Par Camille Vivien, BIM Manager BET VIVIEN et Emilie BOTELLA, Architecte HOBO
Introduction
A l’heure d’une transformation des modes de pensées et d’une montée des valeurs écologiques, le secteur du bâtiment est un levier majeur et doit assurer sa transition écologique de pair avec sa transition numérique.
Comment le BIM peut-il permettre, à l’heure actuelle, de créer des liens entre maquettes numériques et simulations de bilans carbone ? Ces évaluations sont complexes mais feront pourtant parties intégrantes de la nouvelle Réglementation Environnementale 2020.
Le BIM apporte son aide dans la réflexion « d’écoconception » car il facilite les échanges entre les acteurs du projet qui gagne en qualité dès les premières phases, lorsque les grandes décisions se profilent. Il permet de renouer un dialogue, mais il doit aussi axer la discussion sur les besoins métiers (architecture et ingénierie) et le développement des outils afin d’assurer une organisation efficace entre concepteurs.
Employer le BIM dès la conception pour la création d’un jumeau numérique écologique : les technologies foisonnent de fonctionnalités mais la mise en application est plus difficile. La démarche nécessite des connaissances, outils et méthodes.
Quelles problématiques rencontrent les acteurs du secteur? Comment mettre en place une charte BIM pour gérer l’interopérabilité des modèles architecturaux, énergétiques et environnementaux ? Quelle stratégie de développement pour monter en compétences ?
Contexte environnemental - Cap vers la RE2020
A la réglementation thermique en place, la RT 2012, succèdera prochainement la réglementation environnementale (RE 2020). Celle-ci aura pour ambition de répondre aux impératifs de durabilité requis par la transition écologique. A cette fin, en plus de la consommation énergétique du bâtiment, cette réglementation prendra en compte les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées tout au long du cycle de vie, de l’extraction des ressources à la déconstruction, en passant par les phases de fabrication, de construction, d’usage et de maintenance.
C’est dans ce contexte réglementaire ambitieux que s’insère l’expérimentation E+C-. Une ambition d’atteindre à la fois l’énergie positive et la réduction carbone pour nos futurs bâtiments.
L’expérimentation E+/C- cherche à préparer la RE2020, en fixant des niveaux d’ambition à la fois relatifs au niveau de performance énergétique du bâtiment (E1, E2, E3 et E4) et au niveau de performance environnementale de celui-ci (C1 et C2).
Sur le volet énergétique de l’expérimentation E+C-, la méthodologie déployée par les bureaux d’études s’inscrit dans le prolongement de la RT2012. Ces simulations s’appuient sur une base de modélisation architecturale ressaisie dans un outil métier. L’impact carbone est quant à lui plus difficilement quantifiable même lorsque celui-ci est facilité par le BIM.
Source : izuba.fr
Si le comptage carbone semble la solution pour viser sa réduction, notre retour d'expérience montre que le calcul est encore aujourd'hui très limité, en partie par le manque d'informations sur la base de données INIES (il est compliqué de se référer à d'autres bases de données). D'autres problématiques se rencontrent comme le recours aux données génériques MDEGD (forcément pénalisantes), les incohérences sur les informations liées au transport (pas de valorisation des matériaux locaux si l'on prend des moyennes nationales) … etc.
Il faut donc déterminer si le réel enjeu est la labélisation ou la réflexion sur la conception de projet en permettant aux professionnels de travailler à partir de bases de données ouvertes et rendre toutes les simulations possibles…
Problématique temporelle du calcul carbone
Il y a une ambivalence entre notre capacité à calculer une ACV (Analyse de Cycle de Vie, méthode de calcul des impacts d'un produit sur 50 ans) et notre possibilité de modifier le projet.
Prenons l'exemple d’un projet visant un niveau E3C2 demandé par un maître d’ouvrage. En phase esquisse et jusqu’au permis de construire, le projet n’est pas encore suffisamment avancé ni finement modélisé pour que le bureau d'étude puisse annoncer un bilan. Il faut donc attendre une phase où la maquette sera plus avancée. Lorsque le projet atteint cette phase, il est possible de faire le calcul, mais le projet est figé. Le comptage carbone n'est donc pas un outil d'aide à la conception, c'est le vérificateur d’un pari déjà lancé.
Il faut donc concentrer le travail et la démarche d'éco-conception sur les premières phases du projet, et c’est justement à ce moment que le BIM aussi nécessite le plus d’efforts.
Si les phases et les attendus ne sont pas cohérents, alors nous devons mettre en place un système pour avoir des indications adaptées au phases du projet :
En amont, le calcul carbone doit permettre à l'architecte et l'ingénieur de déterminer s’il est plus judicieux de construire ou plutôt d'isoler par l'extérieur, ou bien de remplacer les fenêtres par des modèles plus performants… autant d'un point de vue consommation d'énergie que d'émissions carbones liées à l'acte de construire et à la répétition d'exploiter les lieux par les usages. Surfaces, coefficient de forme, développé de façade, système constructif, l’objectif est d’obtenir des indications clés, en comparant des postes et des prestations, en visant non pas un résultat final définitif mais une fourchette qui va ensuite pouvoir s'affiner. Pourtant, la plupart des logiciels demandent un hyper-renseignement exhaustif du projet, et des compétences spécialisées.
