Construire à coût maîtrisé des logements collectifs à 40 kWh/m².an

Par Jean-François COROLLER - Ingénieur ETP – BET Kerexpert

La singularité de cette chronique est qu’elle livre toute la réflexion du BET en phase Projet d’un ensemble immobilier à Bondy (93) pour atteindre au final des performances énergétiques très élevées.

Perspective de l’opération

Illustration n°0 : perspective de l’opération (source M-A architectes)

Etude de cas : opération de 74 logements, d’environ 4500 m² de surface habitable.

Conception en cours – phase Projet – Avril 2016.

Interlocuteurs : Maître d’Ouvrage : OGIC - Architecte : M-A - BET TH-CVC-ELEC : Kerexpert - BE-structure : BA-structures

Objectif : passer de 72 kWh/m².an à 40 kWh/m².an. (Gain de 32 points)

Sur la commune de Bondy, les constructeurs bénéficient d’un bonus de constructibilité si le bâtiment consomme moins de 40kWh/m².an.

Cette exigence va dans le sens de la recherche de la performance énergétique ; elle représente un gain de 45% par rapport au CepMax RT, et même au-delà du label Effinergie+ à 48kWh/m².an.

Cependant, ce seuil de 40kWh/m².an n’inclut pas de coefficient de pondération comme en RT 2012. Ainsi, la mise en œuvre d’une chaufferie bois ou la construction de petits logements ne sont pas bonifiées.

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L’hyper-cogénération : une fausse bonne idée !

Favoriser l'autoconsommation

Illustration n°1 - source Viessmann. A l’heure actuelle de nombreux produits très performants existent sur le marché. Ils ne sont malheureusement pas adaptés – en fonction de leur puissance – à tous les projets ; l’autoconsommation devant être favorisée.

De plus, aucune limite de production locale n’étant fixée, la mise en place d’une chaudière gaz à cogénération est « théoriquement » la solution idéale. Grâce à la mise en place d’une chaudière d’une puissance électrique de 20kW pour 32kW thermique, avec en relève une chaudière gaz classique, la production locale d’électricité est de 111 MWh-EP/an, ce qui permet de diminuer le Cep de 20kWh/m².an.

C’est malheureusement une fausse bonne idée. Le prix de la chaudière – 55 k€ prix public en fourniture – est effectivement vite amorti grâce aux économies faites sur l’absence d’un traitement renforcé de l’enveloppe, mais c’est une ineptie énergétique. Notre bâtiment devient une centrale électrique dont la production est si importante qu’elle n’est quasiment pas utilisée en autoconsommation pour les services généraux. (cf. article Xpair)

Afin d’éviter de favoriser une solution technique, nous avons donc tout d’abord travaillé sur la performance de l’enveloppe de notre bâtiment. L’outil réglementaire n’étant pas adapté à la conception des bâtiments performants, une simulation thermique dynamique a parallèlement été réalisée.

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Un travail collaboratif dès l’esquisse, pour faire un bâtiment élégant et performant.

Mais, avant de se lancer dans des calculs compliqués, un brief technique a été monté avec toute l’équipe de conception.

Dès la faisabilité, Maître d’Ouvrage, Architecte et Bureaux d’Etudes ont travaillé en étroite collaboration. L’objectif : trouver un consensus entre les nombreuses exigences de chacun : confort des futurs occupants, intégration architecturale, investissement et coûts de maintenance maîtrisés, etc.

La collaboration de l’équipe Projet

Illustration n°2 : la collaboration de l’équipe Projet

Ainsi, l’équipe d’architectes a réussi le tour de force de créer un projet qui bénéficie d’une très bonne compacité sans pour autant dénaturer le parti architectural. Le bâtiment est élégant et performant.

Même si aucune exigence n’était donnée par le PLU sur le Besoin Bioclimatique noté « Bbio », nous avions pour objectif de le diminuer au moins de moitié par rapport à l’exigence réglementaire (Bbio-Max) avant de modéliser les systèmes. C’est « l’ordre de grandeur Kerexpert » lorsque nous cherchons à concevoir un bâtiment avec une solution bas carbone. Nous l’avons également appliqué à ce projet.

