Par Perrine MOULINIE - Animatrice - Médiatrice Innovation - Bourgogne Bâtiment Durable
Que le bâtiment soit appréhendé en termes de secteur d’activités, de projet, d’objet d’étude ou de cadre de vie, les changements qui y opèrent plus ou moins facilement, sont autant de champs d’innovations potentielles, non seulement techniques et technologiques, mais aussi organisationnelles et sociales.
Les savoirs sur le bâtiment en tant que support et vecteur d’activités humaines sont désormais ouverts à de nombreux domaines ; des problématiques de plus en plus palpables intéressent notamment les Sciences Humaines et Sociales (SHS)1. Cela dit, il reste encore à incorporer, dans l’appréhension de l’objet « cadre de vie bâti »2, ces différents domaines de savoirs et d’actions qui ne l’étaient pas ou peu jusqu’alors, et à les conjuger, non seulement entre eux mais aussi avec ceux qui existaient déjà3. Mais pour que la formule opère, ces savoirs doivent eux aussi s’ouvrir au monde du bâtiment. Rien de mieux, pour mettre cet enjeu à l’épreuve, que de savourer ces bouillons de culture au sein d’expérimentations futées, des projets concrets4.
De la conception à la destruction-déconstruction, en passant par l’usage, l’Homme est partout : le bâtiment (et par extension, l’urbain) est construit par l’Homme pour l’Homme. Dans la réalité d’aujourd’hui, le bâti est bien souvent pensé, conçu et réalisé par certains, habité et utilisé par d’autres. De plus, ses équilibres de fonctionnement sont eux-mêmes devenus extrêmement fins. Il pourra donc être plutôt vu comme un système dynamique et technique par les premiers, perçu comme un objet statique et relativement ordinaire pour les seconds. Nous reviendrons ultérieurement sur ces deux approches bâti conçu / espace vécu. Retenons simplement, pour notre propos, un enjeu : elles existent en parallèle, il s’agit de les conjuguer.
Or la difficulté à prendre en compte l’implacable « facteur humain » est à l’image de la prose de M. Jourdain : cette question évidente est bien souvent traitée de manière implicite. Ainsi simplifiées, les problématiques psycho-sociologiques, notamment psycho-sociologiques, apparaissent en filigrane : elles courent le risque de se voir enfermées sous le joug de croyances individuelles et professionnelles robustes, et d’être alors réduites à de la « psychologie de comptoir » ou à de la « sociologie spontanée »5. Il n’est pas question de dire que les acteurs du bâtiment n’ont pas de compétences en la matière mais bien de souligner que ces dernières doivent être prises en compte pour elles-mêmes et que les SHS peuvent apporter une valeur ajoutée aux nouvelles questions qui se posent.
La complexité que « porte » le bâtiment ne doit donc pas être évacuée. Elle doit, au contraire, être assumée. En d’autres termes, il n’y a pas d’un coté le bâti, de l’autre des usagers mais un « cadre de vie bâti ». Pour ce faire, il sera nécessaire de construire de nouvelles expertises : des « expertises hybrides », ni complètement sociales, ni complètement techniques.
Le bâtiment et ses usagers font, de fait, système et ce qui caractérise un système est un fonctionnement complexe. Un système est caractérisé par un fonctionnement complexe ; il peut être défini simultanément comme :
- « un ensemble d’éléments en interaction organisés en fonction d’un but » (de Rosnay, 1975)6 ;
- « une unité globale organisée d’inter-relations entre éléments, actions et individus » (Morin, 1990)7.
