Par Vincent Lavergne, architecte et urbaniste
C’est un excellent projet de l’architecte Vincent Lavergne de rénovation globale avec extension et surélévation d’une tour parisienne. Conserver l’existant, comment s’en servir pour l’adapter et lui redonner vie et valeur dans un objectif de mutation adapté aux nouveaux objectifs écologiques et sociaux. Tel est le challenge réussi et remarquable pour cette ancienne tour parisienne dont la destinée aurait pu être la destruction mais qui a repris une seconde vie.
Au-delà du bilan carbone, cette surélévation de la tour « Watt » dans le 13ème de Paris est la plus haute de France. Un remarquable projet où enjeux écologiques et urbains ont été réussis. Ce retour d’expérience présenté lors de la Journée d’EnerJ-meeting le 31 Mars dernier et que nous proposons de partager aux lecteurs d’XPair.
Mutation d’une tour ancienne avec rénovation, extension et surélévation
La Tour Watt, une totale transformation en rénovation, extension et surélévation
C’est un projet qui parle de la transformation de la ville sur la ville et qui nous permet à travers la mutation d’un immeuble typique des années 70, typique des Trente Glorieuses, de raconter comment aujourd’hui nous pouvons transformer des bâtiments existants même si par leurs morphologies ou leurs styles ils étaient réputés comme des éléments non transformables.
C’est un bâtiment de 1970 de 50 m de haut qui appartient à la SNCF, ICF HABITAT est le maître d’ouvrage de l’opération. C’est une opération que nous avons menée avec le Groupe EIFFAGE et les bureaux A&B PMCR pour l’aménagement intérieur de la tour et l’ingénierie.
Ce bâtiment, qui servait à loger des cheminots en transit, est occupé par un plan d’étages courant avec toujours les mêmes chambres qui se répètent sur 14 niveaux, et symbolise le quartier tel qu’il était avant avec ce pignon qui s’adosse aux voies de chemins de fer, puisque réglementairement nous n’avons pas le droit de s’ouvrir sur les voies de chemins de fer, mais il y a un élément perturbateur qui est la couverture de ces voies de chemins de fer qui a profondément changé les conditions urbaines de ce quartier.
Au préalable des études avaient été faites sur différentes hypothèses, notamment la démolition de la tour. La présence d’une école qui se situe dans le bâtiment, la cour de l’école presque en mitoyenneté de la tour empêchait sa démolition, et a orienté le maître d’ouvrage vers un procédé de rénovation énergétique thermique en premier lieu, mais qui a été l’opportunité de transformer la tour en profondeur.
Sur le plan narratif nous avons proposé une histoire qui essayait de changer l’image que même le maître d’ouvrage avait de cette tour, un vieux bâtiment obsolète des années 70 dont on ne savait pas trop quoi faire, nous savions juste que nous ne pouvions pas le démolir du fait de la présence de la cour de l’école. Nous avons donc suggéré une histoire et avons commencé de parler de ce bâtiment comme d’un « organisme vivant », qui selon peut être une forme d’évolution un peu darwinienne, serait amené à se transformer pour s’adapter à son environnement qui était lui-même en profond bouleversement.
C’est la couverture des voies de chemins de fer entrepris par la SEMAPA à partir des années 2000 qui a fortement transformé le caractère du quartier et qui a rendu la tour encore plus obsolète. Donc l’idée était de proposer un processus de mutation de cette tour pour l’adapter aux nouveaux impératifs de développements écologiques, sociaux et aussi pour l’adapter aux nouvelles conditions urbaines de ce quartier en profonde transformation.
Tour Watt existante avant transformation
Nous avons commencé à raconter une histoire, « comment est-ce que cette tour, qui n’était plus un objet mort en béton venu d’une autre époque mais qui était un « organisme vivant », allait pouvoir grâce à nous comme des petits globules blancs se transformer, s’adapter aux nouvelles conditions urbaines de ce quartier ».
Nous voyons sur l’image l’entrée du tunnel de la rue Watt qui est bien connue dans l’imaginaire de ce 13ème historique, le tunnel est recouvert par les voies de chemins de fer ce qui fait qu’aujourd’hui la tour se retrouve vraiment adossée, collée contre le tablier des voies de chemins de fer.
Nous voyons ci-après comment nous avons démoli la tour, c’est l’entreprise DSP qui a mené cette démolition. Nous avons supprimé « l’escalier historique » qui était en pignon sur la tour et ces petites machines sont venues grignoter les éléments à démolir, c’est une démolition qui a été faite de manière chirurgicale et l’ensemble des gravas a été acheminé par le noyau central.
Démolition chirurgicale des éléments, les gravas évacués via l’ancienne cage d’escalier aménagée en trémie
Une surélévation de 4 niveaux en bois !
La tour Watt, avec extension et surélévation
La tour mesure 50 m, nous sommes déjà à la limite de la 4ème famille, néanmoins la couverture des voies de chemins de fer à gauche de l’image, qui recevra des bâtiments et un parc nous a permis d’adapter, de compter, d’appliquer le plafond des hauteurs non plus depuis la rue du Loiret en bas mais depuis la rue Louise Bourgeois nouvellement créée à partir du haut, ce qui nous a autorisé de proposer une surélévation de 4 niveaux de cette tour.
Nous avons proposé de faire cette surélévation en bois puisque sur le plan économique, pour être capable de réaliser cette surélévation, il fallait ne pas avoir à renforcer la structure de la tour.
Le bois nous a permis de proposer une surélévation, une valorisation de la tour pour créer des surfaces supplémentaires et adapter encore une fois cette tour aux nouveaux usages, à la nouvelle manière de vivre qui a bien changée depuis les années 70, et approprier cette tour à cette nouvelle manière de vivre.