Pour l’isolation de la façade, le traitement par l’extérieur a été écarté. Mise à part la volonté de la Maîtrise d’Ouvrage d’éviter cette solution, cette technique génère des contraintes ; entre-autres le traitement renforcé du C+D lié à la sécurité incendie, en inadéquation avec des surfaces vitrées importantes. De plus, ces mêmes surfaces vitrées créent jusqu’à trois fois plus de déperditions de ponts thermiques de menuiserie en ITE* qu’en ITI*.

Notre volonté initiale, en tant que bureau d’études thermiques, était de mettre en œuvre, comme sur d’autres projets à Lyon ou à la Garenne-Colombes, une solution mixte ITI+ITE à épaisseur quasi-équivalente. La contrainte économique a finalement eu raison de notre volonté et nous avons dû concevoir le bâtiment en ITI, en réfléchissant aux différentes solutions possibles pour le traitement des ponts thermiques.

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Résoudre le Rubik’s Cube de la construction

A l’image du jeu bien connu Rubik’s Cube – certains disent que c’est un casse-tête – il a fallu considérer toutes les contraintes liées à la structure, l’énergie, l’acoustique, l’accessibilité des PMR, l’environnement, l’incendie et bien évidemment l’économie, pour choisir le gros-œuvre.

L’Ile-de-France étant heureusement une zone de faible sismicité, les rupteurs de ponts thermiques se sont avérés être – dans notre cas précis – l’une des solutions adéquates. Des rupteurs SCHOECK DF6/10 (ψ=0,28W/ml.K) et DF6/4 (ψ=0,20W/ml.K) ont été positionnés en périphérie. Le choix s’est fait en fonction de leur performance structurelle. Le rupteur DF6/10 contenant plus d’acier est moins bon thermiquement, mais il assure une reprise de charge plus importante. Le projet a pu être parfaitement optimisé grâce à notre collaboration avec BA-structures.

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Le coffre de volets roulants, un enjeu important

L’autre point important a été le choix des fermetures. En effet, le coffre de volets roulants est un point faible ; à la fois thermiquement et phoniquement.

Là encore, il a fallu faire un choix parmi toutes les solutions possibles. Les volets coulissants n’ont pas de coffre, mais leur usage peu pratique et leur intégration architecturale doivent être considérés.

Les stores extérieurs enroulables sont une bonne alternative en guise de protection solaire, mais leur aspect peut être considéré comme « bon marché » et la protection contre les intrusions n’est pas traitée. Les coffres monobloc PVC présentent une faible performance thermique, même lorsqu’ils sont renforcés. Les coffres menuisés, plus chers mais mieux isolés, apportent une meilleure protection contre le froid et le bruit.

Le système COFRASTYL-Béton 1
Le système COFRASTYL-Béton 2
Le système COFRASTYL-Béton 3

Illustration n°3 : Le système COFRASTYL-Béton (source COFERMING)

Dernière solution envisagée (cf. illustration 3), la pose d’un coffre en applique intérieure grâce à la mise en place d’une coquille métallique en linteau lors du coulage de la banche. C’est LA solution qui réconcilie architectes (coffre non saillant) et thermiciens (Uc=0,78 W/m².K)

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Les impacts de l’acoustique et de l’accessibilité PMR sur le choix et l’épaisseur des isolants

Tous les autres éléments de l’enveloppe ont ensuite été traités de manière renforcée. 14 cm de polystyrène expansé élastifié ont été mis en œuvre sur les murs de façade. Les isolants à base de polyuréthane en contact avec l’environnement intérieur ont été écartés ; leurs effets sur la santé n’étant pour le moment pas véritablement connus. De plus, avec la mise en œuvre de rupteurs de ponts thermiques, la performance acoustique réglementaire n’est pas atteinte.

Des menuiseries classiques PVC 4/16/4 ITR-Argon-WarmEdge ont été préconisées.

Une isolation renforcée des toitures terrasse a été mise en œuvre en n’oubliant pas de s’assurer que la marche permettant l’accès aux terrasses accessibles doit être limitée pour en permettre l’accès aux handicapés. Ainsi, seuls 10 cm de polyuréthane ont été mis en œuvre en terrasse accessible.

