2020 se rapproche, la RE 2020 aussi …


Par Bernard Sesolis - Expert Energie Environnement


L’avènement de la future RE 2020 crée quelques fébrilités chez tous les acteurs de la construction.

2020, c’est dans deux mois. La RE viendra pointer son nez probablement fin 2020, le temps de laisser un maximum de délai à l’administration pour décider de l’expression et des niveaux des futures exigences auxquelles les nouveaux bâtiments devront s’astreindre.

A ce jour, la DHUP (1) communique sur les grandes lignes du contexte réglementaire à venir mais n’est pas encore en mesure d’en dessiner avec précision les contours (2). Tout juste savons-nous pour l’instant qu’elle s’inspirera de la RT 2012 et de l’expérience des labels E+C-. Les niveaux d’exigences en énergie et en émissions de gaz à effet de serre (Eges) en sont au stade des calages (3).

En attendant, un coup d’œil sur l’expérimentation E+C- et sur la réglementation thermique n’est pas inutile pour tenter de mesurer les principales évolutions qui en découleront en phase de conception.


RE 2020 ou réglementation environnementale 2020



Paradoxe : la RT n’est pas un outil de conception. Pourtant …

Si la RT n’a jamais été et ne sera jamais un outil de conception, il faut cependant revisiter le rôle des réglementations successives dans la manière de concevoir. Faisons donc un petit historique.

Le premier choc pétrolier provoqua un premier choc réglementaire dès 1974 en logements neufs : il faut alors isoler thermiquement les bâtiments. Le secteur tertiaire suivra dès 1976.

Après le deuxième choc pétrolier de 1979, la RT 74 devint la RT 82. Avec son coefficient B (comme besoin de chauffage), la RT 82 digéra toutes les expériences de l’habitat solaire et suivit les avancées en matière de conception de logements. Les concours 5 000 maisons solaires et le concours HOT 5 magnifièrent les apports solaires, qu’ils soient passifs (approche bioclimatique) ou actifs (usage de capteurs thermiques à eau surtout pour le chauffage ou la production d’ECS). Les méthodes de calcul foisonnèrent. La RT 82 pouvait s’appliquer selon 9 méthodes, toutes avec des algorithmes différents !

Cette époque fut celle où les architectes pouvaient s’impliquer dans la performance énergétique de leurs projets. Elle fut celle également où les thermiciens, « spécialistes des tuyaux ou des gaines », commencèrent à s’intéresser sérieusement aux performances du bâti. Certains d’entre eux dialoguèrent avec les architectes sur la démarche bioclimatique.

A partir de la RT 88, la prise en compte des pertes des systèmes de chauffage et d’ECS, la réglementation contribua à penser la performance énergétique en traitant toute la chaîne énergétique. A ce moment,  le calcul réglementaire devint un modèle plus complet que les méthodes « maison » ou les rares logiciels de STD qui ne pouvaient traiter que le bâti (4).

Dès lors, c’est la méthode réglementaire qui tira pour un temps la conception vers le haut de la performance énergétique, au moins dans la forme. Les années 90 connaîtront l’essor d’une approche plus globale des bâtiments avec, notamment, la démarche HQE (haute qualité environnementale) et ses 14 cibles. Dès lors, la RT apparaît très restreinte en ne contraignant qu’une seule de ces cibles. Il faudra attendre l’année 2000 pour que la RT de l’après Kyoto (1997) remplace après 12 années une RT devenue largement obsolète. Elle ne se cantonnera toujours qu’à l’énergie, mais avec deux sujets nouveaux pour une grande majorité des concepteurs (5) : le confort d’été et les consommations liées à l’éclairage. Viendra ensuite la climatisation en 2005. Ce dernier thème très connu des acteurs des secteurs tertiaires en termes de choix techniques et de dimensionnements sera aussi traité systématiquement selon les consommations d’énergie, banalisant ainsi une approche nouvelle pour les maîtres d’œuvre. La méthode RT nécessite alors un calcul au pas de temps horaire, sophistiquant les logiciels au point de rendre la démarche réglementaire aussi complexe qu’une conception s’appuyant sur une STD ! La confusion « conception/réglementation » aura atteint son apogée.

