Par Bernard Reinteau - Journaliste en Presse Bâtiment
Après dix ans d’aides par le Fonds Chaleur, les industriels du chauffage urbain (réunis au sein du syndicat national SNCU (Syndicat National de Chauffage Urbain), l’association Amorce et l’Ademe mesurent l’impact de ce soutien à la chaleur renouvelable sur les réseaux existants : leur ratio d’énergies renouvelables et de récupération est passé de 31% à 59,4%. Un doublement qui, s’il se poursuit au même rythme, sera pourtant insuffisant pour atteindre les objectifs de 2028 de la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Réseaux de chaleur et chauffage urbain - Source Fedene -
Effort correct mais insuffisant !
Tel était le constat des parties prenantes du chauffage urbain – le syndicat SNCU – Fedene, l’association Amorce et l’Ademe – qui ont organisé début Décembre dernier les 16e Rencontres nationales des réseaux de chaleur et de froid. Les chiffres de 2019, derniers disponibles et consolidés, indiquent que la France est équipée de 798 réseaux de chaleur et de 24 réseaux de froid.
Réseaux de chaleur : dix ans d’investissements
Implantés depuis des décennies, les réseaux de chaleur ont connu une révolution au cours des 10 dernières années. En 2009, ces installations étaient aux deux tiers alimentées en gaz naturel, fioul et charbon ; aujourd’hui, elles sont à 60% alimentées par les unités de valorisation énergétique (UVE, les incinérateurs d’ordures ménagères), les unités de biomasse (des chaudières à bois) et plus marginalement par la géothermie, du biogaz ou de l’énergie fatale issue de l’industrie.
Les UVE fournissent 8 des 18 TWh de chaleur verte (43% de la chaleur verte, en augmentation de 23% sur 10 ans), la biomasse, 7 TWh (1 TWh en 2009), et la géothermie 2 TWh (aux trois quarts en Île-de-France, 1 TWh en 2009).
Cette moyenne et ces chiffres cachent cependant le développement de nombreuses installations très majoritairement basées sur les énergies renouvelables et de valorisation des énergies fatales ; à contrario, 150 réseaux de chaleur restent exclusivement alimentés en énergies fossiles. Ce qui, on le verra plus loin, pourrait constituer un gisement de progrès, selon les acteurs de la filière.
Les organisateurs des Rencontres souligne l’impact évident du Fonds Chaleur mis en place à la fin des années 2000 qui, malgré les fluctuations annuelles de l’enveloppe d’aides, a permis de soutenir ce développement, essentiellement en faveur de la biomasse. Le montant global d’aides distribuées par l’Ademe depuis 2009 atteint 2,27 Mds€, ce qui a produit un important « effet de levier » puisque les quelques 5 300 opérations financés – réseaux ou unités de production de chaleur – ont généré près de 8 Mds€ d’investissement. Pour cette année 2021, l’enveloppe sera de 350 M€.
Au bilan, la part des EnR et de la récupération a concrètement doublé, et le contenu carbone des émissions des réseaux de chaleur est passé de 190 g/kWh en 2009 à 107 g/kWh en 2019, soit une baisse de 44%. Les professionnels du secteur n’hésitent donc pas à afficher un contenu en CO2 54% inférieur à celui du gaz naturel.
Seconde évolution notable : le quasi-doublement du linéaire de réseaux. De 3 321 km en 2009, il atteignait, fin 2019, 5 964 km. Le nombre de bâtiments raccordés évolue dans des proportions moindres : 40 993 fin 2019 contre 24 061 en 2009. Le résidentiel est le premier client de la chaleur distribuée (55,3% des livraisons), et le tertiaire arrive en second (33,8%). À noter cependant que le volume de chaleur livré nette a peu évolué : 25,6 TWh en 2019 contre 23,4 TWh en 2009, notamment en raison du taux de rigueur climatique de l’ordre de 0,90 au cours des années 2017-2019 contre 1 en 2016.
Faire face aux nouveaux enjeux énergétiques
Malgré les efforts déployés au cours de la décennie passée, ce secteur des réseaux de chaleur se retrouve face à des impasses. En premier lieu, la tendance des engagements actuellement pris ne permettent pas d’atteindre les objectifs législatifs fixés. Au terme de 2028, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit deux scénarios : une hypothèse basse de 49 TWh de chaleur livrée avec 31 TWh de chaleur issue d’énergies renouvelables et de récupération, et une hypothèse haute de 57 TWh de chaleur avec 36 TWh d’EnR&R.
Pour sa part, la loi de transition énergétique de mi-Août 2015 fixe un cap encore plus élevé : 61 TWh de chaleur livrée dont 39,5 TWH issus d’EnR&R.
Pour les professionnels, ces objectifs sont difficilement tenables ; il s’agit à nouveau, dans la décennie à venir, d’au moins doubler la production de chaleur renouvelable et de récupération. En réalité, les volumes de chaleur livrés se maintiennent pratiquement au même niveau depuis plusieurs années (environ 25 TWh), et l’effort mené depuis dix ans pour développer la chaleur verte permet au mieux d’atteindre un volume de 17 à 18 TWh en 2023 contre 24,4 TWh escomptés par la PPE de 2014 (dite « première PPE »). Un phénomène qui tient à la fois à la douceur du climat hivernal de ces dernières années, à la performance énergétique des bâtiments connectés aux réseaux, à la forte concurrence des solutions autonomes ou individuelles et à l’intensité du financement nécessaire pour augmenter les moyens de production de chaleur et de distribution par les réseaux.
