée par l'entreprise Bleu Blanc Cœur, cible la réduction des émissions de méthane d'origine digestive par l'alimentation des bovins laitiers.
- Grandes cultures développées par Arvalis, Terres Inovia, l'ITB, l'ARTB et Agrosolutions, cible les réductions d'émissions en exploitations de grandes cultures.
Dans le domaine des espaces naturels et de la biodiversité
- Une première méthode d’avril 2023 : La méthode de protection des Herbiers de Posidonie – protection du mouillage pour préserver le stockage carbone de ces écosystèmes.
Dans le domaine des transports
- Une première méthode dans le secteur des transports "Tiers-lieux "a été développée par Climat Local et Relais d'Entreprises. Elle cible les projets de réductions des émissions du transport routier par les télétravailleurs salariés qui utilisent des tiers-lieux dans les zones peu denses.
Et enfin dans le bâtiment
- Une première méthode dans le secteur du bâtiment "Rénovation" a été développée par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB). Elle cible les projets de rénovation de bâtiments avec utilisation de matériaux notamment issus du réemploi.
- Une nouvelle méthode (5 avril 2023) a été développée par BBCA. Elle cible les projets de construction valorisant le stockage carbone.
Une vingtaine de méthodes devraient allonger cette liste dans les différents domaines (sauf le bâtiment) en 2023.
8. Les projets
A ce jour, ce sont 541 projets qui ont été labellisés dont :
- 247 de boisements
- 203 de reboisements
- 59 de plantations de vergers
- 15 de la méthode grandes cultures
- Le reste représentant moins de 5 projets par méthode dont 2 pour le bâtiment via la méthode rénovation.
Mis à part l'agriculture et la forêt, c'est plutôt timide pour le moment. A noter que la méthode rénovation écrite par le CSTB suite à une discussion fortuite avec I4CE, date d'août 2021, l'autre, toute nouvelle sur le stockage carbone dans la construction du 5 avril 2023. C'est encore un peu récent pour que le bâtiment se l'approprie.
9. Conclusion et la suite pour la filière bâtiment
C'est un label très bien conçu, aux petits oignons par l'Etat français, qui apparaît très rigoureux et apporte donc aux financeurs potentiels toute la crédibilité nécessaire. On peut s'étonner du peu de connaissance autour de ce label alors qu'il est conçu pour intéresser tout le monde jusqu'au citoyen.
On sait que l'Etat, n'est pas un bon communiquant vis-à-vis de ses dispositifs, ceci explique peut-être cela. Un gros effort de porter à connaissance est à faire.
Toutefois certains acteurs commencent à l'utiliser, notons que les organisateurs de Paris 2024, recherchant une bien difficile neutralité carbone pour les JO, proposent un nouveau marché sur le label bas-carbone avec un volume de 35 000 tCO2. D'autres acteurs vont certainement saisir cette opportunité.
Enfin sur le bâtiment, les méthodes sont trop récentes pour pouvoir tirer des conclusions à ce stade, sauf que là aussi, une communication plus importante s'impose.
Nous pourrons revenir dans un prochain article sur le contenu de ces deux méthodes permettant d'utiliser le label bas-carbone dans le bâtiment !
Par Yann Dervyn, consultant en bâtiment durable et Président de Dervyn Conseil, ex-directeur d’Effinergie
Sources et liens
Yann DERVYN yann[AT]dervynconseil.fr