Nous avons 4 niveaux qui sont à la hauteur du tablier qui sont reportés sur la hauteur de la tour, ce qui fait que nous nous retrouvons avec un bâtiment qui mesure 50 m depuis la rue Louise Bourgeois mais quasiment 60 m depuis la rue du Chevaleret sans être un IGH puisque la voie Pompier est celle qui est située à 12 m au-dessus du sol.
Nous voyons ici la surélévation bois, l’extension bois que nous verrons plus tard en façade, puis la création du socle.
Les différents processus de transformations, toujours dans l’idée de cet « organisme vivant » qui se transforme, cette tour va être amenée à se transformer selon 3 grands mouvements, elle va s’élever, se retourner et s’étendre. Nous allons venir construire une surélévation bois sur le toit, les 4 niveaux dont nous vous avons parlé, nous allons venir construire tous les espaces résiduels présents au pied du bâtiment de façon à insérer un équipement public en pied de bâtiment à destination des habitants du quartier, avec des bureaux.
Tour Watt : Les étapes de rénovation, extension et surélévation
Nous avons pris l’initiative de proposer un grand nombre de terrasses pour renouveler l’offre de logements, et de proposer des logements et des espaces collectifs relativement généreux notamment dans les hauteurs, ouverts avec de grandes terrasses.
La tour Watt avant d’être revêtue de son manteau de façade métallique
Un bâtiment mixte pour les usages et mixte pour les modes constructifs
Aujourd’hui le bâtiment est quasi terminé avec le socle d’équipement au rez-de-chaussée sur 2, 3 niveaux, l’entrée des logements depuis la partie haute et le corps principal de la tour qui s’élève et se termine en une succession de terrasses.
Nous aimons à dire que nous sommes venus prendre un bâtiment monofonctionnel, mono-matériau datant d’une époque et le transformer de façon à rendre un édifice mixte sur le plan des programmes puisque nous insérons un équipement public, des bureaux, une maison de santé et des logements de différentes natures.
Puis mixte aussi, sur le plan des systèmes constructifs car nous venons sur un bâtiment historique en béton, y adjoindre des éléments en bois et une façade en pierre massive pour l’extension. Nous avons pris un bâtiment monofonctionnel, mono-matériau des Trente Glorieuses et nous sommes venus restituer un bâtiment contemporain mixte sur le plan des matériaux et des usages.
La tour Watt dans son aspect fini en 2022
Le socle est recouvert de pierres et les façades sont recouvertes de métal déployé avec ce pare-pluie en acier qui est une des particularités que nous utilisons maintenant beaucoup dans les bâtiments de 4ème famille avec une forte proportion de matériaux biosourcés, notamment en structure, et le socle en métal déployé qui est venu draper l’ensemble de la façade de façon à créer une unité.
L’idée était vraiment de fabriquer une tour contemporaine sans chercher forcément à montrer la surélévation bois par rapport au socle béton, puisque l’idée était de restituer une tour complètement renouvelée et pas simplement une surélévation d’une tour existante.
Nous avons fait simplement varier la dimension des mailles du métal déployé de façon à faire vibrer la façade, c’est un projet qui a été mené avec une très forte économie en conception-réalisation pour un bailleur social, nous avons vraiment cherché à fabriquer un effet assez important et spectaculaire avec un matériau très simple.
Détail de façade de la tour Watt à Paris
L’application du PLU et de ses retraits nous a permis de faire de très grandes terrasses, la terrasse la plus basse c’est la fameuse terrasse qui est commune à trois logements.
La terrasse intermédiaire est privative avec un logement qui fait une vingtaine de m² qui a une terrasse de 50 m², la terrasse du haut qui fait le tour du bâtiment est, elle, la terrasse qui est liée à la salle collective qui est une salle commune polyvalente équipée pour pratiquer du sport avec les ventilations adéquates, mais qui sert aussi de lieu de travail ou de lieu de fête avec une vue quasiment de 360° sur Paris.
Un projet de recyclage urbain adapté à une ville de Paris
C’est un bâtiment qui est assez important pour nous, puisque de plus en plus dans Paris qui est une des villes les plus denses du monde avec plus de 22 000 habitants au km², avec un tissu historique extrêmement dense et compact, avec une forte mitoyenneté entre les bâtiments, une forte proximité en tout cas, cette idée de transformer et de non plus démolir est évidemment une idée qui fait sens et qui est de plus en plus poussée par les collectivités et les pouvoirs publics, et donc cette tour aujourd’hui au sein de notre travail représente vraiment cette idée de « recyclage urbain et de transformation urbaine » et nous aimons bien associer l’idée d’un projet urbain car nous l’avons pensé comme un projet urbain avec des éléments permanents, des éléments changeants.
Nous aimons l’idée d’appliquer ces dimensions urbaines à cet espèce d’objet des Trente Glorieuses qui était dans l’esprit de notre maître d’ouvrage bien peu valorisé, et toute l’histoire que nous avons raconté de cette idée d’un « organisme vivant » qui allait être amené à évoluer, a permis aussi de revaloriser l’image même du bâtiment dans l’esprit du maître d’ouvrage, de nos interlocuteurs à la Mairie du 13ème et de la SEMAPA, puisque c’était un vieux bâtiment qui porte aujourd’hui des valeurs de transformations et d’économies qui nous paraissent assez adaptées aux impératifs contemporains de la transformation de la ville sur la ville, et le fait que cela devienne un objet des Trente Glorieuses un peu esseulé nous paraît avoir du sens.
Par Vincent Lavergne, architecte et urbaniste
Sources & Liens