Par André Joffre, PDG du bureau d'étude TECSOL
Après avoir implanté deux installations solaires en injection réseau avec tarif d'achat, la Maison Drappier vient d'installer une nouvelle installation solaire de 266 kWc sur les toitures de ses bâtiments en autoconsommation totale cette fois. De quoi faire baisser l'empreinte carbone du domaine, diminuer ses factures d'électricité mais aussi anticiper un avenir plus électrique pour son parc de véhicules et d'engins agricoles. Quand la tradition du Champagne rencontre l'innovation solaire énergétique…
Rappelons d’abord en quoi consiste l’autoconsommation énergétique : il s’agit avant tout de consommer soi-même que l’on produit sur place, ce afin de réduire les dépenses tout en s’assurant de pouvoir aisément couvrir ses propres besoins énergétiques. De plus en plus prisée chez les particuliers, cette solution intéresse d’autant plus les entreprises en accord avec ce mode de consommation responsable et soucieux des enjeux environnementaux.
Il y a du paradoxe dans la philosophie d'entreprise de La Maison Drappier qui n'a de cesse de combattre dans son fonctionnement au quotidien, ce qui fait pourtant la force de ses produits à savoir la pétillance de ces bulles de gaz carbonique harmonieusement dissipées qui émerveillent et rafraîchissent le palais des amateurs de Champagne. Si le CO2 à dose infinitésimale fait les bons Champagne, celui généré en masse par l'activité humaine ne fait en revanche pas bon ménage avec l'entretien et la pérennité des grands vignobles.
A nous aussi de faire quelque chose contre le réchauffement climatique
« Nous sommes parmi les premiers touchés par l'influence néfaste du réchauffement climatique ? Cela suscite des questions avec les gelées et les grêles à répétition, les maladies qui touchent les vignes ou les vendanges de plus en plus précoces. Nous avons le sentiment que c'est aussi à nous de faire quelque chose » confie ainsi Hugo Drappier, digne héritier de cette belle Maison de Champagne éponyme propriétaire de 54 hectares de vignes et qui réalise également un peu de négoce.
Son père Michel Drappier a commencé à travailler à la réduction de l'empreinte carbone du domaine. Jusqu'à devenir la première Maison de Champagne à carbone neutre en France via le jeu des compensations carbone.
« Pour éviter de compenser ou en tous les cas pour compenser moins, on s'est dit qu'il serait pertinent de réduire nous-mêmes nos émissions de CO2 » poursuit Hugo Drappier. En 2010, une première installation solaire de 100 kWc viendra donc couvrir l'une des toitures d'un bâtiment du domaine nanti du tarif attractif des commencements. Quatre ans plus tard, une nouvelle centrale de 70 kWc sera également implantée dans le cadre de la rénovation avec isolation d'une toiture un peu fatiguée.
Toujours avec tarif d'achat mais plus modeste s'entend. Sensible à l'énergie solaire, la Maison Drappier ne s'est pas arrêtée là, notamment au vu de sa consommation d'électricité annuelle importante (615 000 kWh sur la base de 2015) pour une facture avoisinant les 70 000 euros chaque année.
266 kWc en autoconsommation totale
Dans ce contexte, la Maison Drappier accompagnée par les spécialistes de la société provençale Alectron Energy fondée par les expérimentés Georg Reinartz et Jean-Philippe Debony, s'est mise à réfléchir sur une potentielle installation solaire en autoconsommation autour d'un diptyque : 100 kWc en injection et 160 kWc en autoconsommation. « Ce montage n'a pas résisté à l'analyse.
Entre une PTF faisant état d'un raccordement onéreux, le tarif d'achat en berne et une consommation électrique importante dont la facture ne fera que grimper avec les années, la Maison Drappier a décidé d'opter pour une autoconsommation totale sans revente de surplus avec une installation de 266 kWc » précise Georg Reinartz qui a su gagner au fil du temps la confiance de ces propriétaires vignerons à force d'études de production et d'analyses des consommations.
Fonctionnement d'une installation solaire en autoconsommation avec injection
Le tout sur fond de partenariats prestigieux SunPower et SMA, garants d'équipements de qualité à la fiabilité reconnue. De quoi lever les doutes et les incertitudes liés à ce projet que même l'agence locale d'Enedis avait du mal à appréhender.
C'est dire ! « Enedis ne disposait pas de contrat type pour ce modèle d'installation en autoconsommation et elle a dû se renseigner à l'agence du département voisin pour le finaliser. Idem pour le technicien qui est passé pour le Consuel qui était assez ignorant sur le sujet » reconnaît Georg Reinatrz. Le lot des précurseurs !
