Par Bernard Aulagne, Président de Coénove
Après plusieurs mois d’accalmie liés à l’expérimentation du Label E+ C- devant préfigurer la future réglementation thermique dans le bâtiment neuf, dite RE2020, les discussions ont repris de plus belle sous l’égide de l’administration au travers de groupes d’experts, au nombre de 15… et de groupes de concertation, au nombre de 4.
Plusieurs centaines de personnes phosphorent ainsi pour mettre au point une réglementation qui se veut aller au-delà de la simple maîtrise des consommations énergétiques et devenir environnementale. Un véritable défi consistant à s’intéresser à l’empreinte carbone du bâtiment sur l’ensemble de son cycle de vie, une première en Europe sachant que la France avait déjà atteint un très haut niveau d’exigence avec la RT2012.
Et le temps qui passe confirme l’ampleur de la tâche : caler les méthodes de calcul, identifier l’empreinte carbone de chaque lot, chaque équipement, toute la filière du bâtiment s’est mobilisée : architectes, bureaux d’études, industriels, … pour relever ce défi et respecter le calendrier (trop) serré de publication et d’entrée en vigueur visée à 2020.
Et puis, tout d’un coup, au détour d’un Groupe dit « de concertation », la DGEC sort l’argument magique du chapeau : plutôt que de progresser par l’innovation, il suffit d’un coup de gomme pour modifier le coefficient d’énergie primaire de l’électricité, le baisser de 2,58 à 2,1 - alors qu’il est aujourd’hui plus proche de 2,7 en allant chercher un mix électrique 2035 !
Graphe extrait de la note de cadrage « Révision de la méthode de calcul des facteurs d’émissions et du facteur de conversion en énergie primaire de l’électricité », envoyée par la DHUP aux acteurs le 29/03/19
Lexique : PEF = Primary Energy Factor
Chacun sait bien pourtant que présupposer l’atteinte des objectifs pour définir une règlementation incitative est le meilleur moyen de ne pas atteindre ces objectifs …
Mais finalement, qu’induirait cette baisse pour le secteur du bâtiment ?
Conséquences de la baisse du PEF en construction neuve
→ En maison individuelle neuve, une baisse du PEF de l’électricité se traduirait par une baisse de la part de marché de la PAC, solution leader à date, au profit des solutions Effet Joule qui aujourd’hui ne peuvent passer réglementairement qu’au prix d’une sur-isolation importante afin de compenser leur moindre performance énergétique. En effet, la souplesse accordée par le nouveau PEF (Primary Energy Factor), en cas de droit à consommer en énergie primaire inchangé par rapport à la RT 2012 (base moyenne 50 kWhEP/m²)* conduirait à autoriser une réduction du niveau d’isolation de la solution Effet Joule et donc du coût de la solution globale. La PAC, du fait de ses performances, étant déjà au niveau d’isolation minimal imposé par la réglementation ne peut obtenir de réduction sur ce poste du fait d’une baisse du PEF.
A noter que la solution gaz, bien que la mieux placée financièrement sur le papier, n’est pas majoritaire sur le marché. En effet, la PAC, parce qu’elle peut être installée partout et grâce à son image d’ENR performante, est régulièrement privilégiée.
→ En logement collectif, le même principe s’appliquerait. La baisse du facteur EP redonnerait de la compétitivité à l’Effet Joule en autorisant une diminution de l’isolation dans son cas, ce qui positionnerait cette solution au même coût que la chaudière gaz individuelle avec moins de contraintes. De plus, l’imposition d’un taux de chaleur renouvelable dans le neuf (inscrit dans le projet de PPE) ferait del’Effet Joule (associé à un chauffe-eau thermodynamique pour la part EnR) la solution la plus compétitive à l’investissement vue des promoteurs.
Quel impact sur les appels de puissance ?
La prédominance de solutions de chauffage à base d’électricité viendrait bouleverser l’équilibre énergétique globalement retrouvé lors du passage de la RT2005 à la RT2012 qui avait écarté les solutions les moins performantes comme l’effet joule . Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on assisterait progressivement à un retour à la hausse régulière de la pointe électrique hivernale, après une augmentation dans les années 2000 justement enrayée ces dernières années avec la RT2012.
Avec près de 200 000 nouveaux logements « électriques » en moins chaque année sur la période RT2012 par rapport à la RT2005, la croissance de la pointe électrique a pu être stoppée et le dernier pic historique remonte à février 2012 quand le record était au préalable battu quasiment chaque année (voir graphe ci-dessous).
Source RTE, Bilan électrique 2018
Depuis quelques années, selon RTE, la consommation et la pointe électrique sont entrées dans une phase de stabilité. Dans le secteur résidentiel, on peut considérer que les nouvelles consommations des logements « électriques » neufs (moins nombreux), sont plus ou moins compensées par l’efficacité énergétique dans l’existant. L’alimentation électrique reste toutefois fragile lors d’épisodes de froid du fait de la grande thermo-sensibilité liée au chauffage électrique largement développé en France (près de 50% de la thermo-sensibilté Européenne), comme le rappelle régulièrement François Brottes le président de RTE.
La pointe liée au chauffage électrique résidentiel est aujourd’hui d’environ 30 GW en France (soit une base de 3 kW pour 10 millions de logements concernés). En considérant un retour massif de l’électricité dans le chauffage des bâtiments neufs, en particulier collectifs, jusqu’à 200 000 nouveaux logements supplémentaires pourraient ainsi nécessiter de 300 à 400 MW de puissance (2 à 3 kW/logement x foisonnement 70%) soit l’équivalent d’une centrale au gaz supplémentaire chaque année.