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Sans oublier le bon sens…

L’idéal en ITI pour le traitement du pont thermique plancher bas / façade est de mettre un isolant sous chape (ITI 1.2.6). Cela garantit la continuité de l’isolant.

ITI 1
ITI 1

Illustration n°4 ITI 1. (source Règles ThU Fascicule 5)

Cependant, il ne faut pas oublier que les réseaux de chauffage et d’eau chaude sanitaire de chacun des appartements du rez-de-chaussée passent dans des fourreaux noyés dans la dalle en béton. Si aucun isolant n’est mis en place en sous-face de dalle, les réseaux – en l’absence de fourreaux calorifugés – créeront un plafond chauffant pour les voitures stationnant au parking. Il faut donc considérer un pont thermique ITI 1.2.4.

Une fois l’enveloppe traitée de manière performante, il a fallu concevoir les systèmes de chauffage, d’eau chaude et de ventilation.

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Le bâti, puis les systèmes envisageables en phase Projet

Aucun réseau de chaleur n’étant disponible à proximité de la parcelle, cette solution, souvent vertueuse, n’a malheureusement pu être envisagée.

Les solutions collectives bas carbone (valorisation thermodynamique des eaux grises, pompes à chaleur type HYDRAPAC de chez Atlantic, etc ...) pourtant performantes n’ont pas été retenues. En effet, leur impact sur le bilan de puissance électrique de l’opération étant important, leur recours aurait nécessité l’intégration d’un transformateur électrique dans le bâtiment.

La ventilation double-flux pour des raisons d’investissement et de risque de contre-performance liée à l’absence d’entretien a également été écartée. De nombreux bailleurs sociaux franciliens ne sont d’ailleurs pas favorables à cette solution.

Les chaudières gaz collectives à condensation ont finalement été retenues pour leur performance et leur coût d’investissement.

Pour la régulation, l’émission, la distribution et le calorifuge des réseaux, le parti pris a été de favoriser des solutions performantes mais connues et maîtrisées tant techniquement qu’économiquement. Les réseaux sont isolés en classe 4, et une loi d’eau sur la température extérieure a été couplée à des robinets thermostatiques ayant une VT=0,27 K

Malgré la bonne isolation de l’enveloppe et la mise en place de systèmes performants, il a été nécessaire de réfléchir aux énergies renouvelables.

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Et enfin les énergies renouvelables

8.1) Panneaux solaires thermiques

Le soleil est l’énergie renouvelable à laquelle on pense instantanément. La solution risquée aurait été d’utiliser l’outil réglementaire comme outil de conception et d’installer de nombreux panneaux solaires thermiques quitte à surdimensionner l’installation. Le Cep aurait naturellement diminué. Cependant, le moteur de calcul THBCE ne nous aurait pas alerté du risque de « caramélisation » des panneaux, et dès le premier été, le risque de surchauffe de l’installation aurait été important.

L’autre erreur, en favorisant le recours aux panneaux solaires, est de ne pas s’assurer qu’il est bien possible de les positionner en toiture. Dans ce cas, il est nécessaire de revoir le nombre de panneaux à la baisse. Si toutefois, on les pose, voilà ce que cela peut donner.

Panneaux trop peu écartés

Illustration n°5 Ce qu’il ne faut pas faire : des panneaux trop peu écartés vont réduire les performances. (Crédit photo Kerexpert)

Dans notre cas, nous avons mis en œuvre 120 m² de panneaux solaires plans tout en s’assurant que la production était bien inférieure aux besoins aux périodes critiques. Cependant, comme il est impossible de prédire le véritable profil de puisage, nous étudions – encore à l’heure actuelle – les technologies différentes afin de garantir l’absence de surchauffe. L’auto-vidangeable est la solution la plus connue. Une autre technologie est apparue récemment. Il s’agit de panneaux solaires utilisant l’oxyde de vanadium comme matériau thermochrome. En-dessous de la température de transition, il est transparent au rayonnement infrarouge (les panneaux chauffent), au-dessus de la température il augmente son émissivité, diminuant ainsi la surchauffe des panneaux.

