Par l’Association négaWatt
Interdire l’installation des chaudières au gaz n’est pas souhaitable dans le cadre d’une transition énergétique voire de décarbonation du bâtiment. Pour donner suite au lancement par le Gouvernement d’une concertation sur la décarbonation du bâtiment, l’Association négaWatt apporte son analyse globale dans un rapport de 32 pages.
Décarboner le bâtiment à l’horizon 2050, un défi complexe et multidimensionnel
La volonté politique du Gouvernement de prendre une mesure forte en faveur de la décarbonation du bâtiment doit être saluée.
En revanche, la proposition, formulée par le gouvernement dans cette concertation, de centrer principalement l’action politique sur la question des vecteurs énergétiques utilisés pour chauffer les bâtiments, et ce alors que la France accumule les retards sur sa politique de rénovation, est non seulement inadaptée mais risque également de déboucher sur des effets rebonds contre-productifs.
La décarbonation des bâtiments est un défi complexe et multidimensionnel
L’appréhender par la seule question des vecteurs énergétiques via une interdiction de l’installation des chaudières gaz serait inefficace. Elle passe en priorité par la rénovation performante du parc, levier essentiel pour réduire les émissions de GES du secteur mais également pour répondre durablement aux problématiques de précarité énergétique et de pointe électrique.
Les dispositifs d’aides à la rénovation
Considérant les dispositifs actuels d’aide à la rénovation (financement, accompagnement, formation), il y a un risque que l’interdiction d’installation de chaudières gaz canalise l’attention politique, et indirectement celle de la filière et des ménages, au détriment des actions pourtant prioritaires de rénovation performante. En effet, les dispositifs d’aides à la rénovation “monogeste” de changement de chaudière restent plus simples et plus rapides à mobiliser que ceux portant sur une rénovation globale. Le risque d’emballement sur ces actions, aux dépens de la rénovation performante, doit être finement évalué, car celui-ci pourrait générer des impacts majeurs tant sur le plan social (poids des factures énergétiques), climatique (risque de multiplication d’installations non fonctionnelles en l’absence d’isolation, non-atteinte des objectifs), que sur la pointe électrique (forte augmentation des appels de puissance et des importations d’électricité associées).
Les mesures de décarbonation du bâtiment doivent être pensées de manière cohérente
Ceci pour associer le changement des systèmes de chauffage vers des solutions diversifiées plus performantes, à des projets de rénovation d’ensemble. Si la sortie des combustibles fossiles est essentielle, tout comme la réduction de la part du gaz dans le bâtiment, l’électrification complète du parc n’est ni réaliste ni souhaitable. La complémentarité des vecteurs que sont l’électricité par les PAC, la biomasse par le bois, les réseaux de chaleur et dans une moindre mesure le gaz renouvelable, est essentielle pour mobiliser les solutions adaptées à chaque situation d’urbanisme ou de bâtiment.
Interdire radicalement les chaudières gaz n’est pas souhaitable dans un contexte global
Dans ce cadre, il nous semble souhaitable d’éviter tout effet d’annonce en faveur d’une interdiction d’installation des chaudières gaz qui serait ensuite suivi de nombreuses exemptions techniques ou organisationnelles dans son application. Elle serait alors peu lisible et peu compréhensible pour les ménages et la filière.
Les mesures de décarbonation du bâtiment doivent également être pensées et mises en œuvre dans le cadre d’une planification territoriale
Par exemple, les raccordements possibles aux réseaux de chaleur doivent faire l’objet d’une programmation opérationnelle prévoyant les extensions, les sous-stations (etc, ...), en lien avec les multiples outils de planification et d’action territoriale pour l’urbanisme, l’habitat et l’énergie. L’avenir du réseau de distribution de gaz, appartenant aux collectivités, doit également être clarifié. Les transformations à engager pour collecter le biométhane dans les lieux de production et l’amener dans les lieux de consommation ou de transport doivent être pensées et programmées avec les territoires pour éviter une désoptimisation générale et coûteuse pour les usagers.
Une obligation de rénover entièrement accompagnée et financée pour les plus démunis
Une mesure politique forte en faveur de la décarbonation des bâtiments et de lutte contre la précarité énergétique est possible : elle passe par la mise en place d’une obligation progressive de rénovation entièrement accompagnée et financée. L’Association négaWatt appelle le gouvernement et les élus à engager cette dynamique dans le cadre du projet de loi de programmation énergie-climat.
Une complémentarité entre les vecteurs électricité et gaz renouvelables est souhaitable
Plus généralement, les diverses mesures d’interdiction du vecteur gaz actuellement considérées au niveau national et européen dans les secteurs de la mobilité et du bâtiment interrogent quant au rôle que nous souhaitons collectivement confier à la filière gaz renouvelable dans la transition de notre mix énergétique. Dans le cadre de son travail de prospective énergie, climat et matières, l’Association négaWatt montre qu’une complémentarité entre les vecteurs électricité et gaz renouvelables est souhaitable. Tout comme pour la biomasse, la question du bouclage sur les ressources et l’impact environnemental que leur mobilisation génère doit être posée plus clairement dans le cas des scénarios d’électrification complète de certains usages.
