Par Michel LEPRIEUR, responsable Expertise-Conseil du Cemafroid
Le CO2 utilisé comme fluide frigorigène en détente directe connaît un essor dans les entrepôts frigorifiques et notamment en Grande Bretagne dans la GMS ; toutefois son usage en qualité de fluide frigorigène en frigoporteur diphasique reste encore restreint.
Après un rappel de l'enjeu environnemental, la présentation vise à décrire :
- Les applications actuelles et les perspectives de développement de l'utilisation du CO2 en qualité de frigoporteur - le CO2 n'étant pas comprimé mais refroidi par un autre fluide frigorigène.
- Les avantages et les contraintes sur le plan thermodynamique pour la conception et l'exploitation des installations utilisant le CO2 en qualité de frigoporteur.
- Une comparaison technique et énergétique entre le fonctionnement en mode détente directe et en mode frigoporteur diphasique.
- Les contraintes de conception, d'installation et de maintenance sont également abordées.
Pour permettre la réalisation d'installation de réfrigération pérenne, les principes de conception doivent viser un effet direct nul ou proche de zéro pour le fluide frigorigène, un effet de serre indirect, lié à la consommation d'énergie le plus faible possible, c'est à dire un TEWI le plus bas possible ; ce TEWI entrant directement dans le calcul de Bilan Carbone de l'activité de l'entreprise utilisatrice. Enfin, il convient également ne pas exposer l'installation à un retrofit en fluide à 5 ans …
Le CO2 utilisé en frigoporteur propose une réponse dans certaines applications.
Il convient de distinguer les 3 usages dans le domaine de la réfrigération mettant en œuvre le CO2 (R-744).
Voici les rappels de base :
Fluide frigorigène : définition de la NF 378
« Fluide utilisé pour le transfert de chaleur dans un système de réfrigération qui absorbe la chaleur à basse température et basse pression et rejette de la chaleur à haute température et haute pression, impliquant généralement un changement d'état de ce fluide ».
Cette définition module l'usage de la terminologie de « frigoporteur » pour le CO2
1 - Usage du CO2 en mode transcritique
Un cycle transcritique est celui dont le compresseur comprime le fluide frigorigène aux conditions (de pression) au-dessus de celles du point critique. Concernant le CO2 Le rejet de chaleur du système frigorifique n'est jamais inférieur à une température à +31°C ; il s'agit de refroidissement atmosphérique (par air). Le COP du système frigorifique évolue avec la température de l'air, qui est particulièrement favorable en zone climatique froide.
Schéma – diagramme de Mollier CO2
2 - Usage du CO2 en mode subcritique
Les applications les plus nombreuses se rencontrent sous forme de mise en œuvre de cascade sur un HFC ou de l'ammoniac (NH3) … Le fluide frigorigène se comporte alors comme un fluide frigorigène presque classique mais qui impose un maintien à une basse température pour limiter les pressions de service dans l'installation.
Système en cascade : définition NF 378
« Au moins deux circuits de réfrigération indépendants où le condenseur d'un système rejette la chaleur directement dans l'évaporateur d'un autre condenseur »
Schéma – diagramme de Mollier cascade
Cette solution présente un double avantage pour chacun des deux fluides. Elle permet d'utiliser le NH3 comme fluide frigorigène pour un service rendu à basse température qui est dès lors largement au dessus de la pression atmosphérique (la limite basse pour l'NH3 -33°C à la pression atmosphérique), et elle limite la masse de NH3 à une valeur inférieure à 1500 kg (régime déclaratif des ICPE) et au seul circuit dit « HP » assurant la condensation du circuit CO2 (BP).
Concernant le CO2, celui-ci est alors condensé, puisque largement en dessous de son point critique.
Le taux de compression est choisi selon le niveau de température de l'évapo-condenseur.
3 - Usage en frigoporteur ou de caloporteur
Rappels de base sur les frigoporteurs :
Un frigoporteur monophasique utilise la chaleur sensible (Eau glacée, MPG, MEG), la production de froid s'effectue grâce la chaleur spécifique du fluide.