Le solaire pour conserver les vins au frais
La Maison Drappier a donc su prendre la décision et braver le risque pour se lancer dans cette aventure technologique. Comment ? Avec de la volonté mais aussi en se projetant dans le futur en étant dans la réflexion et l'anticipation, celles qui font que certains ont raison avant les autres. Un véritable pari sur l'avenir ! Il y a déjà les besoins électriques actuels de l'entreprise et notamment les groupes froids très gourmands tout au long de l'année qui permettent de conserver les vins au frais dans la cuverie, avec un pic à la fin de l'été, au moment des vendanges, lorsque les pressoirs tournent aussi à plein régime et que le soleil brille encore dans le ciel champenois.
Les besoins électriques des chaînes d'embouteillage, de tirage et de remplissage mais aussi d'habillage des 1,5 millions de bouteilles produites annuellement pèsent sur le budget électrique. Sans oublier l'administratif de 8h00 à 18h00.
« Certains mois le taux d'autoconsommation sera proche des 100%, d'autres mois un peu moins. L'installation vient d'être raccordée. Nous sommes au stade de l'observation au cours duquel nous allons lisser les consommations et optimiser les synergies entre production et besoins pour faire mieux encore » estime Georg Reinartz.
Et pourquoi pas 100% solaire électrique à terme ?
Mais cette installation PV en autoconsommation a aussi pour vocation de réinventer l'avenir énergétique du domaine jusque dans la notion de mobilité et du travail de la vigne. « Nous avons mis en place des bornes de recharges électriques et allons renouveler notre parc de voitures et de chariots élévateurs pour passer à l'électrique. Nous sommes dans l'attente de bornes Tesla pour nos clients qui pourront faire un plein d'électricité verte.
Nous avons aussi un œil sur l'entreprise Kremer Énergie, entreprise familiale installée à Oeuilly en Champagne, qui a sorti un très convainquant enjambeur électrique pour une viticulture durable. Notre installation pourrait recharger cette machine agricole dont le pic d'activité s'étend du mois d'avril jusqu'aux vendanges.
Nous avons également pensé au stockage qui sera peut-être l'étape suivante. Et puis vous savez, il nous reste encore des toitures pour envisager peut-être un jour une couverture 100% solaire de l'ensemble nos besoins électriques » conclut Hugo Drappier. En tous les cas, avec tous ces projets d'investissement durable, le TRI attendu de l'installation entre neuf et dix ans pourrait arriver à échéance bien plus tôt que prévu.
L'installation en chiffres
L’autoconsommation solaire : une affaire d’Etat
Face aux enjeux du développement durable, Sébastien Lecornu, Secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, a présenté le 28 juin 2018 les conclusions proposées par les élus locaux et les services de l’Etat impliqués dans le développement de la filière.
À l’image de Drappier, la démarche « Place au soleil » souhaite mobiliser tous les acteurs pouvant contribuer au déploiement du photovoltaïque et du solaire partout en France.
Voici certaines avancées proposées lors de cette mobilisation :
- La taille de l’autoconsommation collective. Les producteurs et consommateurs pourront se trouver dans un rayon d’un kilomètre (et non en aval d'un même transformateur).
- La confirmation de l’exonération de la CSPE pour l’électricité autoconsommée
- Maintien de l’exonération de la taxe foncière pour le domaine public équipé de panneaux solaires
- Éligibilité du tiers investissement pour l’autoconsommation
- Création d’un label « villes solaires »
- Appels d’offres pluriannuels pour les DOM
Parallèlement, le Gouvernement a convaincu de nombreux acteurs disposant de fonciers, de la grande distribution à la SNCF en passant par l’armée, de s’engager volontairement pour la mise en place de panneaux solaires sur leurs terrains.
« Le solaire est la plus belle des promesses. Je salue l’action du groupe de travail ainsi que l’engagement des acteurs engagés volontairement dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ils ont fait le bon choix ! D’abord parce que le photovoltaïque, comme le solaire thermique avec les chauffe-eau, est populaire.
C’est aussi une énergie renouvelable très compétitive : le coût n’a cessé de baisser. Désormais à 55 €/MWh, c’est très proche du prix du marché. » termine Mme Tiegna, députée du Lot.
Cette réforme fait donc face aux dernières études d'Observ'ER, indiquant que la France était notamment en retard dans ses objectifs dans le domaine du solaire.
Parc total photovoltaïque français et puissance annuelle supplémentaire, métropole + Dom (MW)
Source : Observ'ER d'après chiffres SOeS 2016 et programmation pluriannuelle de l'énergie
Les 40 mesures techniques pour libérer l’autoconsommation individuelle ou collective, l’agrivoltaïsme, le solaire dans les zones non connectées et les investissements des grands opérateurs devraient permettre une belle avancée en la matière. Si Drappier a su montrer l’exemple, rendez-vous toutefois dans un an pour faire un bilan sur les professionnels ayant contribué à cette transition énergétique.
Par André Joffre, PDG du bureau d'étude TECSOL
Pour les pros. CONSUEL mais surtout passage de Socotec ou Apave ou Qualî’consult pour la conformité électrique