Par Jean-Pierre HAUET, Président du Comité scientifique d'Equilibre des Energies
De récentes tribunes visant à perpétuer le recours aux énergies carbonées dans le bâtiment, en s’appuyant sur le concept d’énergie primaire, nous amènent à préciser quelques notions essentielles et à rectifier certaines contre-vérités.
Dans une optique de développement des énergies renouvelables, la notion de consommation d’énergie primaire n’a plus aucun sens.
Les logements neufs sont hyper isolés et leur appel de puissance pour le chauffage est au moins de six fois inférieur à celui des logements anciens.
Le concept d’énergie primaire dans le bâtiment
Le concept d’énergie primaire a été développé dans les années 1970 pour agréger entre elles, dans les bilans énergétiques nationaux, les énergies fossiles relativement interchangeables qu’étaient le charbon, le fioul et le gaz. C’était un indicateur purement statistique qui a été exprimé en tonnes d’équivalent charbon puis en tonnes d’équivalent pétrole. Pour intégrer dans ces bilans l’énergie hydraulique, il fallait bien convenir d’un coefficient de conversion du kWh électrique en kWh thermique. Ce coefficient d’énergie primaire a été fixé tout d’abord à 2,80 puis, à compter de 1972, à 2,58.
L’arrivée du nucléaire a posé problème car que signifie l’énergie primaire d’un gramme d’uranium ?
Mais dans le souci de rendre plus visible la part du nucléaire dans les bilans énergétiques de la nation, il fut décidé d’affecter un coefficient de conversion de 3 au kWh électrique d’origine nucléaire et simultanément de « rétrograder » le coefficient applicable à l’hydraulique, comme à la plupart des énergies renouvelables, à 1. Grosso modo, le coefficient de 2,58 continuait ainsi, en moyenne, à trouver sa logique. Notons cependant que la géothermie, utilisée pour la production d’électricité, a, par exception, « écopé » au passage d’un coefficient de 10 !
Le développement massif des énergies renouvelables rend ces pratiques complétement obsolètes. Car que veut dire « consommer » de l’énergie primaire si l’énergie en question est renouvelable ? La Commission Européenne fait très attention dans ses écrits à ne pas parler de « consommation » mais « d’utilisation ». On peut utiliser une ressource primaire mais on ne peut pas consommer l’énergie solaire plus qu’on ne consomme l’air que l’on respire.
On pourrait penser que ces considérations sont des arguties intellectuelles. Le problème est que la notion de consommation d’énergie primaire est passée subrepticement du statut d’indicateur statistique à celui de critère réglementaire utilisé dans les réglementations du bâtiment et que cette utilisation a entraîné des distorsions majeures aux dépens du consommateur et de l’intérêt général.
L’électricité a été chassée de la construction neuve collective au profit du gaz.
Réglementation et coefficient d’énergie primaire, vers des absurdités …
L’utilisation à des fins réglementaires du critère de consommation d’énergie primaire a conduit à des absurdités et à des déséquilibres inacceptables.
Chacun peut comprendre que, dès lors que l’électricité est affectée d’un coefficient de 2,58, il lui est beaucoup plus difficile de satisfaire à des réglementations thermiques fixant, en énergie primaire, des plafonds de consommation à ne pas dépasser.
On a vu ainsi de nombreux logements existants chauffés à l’électricité être reconvertis au gaz afin de réaliser des « économies » d’énergie primaire et bénéficier des financements correspondants. Mais de tels investissements n’apportent ni réduction des émissions de CO2, ni économies sur les factures supportées par les usagers.
On observe également que les logements d’étiquette F, selon l’échelle du DPE, chauffés à l’électricité ont en moyenne un bâti de meilleure qualité que les logements classés D chauffés au gaz (figure 1) 1. Traiter ces logements selon les principes retenus pour les « passoires thermiques » correspond à une mauvaise orientation des ressources de la collectivité.
Figure 1 : Comparaison des performances thermiques du bâti des logements chauffés au gaz et à l’électricité en fonction de leur étiquette DPE.
