Par Corinne MANDIN , Responsable Division Qualité des Environnements Intérieurs CSTB
Logements et écoles sont le plus souvent étudiés, les espaces de bureaux requièrent plus que jamais une qualité d’air intérieure maîtrisée. Ce ne sont ainsi pas moins de 30 immeubles de bureaux qui ont été instruments afin de rechercher les substances émergentes caractérisant la qualité d’air intérieur.
Ainsi, afin d’enrichir les connaissances sur la qualité de l’air intérieur dans les espaces de bureaux, ATMO Nouvelle-Aquitaine, le Laboratoire des Sciences de l'Ingénieur pour l'Environnement de La Rochelle Université (LaSIE UMR 7356) et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) se sont associés pour un projet innovant dédié à la recherche de substances d’intérêt sanitaire peu ou pas étudiées, le projet POEME.
Qualité d’air intérieur dans les bureaux et polluants prioritaires
Qualité de l’air intérieur et polluants prioritaires : contexte
Une problématique récurrente dans le domaine de la qualité de l’air intérieur est la définition des polluants prioritaires, à savoir les substances pouvant avoir un effet sur la santé humaine, sachant que l’air intérieur peut contenir des centaines de substances différentes.
Ces substances proviennent de l’extérieur ou sont émises par les matériaux, le mobilier, les occupants, les produits d’entretien et tout autre type de produits de consommation. Cette question est d’autant plus difficile à appréhender que la nature et les concentrations des substances présentes dans l’air intérieur évoluent au fil des années sous l’effet combiné des évolutions technologiques et des règlementations, qui conduisent à interdire les substances dont les risques sanitaires sont démontrés, mais aussi à en faire émerger d’autres qui sont utilisées comme substituts.
Dans ce contexte, une thèse menée par Guillaume Sérafin (La Rochelle Université-CSTB)[1] a mis à jour la hiérarchisation des polluants de l’air intérieur développée par l’Observatoire de qualité de l’air intérieur (OQAI)[2] et a appliqué la nouvelle méthode proposée au cas des espaces de bureaux. Une liste de substances d’intérêt sanitaire, jamais recherchées dans l’air intérieur de ces bâtiments, a été proposée. Cette liste a constitué le socle pour la mise en place du projet POEME.
- Aldéhydes,
- Composés Organiques Volatils (COV),
- Composés Organiques Semi-Volatils (COSV),
- Particules fines (PM2,5),
- Métaux dans les particules en suspension,
- Potentiel oxydant (PO) des particules en suspension,
- Dioxyde de carbone (CO2) et renouvellement d’air.
De façon générale, il est vrai que la qualité de l’air intérieur dans les bâtiments de bureaux reste moins étudiée que celle des logements ou des écoles.
Entre 2013 et 2017, l’OQAI a mené la première campagne nationale de mesure de la qualité de l’air intérieur dans un échantillon de bâtiments de bureaux tirés au sort ou volontaires, répartis dans toute la France. Cette campagne a permis de fournir un état des lieux de la pollution intérieure au regard de composés gazeux et particulaires « classiques ». Compte tenu du design de cette campagne nationale (mesures réalisées pendant 1 journée), un certain nombre de substances nécessitant des prélèvements plus longs (au moins une semaine complète) n’avaient pas été recherchées ; elles l’ont été dans le cadre du projet POEME.
[1] Sérafin G. Stratégies optimales de maîtrise de la qualité de l’air dans les bureaux : évaluation du potentiel des matériaux adsorbants. 2020
[2] https://www.oqai.fr/fr/campagnes/la-hierarchisation-des-polluants
Les méthodes déployées dans le cadre de POEME
Les mesures ont été réalisées dans 30 immeubles de bureaux de la région Nouvelle-Aquitaine entre septembre 2018 et juin 2019 pendant une semaine (5 jours) dans chaque bâtiment.
Les bâtiments ont été recrutés sur la base d’une démarche volontaire de leur propriétaire ou locataire(s), en visant à privilégier une diversité de configurations, en termes de date de construction, de proximité aux sources de pollution extérieures (trafic routier, industries, etc.) ou d’équipements techniques (système de ventilation par exemple).
Les mesures ont été réalisées par des prélèvements d’air d’un à cinq jours selon les polluants ciblés, dans 2 à 8 pièces par immeuble. Ces prélèvements ont ensuite fait l’objet de différentes analyses en laboratoire. Après leur pesée, les filtres ayant collecté les particules dans l’air ont été analysés pour rechercher les métaux et évaluer le potentiel oxydant.
Mesures de prélèvements d’air d’un à cinq jours selon les polluants ciblés – QAI bureaux - POEME
Des questionnaires descriptifs des bâtiments, de leur environnement extérieur et des activités de leurs occupants ont permis de mettre en perspective les concentrations intérieures mesurées avec les caractéristiques des bâtiments, leur environnement et leur occupation.
Les principaux résultats sur la QAI des bureaux
Aldéhydes
Les concentrations en aldéhydes sont globalement faibles, avec des concentrations cependant élevées en propionaldéhyde dont les sources n’ont pas été identifiées.