Le Grenelle de l’Environnement (2007), le concept du BEPOS et le label BBC auront préparé la RT 2012. Parmi les nouveautés de cette nouvelle étape, certaines auront contribué à modifier significativement la manière de concevoir une construction : la prise en compte de la production d’électricité, la perméabilité à l’air du bâti des logements, le traitement de certains ponts thermiques, et l’ouverture à l’innovation grâce à la procédure des commissions titre V.

Après presque 8 années d’application, la RT tire maintenant mollement les acteurs vers le haut, mais au moins, elle ne freine pas trop les initiatives et les innovateurs.

Les labels énergétiques (Effinergie) et bas carbone (BBCA) sont venus enrichir la manière de penser  un projet. Le premier, en exigeant une évaluation des énergies grises et de la mobilité et en prenant en compte les autres usages électriques, le second, en exigeant  prioritairement un bilan carbone. L’expérience E+C-, lancée il y a près de 3 ans par les Pouvoirs Publics et toujours en cours, oblige ceux qui veulent y répondre à renouveler profondément leurs habitudes de construction et, pour un nombre importants d’entre eux, à découvrir les ACV.

D’ici probablement un an, la RE 2020 va banaliser l’approche carbone. Elle sera, pour un temps, utilisée comme un nouvel outil de conception durant la période d’apprentissage des acteurs n’ayant pas tenté l’expérience E+C-. Mais, les applicateurs devront rapidement s’affranchir de cette méthode fatalement conventionnelle et privilégier des outils capables d’utiliser les hypothèses du terrain et pouvant moduler les questions d’usages et de comportements des occupants. Cependant, durant les premières années d’application, la valeur pédagogique de la RE sera indiscutable comme l’auront été certaines étapes réglementaires précédentes.

Quels contours pour la future RE ?

Si le référentiel E+C- oblige ceux qui s’y frottent à revisiter leur manière d’imaginer leurs projets, il aura quand même laissé en plan quelques critères très intéressants du point de vue de la conception proposés dans les labels Effinergie : la modulation de la production de référence selon le nombre de niveaux du projet et le bilan « mobilité ». En revanche, E+C aura introduit une différenciation très pertinente de l’utilisation de l’électricité produite, autoconsommée ou exportée, incitant le maître d’œuvre à réfléchir à l’usage immédiat et différé de cette électricité.

Cela dit, cette précision dans les usages de l’électricité produite n’aura de vraies répercussions  que si la prise en compte des autres usages électriques (électroménagers, bureautique, ...) sera maintenue dans la future RE. Ce n’est pas encore acquis aux dires d’Emmanuel Acchiardi (2).

Les arbitrages sur ce qui sera pris en compte et ce qui sera abandonné n’ont pas encore été rendus. Ils seraient annoncés vers le printemps 2020.


ACV et carbone … ou le talon d’Achille


Exemple de bâtiment E3 C2, établissement scolaire étudié par le BET Graton   >>> Lien de la réalisation


Le sujet nouveau est encore un nouveau-né malgré son âge (6). Un bilan ACV nécessite des données pour chaque constituant. La base INIES comporte actuellement environ 2 000 fiches FDES et PEP. C’est à la fois très bien au regard du travail accompli pour les élaborer, mais nettement insuffisant pour estimer avec un minimum de précision l’impact carbone d’un bâtiment. 
Pour atteindre un niveau C1, l’expérimentation E+C- montre que le concepteur doit utiliser le moins possible les valeurs par défaut, forcément pénalisantes pour inciter l’offre industrielle à étoffer le nombre de fiches déclaratives. A fortiori pour un niveau C2. 
Un coup d’œil sur le bilan de l’expérimentation montre que de nombreuses opérations n’atteignent même pas le niveau C1. Les raisons sont multiples. L’une d’entre elles est la relative pauvreté de la base de données obligeant à réaliser un bilan carbone avec trop de valeurs forfaitaires.

Si ces dernières étaient plus généreuses ou moins contraignantes, les industriels seraient moins mobilisés pour bonifier leurs produits en réalisant des FDES et des PEP coûteuses pour eux.
Si les valeurs par défaut étaient trop pénalisantes, certains produits issus de petites industries (PMI, PME) qui n’ont pas les moyens d’élaborer des FDES seraient écartés du marché de la construction. 
La DHUP a donc la lourde tâche de bien positionner le curseur. Un exercice d’autant plus délicat que le temps manquera pour fantasmer une RE à 0 défaut.