Cette figure établie à partir des données de l’enquête Phébus de 2013 publiée par le SDES, montre que l’Ubat (critère représentatif de la qualité du bâti) des logements chauffés à l’électricité et ayant une étiquette E de DPE est inférieur à celui des logements chauffés au gaz et classés en étiquette D. Les logements F chauffés à l’électricité n’ont aucune raison d’être assimilés à des passoires thermiques.
Dans les logements collectifs neufs, censés représenter dans les années à venir 75 % des constructions neuves, le graphique de la figure 2 ci-dessous parle de lui-même. L’électricité a été chassée de la construction neuve au profit du gaz qui occupe aujourd’hui 75 % du marché et avec des logements qui sont moins bien isolés que ne l’étaient les logements chauffés à l’électricité sous la RT2005.
1 Source : SDES – Enquête Phébus 2013.
Figure 2 : Energies de chauffage en logements collectifs neufs – Source : Batietude
Il est clair que l’on prend ainsi un chemin inverse à celui de la transition vers la neutralité carbone puisqu’un logement chauffé au gaz, type RT 2012, émet 11 kg de CO2 par m2 et par an alors qu’un logement chauffé à l’électricité n’en émet que 3 kg (figure 3).
Figure 3 : Performances CO2 des bâtiments selon le mode de chauffage, comparées aux objectifs du facteur 4 et de la SNBC (version 2015) – Source : Carbone 4.
Il ne faut pas faire noir quand on a dit que l’on ferait blanc
Nous comprenons que la situation soit difficile pour l’industrie gazière dont il ne s’agit pas de contester les mérites. Mais les politiques doivent être cohérentes et il ne faut pas faire noir quand on a dit que l’on ferait blanc. Même les grands pays gaziers, comme les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, conviennent à présent qu’il faut cesser d’utiliser le gaz pour le chauffage des logements neufs à compter de 2025.
Des trajectoires de sortie des énergies fossiles doivent être ménagées mais des raisonnements fondés sur des contre-vérités ne peuvent pas faire progresser dans un sens conforme à l’intérêt général.
Quelques contre-vérités à rectifier :
- Il est faux de dire qu’une révision du coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire n’aura pour effet que de promouvoir le chauffage par effet Joule.
Tous les usages de l’électricité sont concernés, puisque le 2,58 s’applique à tous les usages de l’électricité dans le bâtiment qu’il s’agisse de pompes à chaleur ou de solutions hybrides associant l’électricité du réseau aux énergies renouvelables locales. Le but d’Equilibre des Energies est de promouvoir sans discrimination toutes les solutions décarbonées mais l’électricité, par la diversité de ses moyens de production et d’utilisation, est aujourd’hui le vecteur énergétique qui se prête le mieux à la promotion combinée des énergies renouvelables. -
Il est faux de dire que le développement des usages de l’électricité posera des problèmes de pointe sur les réseaux.
Les logements neufs sont hyper isolés et leur appel de puissance pour le chauffage est au moins de six fois inférieur à celui des logements anciens. Un logement collectif neuf chauffé à l’électricité entraînera pour son chauffage un appel de puissance d’au plus 500 W en période de grand froid2 et même moins compte tenu des possibilités de gestion active de l’énergie qu’offre l’électricité. 100 000 logements collectifs chauffés à électricité n’entraîneraient pas une demande de puissance additionnelle supérieure à 40 ou 50 MW. Dans le même temps le remplacement des vieux convecteurs par des radiateurs à haute performance énergétique offre une réserve de flexibilité de plus de 5 GW !
Il faut noter par ailleurs que l’électricité permet des solutions hybrides en pompe à chaleur ou par la combinaison avec le bois, le solaire ou la géothermie. Les solutions chauffage à gaz + chauffe-eau électrique thermodynamique permettent aussi de pallier le très mauvais rendement de l’eau chaude sanitaire gaz en été et d’ouvrir la voie au gaz renouvelable, si celui-ci tient ses promesses. - Il est faux d’affirmer que la thermo sensibilité du système électrique français est due au seul chauffage électrique.