À ce sujet, les acteurs du chauffage urbain sont particulièrement inquiets des annonces de la réglementation environnementale sur la construction des bâtiments neufs, la RE 2020. Pour le logement collectif ou le tertiaire, deux très importants consommateurs de chaleur, la pompe à chaleur ressortira souvent plus attractive que le réseau de chaleur pour tenir les objectifs réglementaires. Les sources auprès des administrations centrales indiquent que les grands arbitrages sont faits.
De même, les simulations à l’aide du code de calcul de la RE 2020 assurent que les réseaux de chaleur seront mis en difficultés face à d’autres options techniques comme les pompes à chaleur. Toutefois, les premières indications sur les modalités de la RE 2020 ont été lancées avant la publication des textes réglementaires, et les industriels des réseaux de chaleur comme les collectivités impliquées dans cette économie souhaitent être écoutés par le ministère de la Transition écologique pour y voir clairement ajoutés cette solution technique collective.
L’une des propositions du SNCU est de demander à conserver une boucle d’eau chaude dans les bâtiments de manière à maintenir la possibilité de se connecter à un réseau de chaleur ou une autre énergie collective, telle une chaufferie gaz.
En outre ce syndicat juge l’objectif de 6 kgCO2/m²/an en logements collectifs en 2024 trop proche pour lui donner le temps de s’adapter.
En revanche plusieurs initiatives récentes participent à l’amélioration de l’offre de chaleur en réseau ; elles figurent parmi les grandes orientations annoncées en 2020 par l’Ademe, gestionnaire du Fonds Chaleur. Il faut en citer deux :
- la poursuite de l’appel à projet BCIAT 2020 (Biomasse Chaleur Industrie Agriculture Tertiaire), dont les résultats doivent être annoncés ce mois de Janvier et qui portera sur de la biomasse de plus de 12 000 MWh/an,
- l’aide aux installations solaires de grandes surfaces : 200 MWh/an ou ≥ 500 m² de capteurs pour le résidentiel collectif, l’industrie, le tertiaire ou l’agriculture et 700 MWh/an ou ≥ 1 500 m² pour les installations couplées à un réseau de chaleur avec stockage.
Enfin, le SNCU évoque deux pistes pour accélérer le verdissement des réseaux. En premier lieu, il évoque la possibilité pour une collectivité qui afferme son installation de production de chaleur de la verdir avant la fin du contrat de concession. Souvent, les améliorations sont apportées en fin de concession grâce aux possibilités de financement disponibles à cette échéance. En second lieu, il pose un double constat : le plafonnement des installations dans les grandes villes et le sous-équipement en fourniture de chaleur et réseaux des petites et moyennes agglomérations – la moitié des villes de plus de 10 000 habitants ne sont pas équipées. Une action spécifique en direction de ces collectivités permettrait de tenir les engagements dictés par la loi de transition énergétique et la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Les réseaux de froid : efficaces mais concurrencés par la PAC
Bien plus modestes en nombres et en clients, les réseaux de froid ont aussi considérablement évolués au cours des dix dernières années. À noter qu’ils sont éligibles, sous conditions de critères d’exploitation d’énergies renouvelables et de récupération, au Fonds Chaleur depuis 2018.
Les 24 sites existants desservent 239 km de réseaux (chiffres à fin 2019, 131 km en 2009), et 1 339 bâtiments (870 en 2009, des hôpitaux, des aéroports, des musées, des bureaux, …). Depuis 2017, la production livrée se maintient aux environs de 1 TWh/an. Pour 2023, la première PPE fixait un objectif annuel de 1,1 TWh ; la PPE 2020-2028 pose un objectif bas de 1,4 TWh et un objectif haut de 2,7 TWh, ce avec une part de froid renouvelable et de récupération.
L’application du décret obligeant la rénovation du parc tertiaire pourrait laisser penser qu’il fournirait un élan aux réseaux de froid. Ici encore, la concurrence des pompes à chaleur, soutenue par la récente modification du poids carbone de l’électricité (79 g/kWh) et du coefficient d’énergie primaire sur énergie finale (2,3) handicape le jeu.
A consulter :
- Le site dédié au Fonds Chaleur animé par l’Ademe - Cliquez ici
- Résultats de l’enquête 2020 sur les réseaux de chaleur et de froid - Cliquez ici
- Le site de l’association des collectivités territoriales Amorce - Cliquez ici
- Le site du syndicat national du chauffage urbain, SNCU, au sein de la fédération Fedene - Cliquez ici
- Le site de l’observatoire des réseaux de chaleur tenu par ViaSeva - Cliquer ici
- Guide pédagogique de la FNCCR - Cliquez ici
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.
Il faudrait vraiment réduire les frais de raccordement.
Sur Lyon, si ce n'est pas imposé, alors la chaufferie classique ou la PAC l'emporte toujours.
150 à 200 keur pour raccorder un immeuble !!!