Elan et freins

La loi Elan promulguée l’année dernière a donné le tempo pour la RE. Ce sera en 2020. Cette contraction du temps donne un peu le vertige  au regard du travail qui reste à fournir pour élaborer un texte ambitieux, équilibré, … et applicable. Une quadrature du cercle que certains acteurs ne manqueront de critiquer. La future RE sera « trop ». Trop précoce, ou trop timide, ou trop complexe, ou trop discriminante. La mise en place d’une mesure incitative pour les « bons élèves » est un exercice relativement aisé. Quand il s’agit de transformer cette expérience en règle obligatoire pour tous, l’affaire devient délicate.
De nouvelles concertations sont prévues par la DHUP en 2020 à l’aune des résultats des simulations technico-économiques qui vont être réalisées cet hiver.
La question du carbone reste pour certains un sujet pas assez mûri pour être imposé avec des contraintes de résultats (de calculs bien sûr ...). Des propositions se font entendre allant dans le sens d’un niveau d’exigence ambitieux en énergie et, durant la phase d’apprentissage (2020 -2025 ?), sans aucun niveau d’exigence en carbone avec juste l’obligation de faire le calcul.
Un choix prudent … peut-être trop prudent. Sans aucune contrainte sur un niveau carbone supprimerait la pression exercée sur le marché pour étoffer les bases de données des ACV.

Il est urgent d’attendre les résultats des nouvelles simulations qui seront réalisées avant le printemps pour y voir plus clair.
Toujours est-il que l’année 2020 sera aussi palpitante qu’angoissante.
On vit une époque formidable !

  1. Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysage, chargée de l’élaboration de la RE 2020 au Ministère de l’Ecologie
  2. Voir sur Xpair l’intervention d’Emmanuel Acchiardi de la DHUP sur l’avancement de la mise en œuvre de la RE 2020,  Journée de l’’Efficacité Energétique et Environnementale su Bâtiment - EnerJ-meeting à Nantes le 10 Octobre 2019.
  3. Un appel d’offres a été lancé par la DHUP afin de trouver des entités aptes à réaliser ces calculs. Cet appel d’offres s’est clos le 18 Octobre 2019.
  4. Des logiciels américains tels que TRNSYS ou DOE2 pouvaient faire un calcul complet. Cependant, l’investissement en informatique et en temps d’apprentissage n’était pas envisageable pour la plupart des BET.
  5. La démarche Haute Qualité Environnementale  n’était à ce moment l’apanage que de quelques acteurs de la construction à la pointe de l’innovation.
  6. Les premiers travaux sur les analyses de cycle de vie et l’approche carbone appliqués au bâtiment datent des années 90.


Commentaires

  • vieil insoumis
    0
    08/11/2019

    Le problème peut sembler se situer dans une réglementation qui se présente pour le moins "Alambiquée", alors bien sur la loi doit être bienveillante, protectrice et promotrice de techniques nouvelles mais il y a plusieurs énormes "Mais"!:
    - La paupérisation technique des entreprises du secteur du Bâtiment , qui ressemble à celle rencontrée dans le nucléaire et qui fait que l'EPR ne fonctionne toujours pas car nous n'avons plus les "Soudeurs" d’antan.
    - La lutte à mort qui sévit sur le marché de la construction des Maisons individuelles est source de bâclages de contournements des réglementation, Sismiques, Termites, Thermiques .
    - RT 2012 prévoyait comme un épouvantail, (Car déjà les dérives existaient) que le dépassement de consommation serait imputable à la Maîtrise d'oeuvre, personne n'est au courant .
    - Il faut faire simple , libérer le marché et ne donner qu'un but simple :
    Chaque maison neuve devra est équilibrée à 0 consommation par an, en cas de dépassement c'est le constructeur qui paye, sous réserves que les consignes de chauffage et de climatisation contractuellement fixées et facilement contrôlables soient respectées.
    Tous les moyens techniques disponibles sont utilisables pour atteindre ce résultat facile à contrôler.

    Il ne faut pas faire confiance au Marché sans un puissant levier de coercition à disposition, par contre il est capable dans le cas contraire de nous épater.




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