« Extrait » de la consultation sur la fin des chaudières fossiles
CONSULTATION 4 - La fin des chaudières fossiles
ACCÉLÉRER LA FIN DU FIOUL
- Que pensez-vous de la date de 2030 pour remplacer l’intégralité des chaudières fioul ?
Si l’objectif de sortie du fioul dans le bâtiment doit être soutenu, la définition de la date de sortie doit s’appuyer sur une analyse fine des solutions existantes pour les 2.5 M de logements actuellement chauffés au fioul. Le remplacement de certaines chaufferies au fioul en milieu péri-urbain restent difficiles à appréhender dans des délais aussi courts lorsqu’il n’y a ni réseau de chauffage urbain ni d’offre de bois adéquate. Les hypothèses formulées par le SGPE en matière de planification écologique, prévoyant un remplacement de 75% des chaudières fioul, nous semblent réalistes.
INTERDICTION DES CHAUDIÈRES GAZ ET GPL
- Quel seuil en gCO2/kWh vous semble pertinent ?
Si nous comprenons l’intérêt de fixer un seuil pour définir les solutions à privilégier par rapport à d’autres, nous restons vigilants sur les méthodes de calcul qui pourront être utilisées pour le faire. Actuellement la méthode de calcul du DPE ne permet pas de refléter correctement les enjeux autour du SCOP (coefficient de performance saisonnière) des pompes à chaleur. Nous rappelons également que pour assurer la bonne performance des PAC (notamment celles fonctionnant à 55°C), il est essentiel de fixer un critère sur la température des émetteurs. Conditionner l’installation des PAC à un régime de température des émetteurs inférieur ou égal à 55° permettrait d’envoyer le bon signal pour décarboner de manière optimale le bâtiment, en associant lorsque c’est pertinent l’isolation de l’enveloppe au changement de chaudière. Ce critère permettrait de compléter celui du seuil en gCO2/kWh, qui sera lui-même défini en fonction de la décision d’intégrer ou non les PAC hybrides.
- Quel calendrier d’interdiction progressive, sur le modèle de celui mis en œuvre sur le fioul, vous parait envisageable ?
Si la sortie des combustibles fossiles est essentielle, tout comme la réduction de la part du gaz dans le bâtiment, l’électrification complète du parc n’est ni réaliste ni souhaitable. La complémentarité des vecteurs que sont l’électricité par les PAC, la biomasse par le bois, les réseaux de chaleur et dans une moindre mesure le gaz renouvelable, est essentielle pour mobiliser les solutions adaptées à chaque situation d’urbanisme ou de bâtiment. Nous ne sommes pas favorable à la mise en place d’une interdiction d’installation des chaudières gaz.
- L’offre de systèmes de chauffage alternatifs vous semble-t-elle pouvoir répondre à la demande dans ce calendrier pour chacun des types de bâtiments en particulier dans les configurations où les possibilités d’installation de pompes à chaleur sont limitées ? Est-il pertinent techniquement et économiquement d’interdire l’installation de nouvelles chaudières fossiles dans tous les bâtiments résidentiels collectifs existants et dans tous les bâtiments tertiaires ?
De manière générale, il existe plusieurs vecteurs permettant la substitution : les pompes à chaleur (la PAC collective doit notamment être soutenue en copropriété pour permettre son développement), le chauffage urbain, le bois énergie, le biogaz. Il faut utiliser toutes ces possibilités pour construire le mix chauffage le plus souple permettant d’apporter une solution à chaque cas particulier. Dans le collectif, mais également dans les milieux urbains, certaines contraintes limiteront les possibilités de remplacement de chaudières gaz par des PAC. Dans ce contexte, la suppression complète d’un vecteur engendrerait des fragilités, et le maintien d’un mix diversifié nous semble plus pertinent. La perspective évoquée de démantèlement des réseaux gaziers nous inquiète également de ce point de vue, car elle ferme définitivement la porte au développement du biogaz quel que soit l'usage final (transport, cuisson, chauffage résiduel des cas sans alternative technique).
Accédez au rapport complet de 32 pages de Juillet 2023
Source et lien
Quelques mots sur négaWatt
Depuis 20 ans, l’Association négaWatt réalise de manière indépendante des travaux de prospective énergétique à l’échelle de la France, afin de montrer qu’une transition énergétique est non seulement réalisable sur le plan technique mais aussi souhaitable pour la société. Grâce à la complémentarité et à l’expertise de terrain de ses membres, l’association a mis au point un scénario énergétique - fondé sur son approche sobriété, efficacité et renouvelables - atteignant la neutralité carbone en 2050.