Un frigoporteur diphasique utilisation de la chaleur latente, soit liquide/vapeur comme dans le cas du CO2 et la production de froid s'effectue grâce à la chaleur de vaporisation, soit liquide/solide comme le coulis de glace qui génère l'effet frigorifique par sa chaleur de fusion.
L'usage du CO2 en frigoporteur permet d'éviter les contraintes de forte pression (en fonctionnement) et de taux de compression élevé puisqu'il n'est pas comprimé, mais « refroidi par liquéfaction » par un fluide frigorigène type HFC ou NH3.
La partie (qmvap) sous forme de vapeurs est liquéfiée pour permettre le maintien d'une température d'évaporation constante. La distribution du fluide est réalisée par pompage ; Le CO2 à l'état liquide est pompé vers les postes de froid, la production est assurée par l'évaporation d'une partie du débit de fluide véhiculé par la pompe ; l'on constate classiquement des taux de recirculation de l'ordre de 2 à 3. Il est toutefois important d'ajuster correctement le débit : le titre de vapeur à la sortie de l'évaporateur est d'autant plus faible que le taux de recirculation est important. La production frigorifique correspond à la quantité de fluide évaporé.
Fluide caloporteur - définition NF 378
« Fluide pour transmission de la chaleur sans changement de phase (par exemple eau glycolée, eau, air) ou avec changement de phase à la même pression (par exemple [CO2] R-744) [à l'élévation près de pression de refoulement de la pompe]
Si les fluides frigorigènes listés en Annexe E sont utilisés, il est nécessaire qu'ils suivent toutes les exigences des fluides frigorigènes — même s'ils sont utilisés comme fluide caloporteur ».
Il convient d'ajouter à la définition de la NF 378 qui cite l'eau glycolée MPG ou MEG ou eau-alcool, les fluides frigoporteurs dont le changement de phase est réalisé en liquide-solide comme le coulis de glace ; Le changement de phase du CO2 étant liquide-vapeur. Les coulis de glace et le CO2 sont alors classables dans les frigoporteurs diphasiques. L'usage du CO2 est alors comparable au droit de l'évaporateur à un fluide frigorigène à ceci près qu'il n'est pas comprimé.
Toxicité : définition NF 378
« Capacité d'un fluide frigorigène d'être nocif ou mortel à cause d'une exposition intense ou longue, par contact, inhalation ou ingestion »
NOTE : Une gêne temporaire qui n'affecte pas la santé n'est pas considérée comme nocive.
Les installations sont encore peu nombreuses, on constate quelques exemples en data center et en surgélation de denrées alimentaires.
Les motivations techniques à l'usage du CO2 en frigoporteur pompé sont les mêmes que celles qui dans le passé ont conduit à l'usage du R22 ou NH3 en mode « pompé » pour alimenter des évaporateurs éloignés du poste de production frigorifique, notamment en IAA … Pour ces applications les fluides NH3 et R22 (HCFC) étaient comprimés. Chacun de ces deux fluides est un fluide pur et autorise un fonctionnement en système noyé avec ou sans pompage. Sur le principe le R134a - lui aussi pur, impose un volume balayé de compression plus impactant en terme d'investissement ; ceci explique son non emploi dans le domaine (-26°C Patm contre -33°C pour le NH3).
L'ensemble des évolutions réglementaires a eu raison de ces solutions largement utilisées dans l'industrie Agro-alimentaire durant de nombreuses décennies :
- Les contraintes environnementales ont exclu les fluides ayant un ODP > à 0 (R22)… malgré un GWP largement inférieur au R404A …
- Les règles de sécurité d'emploi du NH3 visent une protection des personnes du fait de sa toxicité « immédiate » pour l'homme et imposent une demande d'autorisation administrative au delà de 1500 kg de charge dans l'installation.
