Par Brice Lalonde, Ancien ministre de l’Environnement, président d’Equilibre des Energies. Et Jean-Pierre Hauet, Président du Comité scientifique d’Equilibre des Energies
Le 22 avril dernier, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Energie, ont présenté à la presse un plan d’action pour produire un million de pompes à chaleur (PAC) en France, en doublant d’ici à 2027 la capacité de production de pompes à chaleur sur le territoire national et en créant ainsi 47 000 emplois nouveaux.
Dès octobre 2022, dans son Livre blanc « Comment décarboner la France ? Un plan massif de développement des pompes à chaleur s’impose » - cf. en bas d’article, Equilibre des Energies appelait de ses vœux un tel programme. Dix-huit mois plus tard, le plan ministériel propose huit mesures avec lesquelles on ne peut qu’être d’accord.
Seulement, il y a un hic : le marché des PAC s’est complètement retourné et les statistiques du 1er trimestre 2024 marquent un repli de 43 % des ventes des PAC air/eau dont on attend pourtant qu’elles prennent le relais des chaudières à combustible fossile, fioul ou gaz. La situation est sérieuse : aucun industriel ne prendra le risque d’investir si le marché reste aussi déprimé. Les objectifs de transition énergétique dans le bâtiment ne seront alors pas atteints. Il faut donc s’interroger sur les raisons de ce passage à vide du marché des PAC qui, si l’on n’y remédie pas, risque de s’installer dans la durée.
Propos co-écrit par par Brice Lalonde, Ancien ministre de l’Environnement, président d’Equilibre des Energies. Et Jean-Pierre Hauet, Président du Comité scientifique d’Equilibre des Energies.
Brice Lalonde, Ancien ministre de l’Environnement, président d’Equilibre des Energies
Jean-Pierre Hauet, Président du Comité scientifique d’Equilibre des Energies
Pourquoi la PAC marque-t-elle le pas ?
Il y a bien sûr un contexte général d’attentisme, voire de marasme, dans le domaine de la construction neuve et de la rénovation thermique des bâtiments. Les flottements qui accompagnent la mise en place des aides publiques, MaPrimeRénov’ en l’occurrence, n’y sont pas étrangers. Mais il y a tout un ensemble de raisons spécifiques à la PAC qui expliquent son repli que l’on espère momentané.
En premier lieu, un discours ambigu des pouvoirs publics qui déclarent vouloir doubler la part de l’électricité dans le bilan des consommations en énergie finale mais hésitent à prendre les mesures réglementaires qui le permettraient.
Le plan d’accélération de la décarbonation du secteur du bâtiment, présenté par le Gouvernement à l’été 2023, envisageait plusieurs objectifs à horizon 2030 :
- Remplacement de 75 % des chaudières au fioul,
- Remplacement de 40 % des chaudières à gaz dans les maisons individuelles et de 10 à 20 % dans les logements collectifs.
Ces objectifs, cohérents avec l’objectif de sortie des énergies fossiles dans le bâtiment en 2040 que l’on retrouve dans la nouvelle directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, ont été vite oubliés. Plus question de limiter la commercialisation des chaudières à gaz et le DPE continue à exercer, par le canal de l’indicateur CO2, une pression quasi-inexistante sur les émissions de gaz à effet de serre des logements chauffés au gaz.
Le service public de distribution du gaz (GRDF) a toute liberté pour soutenir dans ses documents promotionnels que « le gaz assure un rôle essentiel dans le mix énergétique et que la réussite de la transition énergétique implique de conserver un mix énergétique équilibré, notamment dans le bâtiment ».
Qui plus est, le coefficient de 2,3 de conversion en énergie primaire de l’électricité, l’un des plus élevés d’Europe, continue à pénaliser lourdement l’électricité dans le DPE comme dans la RE2020. Une pompe à chaleur, offrant un SCOP de 3, fournit trois fois plus d’énergie sous forme de chaleur qu’elle ne consomme d’électricité sur l’ensemble de la saison. Elle permet donc des économies d’énergie de 66,6 % mais ces économies sont administrativement ramenées à 23,3 % par le truchement de ce coefficient. Le gaz, quant à lui, est exonéré de tout coefficient alors qu’une majorité de pays lui en applique un de 1,1. Un particulier peut ainsi, à juste titre, s’étonner de voir son étiquette DPE ne s’améliorer que d’une classe après avoir dépensé quelque 15 000 € dans une pompe à chaleur.
Dans les systèmes d’aides, la pompe à chaleur n’est pas mieux lotie, alors qu’elle est le moyen le plus efficace et le plus rapide de réaliser des économies et de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Le dogme de la rénovation performante ou globale est venu briser son élan. Il faudrait, dit-on, rénover les logements dans leur globalité et en faire d’emblée des logements à haute performance. Démarche louable mais qui oublie que le problème de la rénovation est un problème d’optimisation sous contrainte : contraintes budgétaires de l’Etat et contraintes de ressources des particuliers qui rendent utopique l’idée de généraliser des rénovations dont le coût moyen par logement fleurte avec les 60 000 € (TTC).
Pour être sûr que la pompe à chaleur ne vienne pas séduire ceux qui voudraient faire sortir leur logement du statut de passoire thermique, on a pris soin, dans ma MaPrimeRénov’, de préciser que l’installation d’une pompe à chaleur devrait s’accompagner de deux gestes d’isolation au moins et des recommandations d’un accompagnateur imposé : la ceinture et les bretelles. Résultat : rien ne se fait et les rénovations d’ampleur au 1er trimestre 2024 ont concerné 5 884 logements soit 11 % du rythme moyen annuel visé, avec d’énormes incertitudes sur l’ampleur des fraudes dénoncées par TRACFIN sur l’année 2023.