Et dans cette unité évidente mais complexe, « le tout n’est pas égal à la somme des parties » (Morin, op. cit.). Dans un article en hommage à l’œuvre de Laborit (biologie), de Rosnay (19958) évoque ainsi un « nouveau paradigme des sciences de la complexité » : « D'un monde fragmenté par l'analyse cartésienne, il nous mène dans celui des interdépendances et de la dynamique des systèmes. De l'analytique au systémique, Laborit nous fait parcourir les chemins de la connaissance et de l'action nécessaires pour agir aujourd'hui sur la complexité. […] Les savoirs peuvent ainsi s'intégrer en une vision renouvelée de l'homme en relation avec son environnement. Le microscopique et le macroscopique s'interpénètrent. Les disciplines juxtaposées se décloisonnent, se complémentent et s'enrichissent mutuellement. »
Jusqu’à peu, il y avait d’un côté les experts du bâtiment, de l’autre les experts de l’humain. Proposer une expertise simultanée (hybride, systémique) de l’un et l’autre n’est pas chose aisée. Du chemin a déjà été parcouru en une décennie, c’est indéniable. Mais les préoccupations du moment sont encore bien souvent majoritairement réduites à une approche technique, voire technicienne. Or, pour être pertinente, la prise en compte de l’humain doit donc s’appuyer sur des expertises nouvelles, croisées qui doivent être concrètement intégrées dans la réalisation d’expérimentations (projets concrets). Rien de mieux que l’expérience pour éprouver la théorie.
Les ressources se raréfient, les inégalités sociales grandissent, l’idéal de progrès économique patine. L’humanité est au pied du mur, il faut sauver la Terre ! Cette prise de conscience a opéré en parallèle mais elle a impacté tous les secteurs, notamment celui du bâtiment. Le développement soutenable serait notre salut : on allait voir ce qu’on allait voir !
En 2007-2008, à travers deux rapports traitant du bâtiment durable à l’échelle globale10, 11 , le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE – SBCI) plaidait ainsi pour une combinaison appropriée de réglementations, de technologies et de changement comportemental comme moyen de réduire significativement consommation énergétique et émission de GES12 du secteur. C’est donc par le double enjeu de maîtrise des consommations énergétiques et de réduction des émissions de GES que s’est peu à peu imposée une nécessaire et massive (r)évolution du bâtiment. Quand bien même l’appréciation de la qualité du bâti se retrouverait réduite à l'efficacité énergétique, les seuls leviers techniques et réglementaires ne pourraient constituer seuls la solution. Les usagers devraient s’adapter : logique.
Ainsi, une nouvelle idée de la qualité du bâtiment focalisée sur la dimension énergétique est apparue ; elle s’appuie sur trois grandes dimensions :
- l’efficacité et la sobriété énergétiques intrinsèques (conception),
- les modes d’exploitation (entretien, maintenance, pilotage en vue d’une exploitation optimale),
- les conditions d’utilisation et les comportements des usagers (usage).
Le bâtiment revêtait tout à coup une nouvelle image, celle d’un objet technique, règlementaire, mais aussi social, avec autant de périmètres d’actions qu’il convenait de conjuguer :
- des leviers réglementaires et techniques seraient mobilisés pour agir sur la phase de conception ;
- d’autres porteraient sur la fonctionnalité en termes d’exploitation énergétique optimale du bâtiment ;
- il ne resterait plus qu’à agir sur les comportements des usagers.
C’est donc sous la pression urgente d’enjeux globaux (énergétiques et environnementaux) qu’a été impulsé le changement, prioritairement sous les angles réglementaires et techniques. L’approche « socio » était surtout focalisée sur les comportements des usagers. Le changement des pratiques de l’ensemble de la chaîne des acteurs n’était pas abordé en tant que tel. Les réglementations allaient évoluer, les pratiques professionnelles et d’usage suivraient : logique.
Agir conjointement sur la conception du bâti, l’exploitation et l’usage était proposé comme la voie vers un mode de développement soutenable du secteur. La prise de conscience de « la part des usagers » est ainsi apparue. Puis elle a été confortée avec les premières expérimentations de bâtiments « nouvelle génération ».