Les concentrations en composés organiques volatils (COV)
Distribution des concentrations en COV (n=102) (extrémités du boxplot : P5 et P95)
Elles sont globalement faibles, la médiane la plus élevée étant observée pour le limonène (2,4 µg/m3). Les concentrations les plus élevées sont observées pour les terpènes, notamment le limonène et l’a-pinène, et les siloxanes. Les concentrations élevées en terpènes dans l’air intérieur sont souvent observées depuis quelques années, en lien notamment avec l’utilisation de produits de nettoyage parfumés et/ou de parfums d’ambiance. Le bois est également associé à la présence de terpènes. Les siloxanes sont notamment présents dans les produits d’hygiène corporelle et les cosmétiques.
Parmi les COV « émergents » (jamais mesurés auparavant), environ 1/3 ne sont jamais détectés ; 1/3 sont détectés dans moins de la moitié des bureaux et 1/3 détectés dans plus de la moitié des bureaux. On observe la présence de deux composés chlorés détectés dans l’air intérieur alors qu’ils sont classés cancérogènes probables chez l’Homme. Il s’agit du 1,2,3-trichloropropane (détecté dans 8 % des espaces de bureaux) et du dichlorométhane (détecté dans 86 % des espaces de bureaux). Ces deux composés chlorés font partie de la liste des substances que l’Anses a considéré prioritaires dans le cadre d’un étiquetage des meubles vis-à-vis de leurs émissions de COV[1].
Les concentrations en composés organiques semi-volatils (COSV)
Elles sont les plus élevées pour les phtalates, les muscs de synthèse et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), ce qui est également observé dans les logements et les écoles. En revanche, elles sont globalement inférieures à celles mesurées dans ces autres lieux. Le lindane, insecticide organochloré interdit, est quantifié dans 73 % des bureaux.
Les concentrations en particules fines (PM2,5) restent plutôt faibles, avec une médiane égale à 8 µg/m3. A titre de comparaison, les médianes des concentrations en PM2,5 dans les logements et les écoles en France sont respectivement égales à 19 µg/m3 et 18 µg/m3.
Les concentrations intérieures en métaux montrent l’influence de sources extérieures. Des dépassements des valeurs réglementaires pour la qualité de l’air extérieur sont observés pour l’arsenic et le cadmium, dans un unique espace de bureau pour chacun (deux bâtiments différents).
Distribution des concentrations en COSV (n=30) (extrémités du boxplot : P10 et P90)
Un nouvel indicateur de la toxicité de l’air : le potentiel oxydant
Le potentiel oxydant n’étant pas une mesure règlementée à ce jour, il n’existe pas de valeur limite ou cible à ne pas dépasser.
Distribution du potentiel oxydant (n=25) (extrémités du boxplot : P10 et P90
Le potentiel oxydant définit la capacité des particules à générer des espèces réactives, qui induisent un stress oxydant dans les cellules pulmonaires. Il constitue ainsi un indicateur de la toxicité des particules présentes dans l’air. Le potentiel oxydant a été mesuré selon trois méthodes, ce qui fournit des informations tout à fait originales s’agissant d’air intérieur. Des associations sont observées entre le potentiel oxydant et les concentrations en HAP, notamment le pyrène et le fluoranthène.
Des typologies de bâtiments associées à des profils de pollution de l’air intérieur
La recherche de profils de pollution intérieure a fait apparaitre 4 typologies de bureaux, l’une d’elles représentant les bureaux peu pollués et rassemblant 30 % des pièces instrumentées.
Les caractéristiques expliquant les concentrations intérieures plus élevées dans certains groupes de bureaux sont :
- la pollution de l’air extérieur, les systèmes de ventilation mécanique ne permettant pas de limiter son transfert vers l’intérieur des bâtiments dans la majorité des cas (filtres à particules uniquement dans les caissons de ventilation double-flux et les centrales de traitement d’air, filtres moléculaires très rarement présents),
- la date de construction du bâtiment, les bâtiments plus anciens ou construits récemment présentant des pollutions différentes,
- les sources intérieures du type parking souterrain, dégât des eaux ou revêtement de sol plastifié.
En conclusion …
Le projet POEME fournit des concentrations intérieures de référence, pour les espaces de bureaux, qui pourront servir à mettre en perspective les concentrations mesurées dans de futures études.
Il appelle à s’intéresser aux substances que l’Anses a considéré prioritaires au regard de leurs émissions possibles par le mobilier.
Enfin, il confirme que les sources de pollution intérieure sont multiples, qu’il s’agisse de l’air extérieur et de sources intérieures diverses (revêtement, présence d’un parking souterrain, etc.), et donc qu’il faut agir sur tous ces leviers d’amélioration pour garantir une bonne qualité de l’air intérieur.
Télécharger le rapport complet
Par Corinne MANDIN , Responsable Division Qualité des Environnements Intérieurs, Direction Santé Confort - CSTB
Le projet POEME a bénéficié des financements de ATMO Nouvelle-Aquitaine, de La Rochelle Université et des fonds propres du CSTB.
Plusieurs laboratoires ont été associés à l’étude : la plateforme TIPEE, le laboratoire de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), le laboratoire POLLEM du CSTB et le laboratoire de l’Institut des géosciences de l’environnement (UMR5001 / UR 252) de l’Université de Grenoble.
Petit lexique
- ANSES : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
- COSV : Composés organiques semi-volatils
- COV : Composés organiques volatils
- CSTB : Centre scientifique et technique du bâtiment
- HAP : Hydrocarbure aromatique polycyclique
- OQAI : Observatoire de la qualité de l'air intérieur
- PO : Potentiel oxydant
- PM2,5 : Particules fines
- RSD : Règlement sanitaire départemental
Sources et liens