Présentant une alternative, le CO2 utilisé en frigoporteur dispose d'avantages techniques et mérite de faire l'objet de demande dans les appels d'offre notamment dans les domaines d'application basse température lorsque la puissance est multiple de 100 kW frigo et l'architecture complexe.
Quels sont les avantages et les contraintes sur le plan thermodynamique pour la conception et l'exploitation des installations utilisant le CO2 en qualité de frigoporteur ?
Les avantages à l'utilisation du CO2 comme frigoporteur sont nombreux …
C'est un fluide bon marché, alimentaire, ininflammable, non corrosif, chimiquement neutre. Sa chaleur latente de vaporisation est de 5 à 8 fois celle du R22 ou du NH3, l'énergie de pompage est donc faible. Il conduit à des tailles faibles des conduites de transport notamment en phase vapeur ; son point triple de -56,6°C présente un grand intérêt pour la surgélation rapide ; son GWP = 1 kg eq CO2/kg, sa capacité calorifique massique quasi constante de l'ordre de 2000 kJ/kg entre 0°C et -40°C. Enfin il dispose d'un bon coefficient d'échange thermique (non dégradé par la présence éventuelle d'huile frigorifique)
… mais ses contraintes aussi.
Actuellement, sa faible utilisation pose le choix des intervenants pour l'offre et la maintenance : compétences des personnels d'installation et de maintenance spécifiques, dimensionnement des installations au titre des ESP (Equipement sous pression), maintien d'une température basse continue pour limiter la PS du réseau (groupe froid additionnel ou décharge à l'atmosphère) ...26 bars à -10°C, 12 bars à -35°C, 51 bars à +15°C.
D'un point de vue sécuritaire, il impose une détection de présence dans l'air car il est inodore, plus lourd que l'air à l'état vapeur (si absence de brassage de l'air contenu dans un volume), et pose le problème de mesure à basse T°C de l'air.
La comparaison suivante vise une installation à détente directe au CO2 en cascade sur une installation NH3 à l'étage HP, et une installation utilisant le CO2 comme frigoporteur dont la liquéfaction est assurée par une installation frigorifique à l'NH3.
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Température d'évaporation |
-32°C |
-32°C |
Compression |
Non |
Oui entre To-32°C et Tk -2°C |
Température d'évaporation |
-38°C pour liquéfaction du CO2 |
-8°C pour condensation |
Compresseur NH3 |
Compresseur ECO |
Compresseur classique |
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Inférieure à P atm |
Supérieure P atm |
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Puissance électrique |
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Puissance rejetée |
97,2 kW |
128,9 kW |
NB : les compresseurs pris en référence ne présentent pas les mêmes capacités frigorifiques, l'énergie de pompage n'est pas prise en compte
Le COP est meilleur de 9% en faveur de la solution cascade NH3/CO2 vis-à-vis de la solution CO2 frigoporteur liquéfié par NH3, mais la première impose une compression supplémentaire sur l'étage CO2 (BP).
Toutefois, la pression d'évaporation de l'NH3 est inférieure à la pression atmosphérique pour une température du CO2 en frigoporteur à -32°C, ce qui n'est pas le cas pour l'installation en cascade.
En pareil cas un calcul de retour sur investissement s'impose. Il intègre à la fois les dépenses de maintenance qui seront supérieures pour le CO2 comprimé.
A noter : Au premier semestre 2012, l'AFF a constitué une commission technique qui s'est donné pour mission d'élaborer un document visant à formaliser les recommandations d'emploi du CO2 « Bon usage du CO2 ».
Michel Leprieur
Michel Leprieur est responsable Expertise-Conseil du Cemafroid.
Il intervient depuis 30 ans dans le domaine de la réfrigération, ingénieur frigoriste, responsable du service Expertise Conseil du Cemafroid depuis 2007, il est inspecteur certifié AFNOR, et membre de l'IIF et l'AFF, conférencier IFFI.
→ SOURCES & LIENS
Document synthétique, très utile, allant à l'essentiel quant à l'utilisation du CO2 à des fins de réfrigération.