A l’échelle d’un bâtiment, l’usage représente 80 à 90% de la consommation énergétique totale (Koeppel et al., 2007, op. cit.) et 75% du coût financier (Constructeo, 2007)13. La quasi-totalité de l'énergie consommée au cours du cycle de vie d’un bâtiment est donc utilisée pour chauffer, climatiser, éclairer, ventiler, faire fonctionner des appareils électriques, etc. Or, les usages énergétiques étaient encore mal connus il y a dix ans, comme le soulignait très justement une étude réalisée par Enertech (2005)14. Les solutions de réduction de consommation énergétique passaient logiquement par la connaissance précise des postes de dépenses énergétiques d’usage.
Aujourd’hui, ces connaissances existent et c’est une avancée indéniable. Mais la compréhension des problématiques d’usage impliquant aussi les usagers, cette dernière ne peut pas pour autant se réduire à la métrologie énergétique : on ne consomme pas de l’énergie pour consommer de l’énergie, on consomme pour faire telle ou telle activité15. Si l’énergie est un fluide technique pour les ingénieurs, l’hypothèse selon laquelle elle relativement invisible pour les usagers mérite d’être considérée. Soudain, les objectifs de performance des uns allaient-ils se heurter notamment au désir de confort des autres.
Les premières expérimentations de « bâtiments performants » ont conduit à remettre l’usager en avant de la scène. Le monde idéal du bâtiment sobre (tel qu’imaginé par ses concepteurs) se heurtait à un écueil de taille, ramené par la réalité de ceux à qui ces bâtiments étaient destinés. L’usager récalcitrant ne semblait pas avoir imprimé dans ses comportements la logique vertueuse voulue par d’autres. Tout n’était pas « pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Dans ce contexte de risque environnemental et d’urgence (anxiogène, parce qu’émotionnel, y compris pour les concepteurs qui n’en demeurent pas moins Homme, donc usagers), il n’a pas fallu longtemps pour que soient pointés du doigt ces usagers qui venaient « brouiller les cartes »16, transformant ainsi en « enfer » le chemin de la performance pavé de « bonnes intentions » éco-responsables.
La manière dont la problématique des usagers a été (mal)traitée jusqu’alors a induit une représentation particulière des premiers concernés, à savoir les occupants eux-mêmes. Malheureusement, cette « image » est aujourd’hui bien ancrée chez de nombreux professionnels du bâtiment. Et elle a la peau dure. Or elle est lacunaire, voire erronée. C’est à ce titre qu’elle mérite une analyse critique.
Un article (2 pages) qu’avait consacré le Moniteur en 2011 à la question est symptomatique de cette situation : il épingle les 21,1°C mesurés en hiver dans des logements BBC par rapport aux 19°C prévus, ainsi que la surconsommation de 30% conséquente.
Sur le fond, l’article replace le débat de manière intéressante : la question des écarts de consommation énergétiques observés entre théorie et réalité sont retraduits autour du fait que « le comportement imaginé par les concepteurs n’est pas celui adopté par les utilisateurs » ; des arguments pertinents sont ensuite proposés à ce propos (nous y reviendrons dans d’autres articles). Mais cette approche nuancée est, implicitement, invalidée par la mise en avant, sous forme de petits 2 encarts colorés, de deux expertises s’accordant sur une position de commune : il faut SENSIBILISER.
La première expertise s’appuie sur le réalisme des « 19°C maximum » de température ambiante en comparaison avec des recommandations antérieures : 12°C dans les années 1900, 16°C dans les années 1950. En parallèle, est invoqué un rappel à la loi comme moyen d’imposer le fameux 19°C. Un parallèle est fait entre Code de la construction et de l’habitation et Code de la route et, bien que caractère anxiogène de la « pénurie énergétique » soit très justement souligné, cette comparaison amène à souligner la nécessité de sensibiliser sur la consommation énergétique via la menace de réchauffement climatique, à l’image de « l’encouragement au port de la ceinture de sécurité ».