Cette augmentation est à ajouter à l’augmentation naturelle liés aux usages électriques placés chaque année dans le bâtiment neuf (aujourd’hui compensée par l’efficacité énergétique sur le parc) et à moyen/long terme au développement de la mobilité électrique. Mais surtout, à plus court terme, elle viendrait s’ajouter aux centaines de milliers voire millions de conversions fioul incitées dans l’existant. Celles-ci pourraient nécessiter plus de 10 GW supplémentaires ces prochaines années en cas de conversion massive vers des PAC électriques (une PAC air/eau au plus froid de l’hiver nécessite une puissance électrique qui se rapproche de celle d’un équipement effet Joule ; en moyenne cela pourrait représenter une puissance unitaire additionnelle de 5 kW nécessaire sur ces conversions fioul).
La progression de la pointe électrique nécessiterait de renforcer les moyens de production, vraisemblablement carbonés, pour assurer l’équilibre offre-demande couplés au renforcement des imports eux aussi carbonés en période de pointe, voire les infrastructures électriques associées. L’effacement ou le stockage d’électricité ne peuvent à date - tant sur le plan technique qu’économique - être des solutions envisageables à grande échelle à court/moyen terme. La consommation de gaz en centrale pour produire de l’électricité destinée à chauffer des bâtiments électriques reste un non-sens énergétique et écologique.
A terme, les centrales à gaz ainsi mobilisées détourneraient des volumes conséquents de biogaz avec un rendement de 2 à 4 fois inférieur à celui offert par les technologies gaz performantes pour le chauffage décentralisé des bâtiments. Ceci fermerait un cycle totalement contre-productif par rapport aux enjeux de décarbonation et contraire à l’ambition de la France en matière de climat.
Autre effet sur le Diagnostic de Performance Energétique
Sur le parc de logements existant, caractérisés par leur performance énergétique au travers de l’étiquette DPE exprimée en kWh d’énergie primaire par m², les logements chauffés à base d’électricité verraient leur classe énergétique progresser vers les niveaux de logements plus économes, en gagnant le plus souvent une classe énergétique.
Ainsi, un peu miraculeusement, gratuitement et sans aucun effort, plus d’1 million de logements chauffés à l’électricité actuellement classés en étiquette F ou G du DPE sortiraient de cette catégorie de logements considérés comme des « passoires thermiques » que la LTECV (loi de transition énergétique pour la croissance verte) vise à supprimer d’ici 2025, soit un bon 15% des logements en F et G toutes énergies confondues.
Bien entendu, ceci n’aurait absolument aucun effet sur les factures ni le degré de précarité éventuel des occupants de ces logements.
RE2020 : ambition ou régression. Qu’en conclure ?
Au-delà du côté choquant de cet ukase de l’administration, cette baisse du PEF (Primary Energy Factor) comporte des effets pervers non acceptables :
1. En desserrant l’objectif fixé en énergie primaire à rebours de la RT2012, elle donne un contresigne incompréhensible à l’effort nécessaire d’efficacité énergétique ;
2. En favorisant artificiellement l’électricité, elle permet le retour des solutions les moins performantes dont la RT2012 avait permis la diminution au bénéfice de solutions telles que la pompe à chaleur air/eau et les chaudières gaz à très haute performance énergétique avec les gains constatés par RTE sur la gestion de la pointe électrique. Concrètement, on se retrouve avec des solutions RT2005, on est bien loin de l’ambition claironnante de la RE2020 …
3. Enfin, et toujours toutes choses égales par ailleurs (c’est à dire à exigences de la RT2012 inchangées sur le droit à consommer exprimé en énergie primaire), une baisse du PEF ferait que les occupants d’un nouveau logement construit en 2020 auraient une facture de chauffage (électrique) plus élevée – à proportion de la baisse relative de PEF – qu’un logement équivalent construit antérieurement sous la RT2012. Ce serait une première dans l’histoire !
Cette baisse n’est donc pas acceptable en l’état et relève plus d’un tour de passe visant à justifier l’injustifiable qu’une véritable mesure prise dans l’intérêt général.
Toutefois, il ne s’agit pas de graver dans le marbre cette valeur de 2.58 et il sera nécessaire et pertinent de revoir le PEF dès lors que l’impact du développement des EnR dans le mix sera significatif mais surtout que la part du nucléaire aura concrètement baissé.
Plutôt que de se projeter dans l’incertain de 2035, la Réglementation Environnementale RE2020 se doit de retenir une position pragmatique en maintenant le statu quo sur la valeur de 2.58, valeur qui continue à donner un avantage significatif à la filière électrique malgré ce qu’elle avance, dans la mesure où la valeur réelle du PEF est actuellement de 2.72, comme l’indique la DGEC.
Fait par Bernard Aulagne, Président de Coénove
Ne serait-il pas enfin intéressant d'orienter le débat vers les émissions de CO2 qui sont maintenant l'enjeu majeur?
Le discours tourne autour de la performance énergétique mais pas de la performance carbone et là les conclusions sont nettement différentes. Il est vrai que la PAC est leader du marché en maison individuelle mais il n'est malheureusement pas mentionné dans cette note que le gaz domine largement en logement collectif contribuant à un impact carbone non négligeable. Il est temps pour notre secteur d'activité d'être exemplaire et de montrer l'exemple pour diminuer massivement l'impact carbone de nos constructions.