Fait par Bernard Reinteau, journaliste spécialisé
Au sortir de la séquence sur les retraites, le gouvernement a choisi de « se refaire » en attaquant la décarbonation. Ce pour montrer des ambitions environnementales et coller aux projets verts européens. Aux risques de se confronter à quelques chocs techniques, voire de rater quelques innovations.
Qui ne l’a pas encore entendu ? On va décarboner ! Le sujet traverse toutes les activités – transports, agriculture, industrie, bâtiment, production d’énergie et déchets, et les grands acteurs ont, depuis plusieurs mois déjà, remis leurs propositions.
Feuille de route décarbonation du cycle de vie du bâtiment
Pour le bâtiment, Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable, et Étienne Crépon, président du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) se sont fait les porte-parole de la filière et ont rendu une épaisse copie au début de cette année : « Feuille de route décarbonation du cycle de vie du bâtiment ». En tout, un bon millier de personnes ont contribué à cette réflexion.
Proposition de feuille de route de décarbonation du bâtiment
Cette littérature présente pour premier intérêt de mettre à jour et de rassembler les informations éparses sur ce secteur. Régulièrement, notamment depuis le Grenelle de l’Environnement de la mi-2007, ces documents au contenu très riche constituent un état des lieux. Concernant les émissions de CO₂ – pour mémoire, environ 153 Mt CO₂ eq, dont 103 Mt pour les émissions directes et indirectes liées à l’exploitation des bâtiments et 50 pour la fabrication de produits de la construction, ce document indique les « leviers » pour parvenir à une décarbonation en phase avec les objectifs assignés par l’Europe.
Emissions-GES-2021
En tout, ces experts en avaient rassemblé 25 portants sur la composition des ouvrages (7 leviers), sur la construction neuve (6), sur la rénovation (4), sur les usages (4) et sur les leviers transversaux (4). À cela s’ajoute des propositions relatives à l’emploi et à la formation des compagnons.
Très synthétiques, les fiches faisaient part des actions à mener par la filière et des propositions d’évolution des politiques publiques. Les propos étaient plus amplement développés dans les annexes du rapport remis aux pouvoirs publics, avec notamment une estimation des réductions de carbone relatives à ces mesures.
Réductions-GES-2030
Rebattre les cartes de la décarbonation
Si l’initiative est de qualité, elle est cependant bousculée par l’actualité du pacte vert européen. Fin Mars, les instances législatives européennes (Parlement, Conseil et Commission) décident de rehausser les objectifs d’énergie renouvelable à 32, voire 42,5% de la consommation totale d’énergie, contre 22% en 2022.
Parallèlement, le débat sur la taxonomie verte semble laisser le nucléaire de côté. En conséquence, sur le dossier « hydrogène », les instances européennes rangent l’hydrogène produit à partir d’énergie nucléaire dans la catégorie « hydrogène gris ».
Un peu à la peine en matière d’énergie renouvelable – on est aujourd’hui à environ 20% d’EnR dans la consommation finale brute d’énergie avec une grosse part de biomasse solide et d’hydraulique, sous l’objectif 2020 de 23% et loin des 33% prévus en 2030, la contrainte de la décarbonation se fait plus forte.
Depuis quelques semaines, toutes les filières – industrie, transport, agriculture, bâtiment, énergie – sont examinées sous l’angle d’une planification écologique revue et surtout, fortement accélérée. Pour beaucoup, il s’agit là de « se refaire » après les mois de contestation sur le dossier des retraites.
Parc-Résidentiel-Tertiaire
Pour ce qui concerne la décarbonation dans le bâtiment, le signal majeur est donné par la volonté de tirer sur les leviers du fioul et du gaz naturel. Après les rumeurs, puis les annonces de bannissement des chaudières à gaz dans l’existant, l’émotion des parties prenantes a conduit à proposer une concertation. Stratégie classique qui est résumée dans le dossier constitué à cette occasion. Ces pages traduisent un argumentaire en réalité assez mince : le gaz fait partie des énergies fossiles, donc il faut en réduire l’emploi ; d’autres pays européens font de même ; et les technologies de pompes à chaleur sont à même de relever le défi.
À ce sujet, le document du gouvernement fait un large usage des informations sur les marchés des systèmes de chauffage fournis par les organisations professionnelles Uniclima et Clim Info. D’ailleurs, cette présentation des progressions des ventes de ces dernières années tord quelque peu la représentation réelle du parc de chaudières et de pompes à chaleur installées.
Dossier Concertation Décarbonation
La réduction du recours au gaz est désormais adoucie par une planification de changement d’équipement en maisons individuelles, en logements collectifs et en tertiaire.