La seconde expertise met elle aussi en avant la nécessité de pallier au défaut d’éco-responsabilité des usagers et de répondre à leur demande « d’information la plus complète et parfaite possible ». La faible appétence des « ménages français » pour les « pratiques économes » est pointée, au regard de résultats d’études sociologiques démontrant le non respect des 19°C. L’explication avancée ensuite s’appuie sur le fait que d’une part la « sensibilité écologique encore faible » ne joue pas « de manière significative sur les choix des équipements », dont le critère reste économique, et que d’autre part le confort reste privilégié. Enfin, constatant les efforts d’incitations financières de l’Etat pour « transformer l’essai de la normalisation et de l’information », l’expertise se conclut sur un levier : il faut « modifier les comportements ».
La manière dont le problème du non respect du 19°C est traité véhicule, plus ou moins implicitement, des messages quant au système [problèmes-causes-conséquences-solutions] : excès de confort et arbitrage économique, insensibilité voire irresponsabilité écologique, défaut d’information voire de compréhension, refus d’obtempérer. On frise les Tables de la Loi et les Sept Pêchés capitaux, faisant toucher du doigt le contexte d’injonction normative. L’environnement doit-il être érigé en néo-religion ?
Pardonnez aux irresponsables usagers : ils ne savent pas ce qu’ils veulent et ne comprennent pas les efforts consentis pour eux par d’autres pour que le bâti devienne moins énergivore et que eux aussi changent. N’est-on pas ainsi en train de faire glisser les usagers sur une planche de salut savonneuse ? Nous répondrons ultérieurement à cette question, posée ici de manière quelque peu provocatrice, en examinant en quoi ce contexte médiatique (ces messages) a toutes les chances de produire l’inverse de l’effet escompté. Ce sera aussi l’occasion de présenter ce que les SHS ont à dire sur le changement de comportement.
Les bâtiments « nouvelle génération » ne seraient-ils performants que sans leurs usagers ? La question a de quoi faire sourire. Ceux qui seraient tentés de répondre « oui » ne peuvent raisonnablement l’envisager. Revenons donc à la consommation de chauffage, car il est peut-être temps d’en finir avec ce 19°C. Cela va nous permettre d’enrichir le débat, et de faire d’une pierre deux coups.
Le bilan mitigé de la performance énergétique s’appuie donc sur l’écart entre les bilans prévisionnels et réels du bâtiment : soit. Mais quelle est, au juste, la réalité concrète de ces fameux 19°C ?
Prenons du recul : revenons sur l’autre terme du problème et ledit réalisme des hypothèses de calcul. Quelle « vérité » ces 19°C portent-t-ils ? Cette température recommandée est une valeur de référence ; c’est ce seuil (maximal) de température ou « Température Intérieure Conventionnelle » (TIC) qui sert à effectuer les calculs (prévisionnels) réglementaires (c’est l’une des 3 exigences de la RT 2012) : soit. Mais est-elle effectivement un bon prédicteur du confort thermique d’hiver réel ? Pour répondre, il est intéressant de souligner que la pertinence de cette valeur de référence s’appuie, elle aussi, sur un postulat qui reste à démontrer : 19°C de « Température Intérieure Conventionnelle » (TIC), soit la température ambiante, équivaut à la température de confort. En d’autres termes, le confort est-il soluble dans la performance ?
La réponse est non, au seuil de 19°C de température de l’air ambiant. Non car la température d’ambiance (celle qui est généralement mesurée et affichée : celle de l’air ambiant) n’équivaut pas systématiquement à la température ressentie. Comme le montre le schéma ci-dessous, le confort hygrothermique correspond à la diffusion de chaleur entre l’individu et l’ambiance ; il dépend de 6 facteurs et répond à 5 mécanismes de transfert de chaleur différents :
Source : Bourgogne Bâtiment Durable (« Bâtiment intelligent et qualité d'usage », Les Cahiers de la construction durable en Bourgogne n°4, Décembre 2013) d’après traité d'architecture et d'urbanisme bioclimatiques,
Alain Liébard et Alain de Herde, Observ'ER 2005
D’après ce schéma, notons que, toute chose étant égale par ailleurs : en position statique, pour une température d’air ambiant à 20°C, des températures de parois de 14°C ou 18°C induiront respectivement chez l’usager « moyen » des températures ressenties de 17°C et de 19°C.