De quelle information avons-nous besoin à chaque stade du projet ?
Le workflow et de la dimension d’échanges et de communication entre concepteurs est à mettre en place, mais il faut intégrer aussi les éditeurs dans la réflexion pour arriver à une cohérence avec les axes de développement des logiciels, car une inadéquation subsiste à l’heure actuelle avec nos besoins métiers.
La combinatoire des systèmes énergétiques
A la différence des lots bâtiments sur lesquels il est possible d'isoler des postes, l'énergie demande de comparer des combinaisons de systèmes. La création de variantes permet donc en BIM de simuler directement les informations renseignées par le thermicien par rapport aux matériaux de la maquette numérique, en récupérant les propriétés thermiques des matériaux, qui constituent les bibliothèques consultables d'une maquette à l'autre. C'est donc un temps investit pour en gagner en automatisation de l'information et du calcul. Les outils vont permettre au fil de leur développement de reconnaitre les matériaux pour les associer directement aux bases de données.
Les architectes et ingénieurs doivent donc travailler de pair afin de définir ensemble les grandes orientations du projet en E et en C. Se pose alors la question quel « workflow » BIM (méthodologie de travail BIM) architecte/ ingénieur mettre en place pour pouvoir fluidifier les échanges des acteurs en vue de répondre aux enjeux énergétiques et environnementaux que soulève la RE2020 ?
Expérimentations et retours d'expérience pour fluidifier les échanges des acteurs
Dans la vidéo plus haut, nous avons appliqué et testé trois grandes méthodologies qui soulèvent chacune des avantages et inconvénients aussi bien sur leur mise en place que sur l’aspect applicatif. Ces expérimentations s’appuient sur la nécessité de réaliser une « charte BEM » (Building Environnement Modeling), mais elles révèlent aussi la complexité grandissante que soulève les formats d’échange à l’origine des problématiques d’interopérabilités entre les logiciels métiers des acteurs à l’origine des calculs énergétiques et environnementaux.
Cette méthodologie s’appuie sur la réalisation d’une convention (ou charte BEM) qui définit les bonnes règles de modélisation à suivre pour que le format d’échange choisi puisse être exploitable. Dans ce cas si le format défini en amont est l’IFC.
Les retours d’expérience sont détaillés dans la vidéo plus haut.
Cette méthodologie s’appuie sur les même fondamentaux que la première, néanmoins le format d’échange est le Gbxml. Ce format est souvent exploité par les logiciels de calcul énergétique.
Les retours d’expérience sont détaillés dans la vidéo plus haut.
Cette méthodologie est orientée CLOSED BIM car le format d’échange est en l’occurrence un format natif REVIT, c’est un plug in à venir ajouter à l’outil de modélisation (dans ce cas REVIT) qui permet l’exploitation du format dans le logiciel de calcul énergétique.
Les retours d’expérience sont détaillés dans la vidéo plus haut.
Conclusion
Plusieurs méthodologies sont envisageables pour chaîner l’interprétation carbone et la maquette numérique, elles dépendent des logiciels métiers employés et leur interopérabilité. Si aujourd’hui le calcul en temps réel n’est pas encore au point, les experts du domaine nous donnent un espoir avec l’évolution des formats qui permettront de fluidifier les échanges et faciliter l’interprétation des résultats.
Le BIM n’est pas forcément synonyme de complexité, et ce que ne propose pas l’ACV, d’autres approches dont le BIM pourrait être vecteur de développement, visent une économie invisible à court terme, difficilement quantifiable, mais bien réelle.
La réflexion est ouverte, et pour aller encore plus loin, peut-être devons-nous en France commencer à s'inspirer d'autres pays comme les Pays-Bas où l’on commence à "louer" la matière durant la vie du bâtiment, en l'occurrence l'acier de structure… Une idée qui peut être mise en œuvre grâce au BIM en créant les maquettes numériques porteuses de l'information du bâtiment, les quantités, la localisation exacte des produits de construction pour les déconstruire plus facilement.
Aujourd’hui, les questions de labellisations mobilisent des BE environnement à plein temps, mais si l’on veut que tous les concepteurs s'impliquent dans une démarche respectueuse et requestionne chaque trait des projets, alors il faut qu'un architecte, un ingénieur structure, fluides ou acousticien soit aussi un peu ingénieur environnement. La question dépasse celle du métier, et le BIM propose une méthode de sensibilisation non culpabilisante mais en adéquation avec le développement des technologies, propulsé par l’idée positive de construire ensemble.
En effet, rappelons que chaque sujet de recherche lié à l’innovation demande une curiosité continue et même lorsqu’on se sent expert sur un domaine que l’on a expérimenté, l’innovation vous remet perpétuellement à l’épreuve car elle avance plus vite que votre curiosité.
Par les auteurs :
Emilie BOTELLA – Architecte HOBO
Camille VIVIEN – BIM Manager BE VIVIEN
(Fluides / Thermique / Environnement)
Sources et liens