Les leviers sont à la fois « techniques » et financiers. Ainsi, on envisage d’interdire le renouvellement des générateurs dont les émissions dépassent 150 gCO₂/kWh. La mesure se mettrait en place progressivement.
Ensuite, les aides à la rénovation prennent le relais : MaPrimRenov et CEE ne sont plus applicables à ces chantiers, et par ailleurs, le taux de TVA réduit est aussi abandonné pour ces changements de matériels.
Pour être efficace sur le papier, la mesure technocratique peut en revanche se révéler délicate sur le terrain. Toutes les maisons individuelles, même fortement isolées, ne sont pas adaptées à la substitution du gaz par une pompe à chaleur. Et à plus forte raison, les logements collectifs, notamment sociaux, très équipés en murales à gaz. Certes, le cabinet Pouget Consultants a récemment remis, en Octobre dernier, un rapport sur les possibilités d’équiper toutes sortes de logements individuels et collectifs en pompes à chaleur. Le document montre surtout la complexité de ces rétrofits.
Étude sur les freins et leviers à la diffusion de la PAC en logement collectif
Au chapitre des gaz, il faut compter avec le biogaz, l’hydrogène et sur les chaudières « bas CO₂ »
Surtout, cette mesure fait lourdement l’impasse sur le sujet de l’évolution du gaz et des chaudières à gaz. Au chapitre des gaz, il faut compter avec le biogaz et l’hydrogène. La récente planification écologique de l’énergie présentée mi-Juin, prélude aux discussions sur la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie, fixe pour 2030 un taux de 15% de biogaz injecté dans les réseaux. On en est encore loin – environ 2% – mais les projets de méthanisation sont nombreux et de nouvelles méthodes de production (pyrogazéification) devraient déboucher.
Quant aux chaudières elles-mêmes, elles continuent d’évoluer. À rebours des industriels qui investissent fortement sur la production de pompes à chaleur sur le sol européen, BDR Thermea travaille sur les chaudières « bas CO₂ ». L’idée est d’adopter de nouvelles technologies pour « autoproduire » du gaz. Cet industriel a présenté sur le dernier salon Interclima l’association d’une chaudière à condensation et d’un minihydrolyseur dont le principe est de reprendre les condensats pour extraire l’hydrogène et l’injecter au brûleur.
Les premières chaudières de grandes puissances sont promises dans les mois à venir ; les chaudières individuelles devraient suivre. Un tel procédé devrait faire chuter les émissions de CO₂ bien en deçà du seuil des 150 gCO₂/kWh.
Pour un bailleur social, ce type d’équipement « matche » toutes les cases : coût d’investissement réduit, maintenance maîtrisée, charges des locataires faibles.
Rien sur la biomasse, rien sur le solaire thermique
Très orientée « pompe à chaleur » et destinée à convaincre la filière de manière très peu subtile de l’urgence de se débarrasser coûte que coûte des chaudières, la concertation sur la décarbonation fait aussi l’impasse sur des sujets importants : rien sur la biomasse, rien sur le solaire thermique, notamment. On retrouve ces thèmes dans la planification écologique de l’énergie où la biomasse, le biogaz et le solaire thermique sont rassemblés sous la rubrique chaleur renouvelable. À noter que ce document oriente plutôt la chaleur thermique à destination de l’industrie.
De même, l’accent est mis sur les réseaux de chaleur portant une forte part de renouvelables (80% en 2035). Mais la planification incite les exploitants à retenir les alternatives à la biomasse, à savoir, géothermie et solaire thermique.
Planification écologique de l’énergie
Le gouvernement a-t-il anticipé la critique qui pourrait lui être faite de préparer les débouchés de consommation des centrales nucléaires dont la construction a été votée ? Le chapitre de l’électricité demande de « pousser tous les leviers au maximum, sur le nucléaire et (en majuscule et souligné) sur l’ensemble des ENR », photovoltaïque (au rythme d’installation de 3 700 à 5 500 MW par an) et éolien (1200 à 1900 MW/an en terrestre et 40 GW mis en service en mer en 2050).
Ces investissements demanderont de réaménager quasiment intégralement le réseau électrique du pays (pratiquement 20 Mds/an jusqu’en 2030, 25 Mds/an en 2030-2034), ce qui devrait se traduire, selon RTE par une augmentation de l’électricité « de l’ordre de 15% à l’horizon 2050 ».
Fait par Bernard Reinteau, journaliste spécialisé
Sources et liens
Feuille de route de décarbonation de la filière bâtiment (4 pages) - Cliquez ici
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.