Les résultats observés varieraient-ils donc selon la nature du commanditaire ou celle des habitants ? C’est que, précisément, la manière dont le monde du bâtiment appréhende cette interaction entre bâtiment performant et confort ne semble pas univoque. Ainsi, certains professionnels n’ont pas pris le parti de sacrifier le confort sur l’autel de la performance énergétique, bien au contraire. Par exemple, dans l’approche que propose La Maison Passive17, les bâtiments sont présentés simultanément comme « passifs » mais « actifs pour plus de confort » et la référence aux études psychosociologiques pose que « les habitants ne sont pas des « économiseurs à tout crin », prêts à avoir froid pour faire des économies ». Mieux, « les logements étudiés fonctionnent conformément à leur conception » et « aucun cas d’ouverture disproportionné des fenêtres n’a été observé ».
Mais revenons à notre « troisième homme » : le changement de comportement.
L’écart de performance énergétique constaté sur certains bâtiments, établi sur la base du bilan comparatif prévisionnel/réel n’en avait pas moins pointé une réalité : « les usagers ne se comportent pas comme prévu ». La surconsommation de chauffage n’est pas le seul paramètre de « mésusage » à régler. Le comportement de l’occupant est difficilement prévisible. A partir de quoi allait être déroulée une suite logique, au service de la performance et contre la menace climatique : qu’à cela ne tienne, sensibilisons, fournissons des modes d’emploi (des « carnets de vie ») du bâtiment.
Or, cette logique s’appuie sur un double postulat : « le faire dépend du savoir » et « le mode d’emploi est le support de ce savoir ». L’expérience de ces outils semblent en effet en démontrer l’efficacité... très relative. Les usagers restent d’imprévisibles occupants. La marche vertueuse vers la performance semble plus compliquée que prévue, et pour cause.
Revenons sur ces deux postulats pour les examiner à nouveau, cette fois-ci en tant qu’hypothèse et à la lumière de ce que peuvent en dire les SHS (Sciences Humaines et Sociales). Tout d’abord, l’information et la pédagogie sont deux choses différentes, sur le fond et sur la forme : elles ne sont pas équivalentes. Si l’information « livresque » suffisait, la formation pourrait se passer de formateur et l’éducation scolaire pourrait se passer d’enseignants. C’est ignorer, notamment, qu’une grande partie des informations mémorisées par le cerveau humain ne dépend pas du vecteur « non-verbal », un b.a.-ba des savoirs en information-communication (et en neurosciences). C’est, en outre, balayer tout aussi vite la valeur ajoutée de l’humain dans les situations d’apprentissage et la richesse d’autres formes pédagogiques que le support écrit. Enfin, la littérature (notamment en psychologie) montre que « sensibiliser n’est pas changer ». Au mieux, disons que le mode d’emploi est un outil (peut-être) nécessaire mais (certainement) non suffisant. Ces éléments mériteront, à leur tour, d’être détaillés. Je vous propose d’y revenir dans un prochain article.
La question complexe de la performance ne peut se poser « simplement », pour elle-même : en termes techniques, métrologiques. La performance n’est donc pour autant pas soluble dans la qualité d’usage, pas plus que cette dernière n’est soluble dans le confort, ni que ce dernier soit, à son tour (et bien heureusement), soluble dans le bien-être. A contrario, cela n’exclut pas que les uns contribuent aux autres.
L’écart de performance énergétique constaté sur certains bâtiments, établi sur la base du bilan comparatif prévisionnel/réel avait en son cœur, un talon d’Achille : le 19°C de « température intérieure conventionnelle ».