Cet hyper-encadrement est d’autant plus infondé qu’il méconnaît la situation réelle des logements classés passoires thermiques. Le coefficient 2,3 a fait rentrer dans cette catégorie près d’un million de logements au seul prétexte qu’ils sont chauffés à l’électricité alors que leur bâti est en général d’une qualité convenable. Ces logements sont fréquemment chauffés par convecteurs électriques. Le remplacement de ces convecteurs par une pompe à chaleur air/air est souvent possible et présente tous les avantages. Mais la règle de surisolation rend l’opération financièrement inaccessible. Il y a en outre quelque chose de paradoxal à imposer un accompagnateur et, en même temps, à lui dicter les obligations de travaux à faire respecter alors que les situations sont éminemment variables.
Figure 1 : Ce graphique illustre la répartition des logements classés passoires thermiques (F ou G ) en fonction de la valeur de leur coefficient de déperdition thermique moyen : l’Ubât, tel que calculé dans le DPE. Ce coefficient caractérise la qualité du bâti. Deux repères verticaux sont indiqués : en vert, l’Ubât moyen de 1,1 de tous les logements, quelle que soit leur étiquette. En rouge, l’Ubât « limite » de 1,7 qui servirait de frontière à la zone des passoires thermiques (au nombre de 4 800 000) si celles-ci étaient uniquement déterminées en fonction de la qualité de l’isolation.
On distingue nettement deux populations d’importance équivalente : les logements chauffés à l’électricité qui ont dans l’ensemble une isolation meilleure que la moyenne, mais se trouvent classés passoires thermiques du fait du coefficient de conversion en énergie primaire, et les logement chauffés au gaz ou au fioul dont la situation est beaucoup moins favorable.
Les trimestres à venir seront riches d’enseignement
Mais ceux qui, par corporatisme, font tout pour s’opposer au développement des pompes à chaleur, n’hésitent plus à user de contrevérités :
- Les économies en euros seraient insignifiantes, alors que tous les calculs, à commencer par ceux du DPE, montrent que la PAC permet de réaliser en exploitation des économies de 30 % environ par rapport au gaz et plus rapport au fioul ; ces économies redonnent du pouvoir d’achat aux ménages qui en ont aujourd’hui bien besoin ;
- Les PAC nécessiteraient, pour fonctionner correctement un renforcement systématique de l’isolation, alors que l’étude du centre de recherche européen (le JRC)[1] montre le contraire ;
- Le développement des PAC entrainerait des problèmes massifs sur le réseau électrique alors que les dernières études de RTE concluent dans son bilan électrique 2023-2035[2] : « Accélérer la sortie des énergies fossiles grâce au déploiement des pompes à chaleur réduit significativement les émissions de gaz à effet de serre du chauffage. Cela a un effet sur la pointe, absorbable par le système électrique ».
[1] The Heat Pump Wave: Opportunities and Challenges – JRC 134045 (mai 2023).
[2] Bilan prévisionnel – RTE (Edition 2023).
Quelles décisions prendre ?
- Notre propos n’est pas de nous faire l’avocat inconditionnel des pompes à chaleur. Il y a des cas où elle est inadaptée et d’autres où la situation du bâti demande effectivement un renforcement. Mais, puisque le gouvernement souhaite promouvoir les parcours de rénovation thermique « accompagnés », nous considérons que c’est l’accompagnateur MaPrimeRénov’ qui doit décider si l’installation d’une pompe à chaleur doit s’accompagner d’un ou de deux gestes de rénovation, sans oublier la remise à niveau éventuelle de la ventilation, pour avoir accès aux aides du « parcours accompagné ».
- L’installation de pompes à chaleur doit rester possible dans tous les cas en monogeste dans MaPrimeRénov’. C’est une décision sans regret qui ne comporte que des avantages et n’obère pas les étapes ultérieures d’un parcours de rénovation. Elle peut être soutenue de façon simple, en offrant de solides garanties contre la fraude, sous forme d’une « prime à la casse » lorsqu’elle vient en remplacement d’une chaudière à combustible fossile. Le système mis en place par l’IRA américain est à cet égard à considérer.
- La pompe à chaleur air/air doit devenir éligible aux aides monogestes, a minima lorsqu’elle vient en substitution d’émetteurs par effet Joule ou lorsqu’elle est accompagnée de panneaux photovoltaïques, nouveaux ou préexistants.
- Les aides accordées par le mécanisme des certificats d’économie d’énergie devraient comporter un coup de pouce de 25 % dans le calcul des certificats alloués, dès lors que l’opération considérée permet de passer des énergies fossiles vers une forme d’énergie bas-carbone. La loi le permet, il suffit de l’appliquer.
- Enfin, la publication très prochaine de la nouvelle directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) est l’occasion de remettre en ordre le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire puisque cette DPEB permettra aux Etats membres d’adopter sans justification le coefficient par défaut de 1,9 retenu par la Commission européenne depuis décembre 2022 en application de la directive sur l’efficacité énergétique.
- Simultanément, devrait être institué, à l’instar d’une quinzaine de pays européens, un coefficient de conversion du gaz en énergie primaire qui ne devrait pas être inférieur à 1,1.
Par Brice Lalonde, Ancien ministre de l’Environnement, président d’Equilibre des Energies.
Et Jean-Pierre Hauet, Président du Comité scientifique d’Equilibre des Energies
Lecture proposée
Comment décarboner la France ? Un plan massif de développement des pompes à chaleur s’impose
Source et lien