Système Viessmann Système Viessmann

Illustration n°6 Système Viessmann

Malgré la valorisation de l’énergie solaire, un système performant supplémentaire doit être mis en œuvre. Les technologies qui, à investissement équivalent, permettent de diminuer la consommation jusqu’à 40kWh/m².an sont :

8.2) La PAC à absorption gaz

PAC Absorption Gaz
PAC Absorption Gaz

Illustration n°7 PAC Absorption Gaz

En tant que membres du réseau Effilience, nous nous devions de l’étudier. Malheureusement le gain réel sur le Cep est mal valorisé en RT 2012. La STD permet de mieux estimer les économies d’énergie qui sont de plus de 15%.

8.3) La valorisation de l’air extrait

Valorisation de l’air extrait
Système SORAYA de chez France Air

Illustration n°8 La valorisation de l’air extrait – le système SORAYA de chez France Air

Etant en ventilation simple-flux, la valorisation des calories contenues dans l’air vicié était une évidence. La PAC contenue dans le caisson d’extraction assure le préchauffage de l’eau chaude sanitaire et permet de diminuer de plus de 20% les consommations en gaz de la chaudière. Cette solution bénéficie de l’avantage de présenter assez peu de contraintes d’implantation et d’alimentation.

La cogénération en autoconsommation

La mise en place d’une chaudière à cogénération de faible puissance (6 kW électrique pour 15 kW thermique) fonctionnant en priorité, avec une chaudière classique en relève, permet de produire suffisamment pour atteindre les 40kWh/m².an. L’objectif est ici d’auto-consommer la production électrique via les services généraux.

8.4) Combiner ces 3 solutions techniques ?

Là encore, l’idéal pour Kerexpert aurait été de pouvoir combiner ces 3 solutions et de les raccorder (y compris les panneaux solaires) sur un ballon d’accumulation qui grâce à sa stratification importante aurait permis à chacune de ces technologies de travailler au bon régime de température.

La mise est œuvre d’une GTB aurait également pu permettre de sélectionner la solution qui présente le meilleur rendement en fonction des conditions climatiques et des conditions d’utilisation du bâtiment.

Ici l’objectif étant de passer sous la barre des 40kWh/m².an et non de satisfaire notre « curiosité technologique », une seule de ces trois solutions a dû être retenue. Ces choix techniques étant sensiblement équivalents en termes d’investissement, le système de la valorisation de l’air extrait a été sélectionné. En effet, la valorisation des énergies renouvelables de récupération – ici l’air vicié – est selon nous prioritaire à la mise en place d’autres systèmes performants.

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En conclusion

Grâce à une conception collaborative – sans nécessairement parler de BiM – les contraintes et les enjeux de chacun des interlocuteurs ont bien été intégrés à chacune des étapes du projet, ce qui a permis la maîtrise de l’investissement financier tout en atteignant une performance énergétique exceptionnelle. Au-delà de la phase projet, il sera ensuite intéressant de développer le moment venu la phase chantier, et bien entendu, la phase exploitation ; la seule pouvant prouver les réelles performances et la confirmation d’une bonne étude Projet !

Rappel : Nous avons présenté une opération de Logement collectif en Ile-de-France, dans d’autres régions les conclusions peuvent être différentes. Les matériaux et systèmes cités sont ceux connus par le BET rédacteur de cet article, d’autres solutions existent. Si vous avez d’autres idées n’hésitez pas à contacter Kerexpert.

Cet article s’adressant à des néophytes (à un large public), des raccourcis pédagogiques ont été pris afin de ne pas alourdir la compréhension d’une terminologie parfois complexe.


Acronymes

ITI : Isolation Thermique par l’Intérieur
ITE : Isolation Thermique par l’Extérieur
STD : Simulation Thermique Dynamique
GTB : Gestion Technique du Bâtiment
PMR : Personnes à Mobilité Réduite

Par Jean-François COROLLER
Ingénieur ETP – BET Kerexpert


SOURCE ET LIEN

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