La part belle que cet écart a fait à la causalité dérivée du fait que « les usagers ne se comportent pas comme prévu » est, elle aussi, discutable18. Le fait est que le débat est, par effet médiatique notamment, à ce point focalisé sur la faute des usagers, qu’il conduit à dénoncer leur excès de confort, in fine leur « mauvais » comportement ». Cette causalité ne mériterait-t-elle pas, elle aussi, d’être regardée à deux fois ?
Ainsi, les problèmes pourraient-ils, peut-être, être posés d’une nouvelle manière, autour des questions suivantes :
- Quelle est la performance intrinsèque au bâti ?
- Quelles sont les parts d’économies imputables au fonctionnement des systèmes ?
- Quelles sont celles imputables aux comportements des usagers ?
- Quelles sont les hypothèses relatives à ces 3 problématiques RAISONNABLES à l’instant "t" ?
Un chemin a certes été parcouru en deux décennies. Mais pour être traitées efficacement (pertinemment), les problématiques du bâtiment doivent être observées dans leur complexité. Il est donc temps de croiser des savoirs et d’envisager des expériences, in fine, de créer des nouveaux domaines d’expertise « hybrides » (par opposition à sectorisés et lacunaires, voire sectaires). La difficulté de l’exercice consiste à créer des passerelles (puis des ponts) entre des domaines qui jusqu’alors s’ignoraient et qui ont aujourd’hui encore bien du mal à se comprendre. La difficulté est à l’image de celle qui consisterait à creuser un tunnel en commençant chacun de son côté, sans se voir et avec de telles différences de moyens que les chances d’arriver de l’autre côté sans jamais se rencontrer sont grandes. Si ces deux mondes semblent parfois s’ignorer, c’est peut-être faute d’espaces et de projet pour co-exister (et de budget pour les réaliser). Et s’ils donnent l’impression de dialoguer comme des sourds, c’est peut-être faute de langage commun, voire « d’oreilles ouvertes ! » Soyons convaincus que le confort est compatible avec la performance énergétique, dans l’esprit d’un « moins qui n’exclue pas le mieux ». La route est encore longue mais l’aventure ne s’en annonce pas moins passionnante !
Quelle que soit la causalité qui leur est attribuée et la publicité qui en est faite, les enjeux contemporains n’épargneront pas le monde du bâtiment. C’est une banalité que de le dire : nous sommes tous dans le même bateau. Soit, mais nous n’y avons pas tous les mêmes rôles, donc pas les mêmes possibilités ! Nous sommes pour ainsi dire plus complémentaires qu’égaux. En tout cas, ces banalités doivent nous interpeller sur les messages que nous véhiculons à travers nos expertises respectives. Car quoiqu’il en soit, la démarche de bâtiment durable ne se fera pas sans ses usagers. Et si les problématiques d’interaction « entre l’humain et le bâtiment » restent, à ce jour, relativement peu et/ou mal explorées, réjouissons-nous car c’est un formidable chantier qui s’ouvre ! Gageons qu’il saura apporter ses fruits : des mécanismes innovants et flexibles, à l’image des démarches d’accompagnement du changement !
A défaut de vous donner RDV « pour de nouvelles aventures », je vous invite donc à poursuivre nos réflexions pour comprendre si les usagers sont vraiment « des irréductibles gaulois », et si oui pourquoi ? Nous reviendrons également sur le bâtiment appréhendé en tant qu’espace vécu, sensible, et sur bien d’autres sujets qui ont été effleurés ici. N’hésitez pas à commenter cet article ci-dessous…
Par Perrine MOULINIE
Animatrice - Médiatrice Innovation - Bourgogne Bâtiment Durable
REFERENCES
1 Psycho-sociologie, économie, droit, sciences de l’information et de la communication, sciences de gestion, histoire, géographie, science de l’éducation font partie des Sciences Humaines et Sociales. Les sciences politiques, la philosophie sont aussi invitées.
2 Chez Bourgogne Bâtiment Durable, nous avons désormais adopté cette expression qui permet de souligner simultanément les dimensions non seulement techniques mais aussi humaines que « porte » le bâtiment.
3 L’architecture bien-sûr, les sciences techniques, les sciences du vivant mais aussi le design, l’ergonomie, etc.
4 Voir article sur les innovations sociales de Ludovic Gicquel (Vie to Be) pour X-Pair.
5Une autre expression que j’emprunte, cette fois-ci, à Gaétan Brisepierre, sociologue spécialisé dans le bâtiment et l’énergie.
6 de Rosnay, J. (1975). Le Macroscope, vers une vision globale. Paris : Éditions du Seuil.
7 Morin, E. (1990). Introduction à la pensée complexe. Paris: Éditions ESF.
8de Rosnay, J. (1995). Laborit : de la cybernétique à la systémique [en ligne]. Disponible sur : www.cite-sciences.fr/derosnay/articles/labo.htm
9 Cette phrase fut prononcée par Jacques Chirac en ouverture du discours qu'il fit en tant que président de la République française, devant l'assemblée plénière du 4ème Sommet de la Terre de Johannesburg (2002). Cette déclaration constatait le changement climatique, la destruction de la Nature, tout en critiquant l'indifférence humaine face à la catastrophe, qui mettait ainsi en danger le vivant et à l'épreuve l’espèce humaine.
10 Koeppel, S., Ürge-Vorsatz, D., Assessment of Policy Instruments for Reducing Greenhouse Gas Emissions from Buildings, A report of UNEP Sustainable Buildings and Construction Initiative, United Nations Environmental Program and Central European University, Paris, France, 2007.
11 Cheng, C., Pouffary, S., Svenningsen, N, Callaway, M., The Kyoto Protocol, The Clean Development Mechanism, and The Building and Construction Sector, A report of UNEP Sustainable Buildings and Construction Initiative, United Nations Environmental Program, Paris, France, 2008.
12 Gaz à effet de serre
13 Actes du Forum Constructeo du 19 novembre 2007: « Gestion patrimoniale des bâtiments tertiaires : retours d’expériences »
14 Enertech, Technologie de l’information et de l’éclairage – Campagne de mesures dans 49 ensembles de bureaux de la Région PACA, 2005
15 Cette évidence sur la « sociologie de l’énergie » questionne les modes de vie.
16 « Bâtiment Basse Consommation : les usagers brouillent les cartes », Le Moniteur, 7-10-2011, pp 16-17.
17 « Expériences d’habitants », in Guide professionnel des bâtiments passifs en France 2014-2015, p. 49.
18 Est-il utile de le préciser : ce n’est pas la seule.
SOURCES ET LIENS
Bonjour,
Merci Perrine pour l'article, très intéressant, le sujet revient de plus en plus.
Le constat est simple : personne ne programme son thermostat et pourtant c'est l'outil qui gère le poste le plus énergivore dans le logement. Notre thermostat apprend de lui-même les habitudes de vie pour chauffer uniquement lorsque la personne est présente et il anticipe les retours à la maison.
Plusieurs intérêt : le thermostat a seulement deux boutons, un plus et un moins. Ainsi pas besoins de notice pour l'utilisateur. Second point, la température de confort s'adapte en fonction de ce que fait l'utilisateur : si il appuie régulièrement sur le bouton "+", le thermostat va apprendre de l'utilisateur pour ajuster la température.
Dès que l'utilisateur est absent, un réduit se met en place pour réaliser des économies, sans toucher au confort. Si la personne souhaite se chauffer à 22°C pas de problème, Qivivo s'occupe des économies lorsque le logement est vide.
Le produit s'adapte donc à l'utilisateur. Nous avons réalisé des expérimentations avec des bailleurs sociaux avec des résultats convaincants (résultats prochainement publiés).
Nous arrivons petit à petit à des produits s'adaptant à l'utilisateur. Si vous souhaitez en discuter, n'hésitez pas à me joindre, maxime@qivivo.com - Je vous invite à lire ce que nous proposons http://www.qivivo.com/thermostat-connecte-intelligent