Le chauffage électrique intégré n’explique que 50 % environ du gradient thermique constaté3. C’est dire l’importance des radiateurs d’appoint, dont il se vend plus d’un million par an et dont on peut penser qu’ils viennent en soutien de bien des chauffages par énergies fossiles.
2 Compte tenu d’un coefficient de foisonnement de 56 % observé sur 45 000 radiateurs connectés.
3 Voir l’article : Les radiateurs électriques de nouvelle génération : une solution pour réduire la pointe électrique – EdEnmag n°6 (2019)
Il faut suivre la voie tracée par l’Europe
Equilibre des Energies estime que la réglementation thermique sur les bâtiments doit reposer sur deux critères essentiels directement calqués sur les objectifs principaux de la loi de transition énergétique :
- la consommation d’énergie finale, correspondant à l’énergie livrée et facturée au consommateur, et représentative de la qualité du bâti et de l’efficacité des équipements énergétiques associés au bâtiment ;
- les émissions de CO2 reflétant l’impact sur le climat et la dépendance aux énergies fossiles.
Il faut cependant assurer la continuité avec les réglementations existantes reposant sur le critère de l’énergie primaire. La directive européenne du 11 décembre 2018 relative à l’efficacité énergétique offre la possibilité aux Etats d’adopter sans justification le coefficient de 2,1 jusqu’à la fin 2022. Une telle mesure n’est pas parfaite mais elle est de nature à atténuer les distorsions introduites par le coefficient français de 2,58.
Construire dès maintenant des bâtiments très isolés, comme le sont depuis toujours les logements chauffés à l’électricité et associant chaque fois que possible les énergies renouvelables, c’est construire des bâtiments qui seront résilients vis-à-vis des évolutions des systèmes énergétiques et des comportements de leurs occupants. La mise en œuvre de ces solutions ne doit plus être handicapée par un coefficient que rien ne justifie.
La France doit à présent suivre la voie tracée par l’Europe et adopter sans réserve et sans délai le coefficient d’énergie primaire de 2,1.
Source et lien
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Association loi de 1901 « équilibre des énergies »
Bonjour
Les différents commentaires tous aussi bien rédigés les uns que les autres oublient( volontairement ou non, qu'il y a beaucoup d'autres utilisations et en particulier les objets nomades (tel ,smart, objets numériques) qui ne pourront pas de se passer de l'électricité comme énergie, et leurs besoins vont en augmentant. On ne les rechargera pas avec des capteurs solaires ou éoliennes dont les rendements sont déplorablement faibles ( 150wC pour un capteur solaire en moyenne!!!)
Ensuite, les émetteurs concernés ne seraient que des convecteurs électriques, que faites vous des systèmes de planchers chauffants par câbles incorporés dans les dalles, système extrêmement confortable qui il est bien exécuté. Ce système avec accumulation en heures creuses est très économe en énergie. Ce système est par ailleurs d'autant moins énergivore que l'enveloppe est bien isolée.
Pour revenir à la notion d’énergie primaire utilisée comme référence dans les réglementations thermiques , c'est une autre aberration ,car l'utilisateur ne comprend pas qu'il n'y a aucune relation entre cette valeur et l’énergie finale , celle qu'il paye quand il reçoit sa facture du fournisseur d'énergie.
Enfin, on n'économise que lorsqu'on maîtrise en permanence le compteur, comme dans sa voiture, à ce titre l'énergie pouvant être la mieux décomptée est l'électricité .
Pour conclure ,un peu, voir beaucoup de bon sens, et surtout des professionnels capables de concevoir des bâtiments intelligents et des systèmes thermiques parfaitement adaptés, des exploitants compétents!!!! et nous pourrions envisager de réduire les consommations directes et GES correspondants. Mais c’est un rêve
MIchel Perker Ingénieur conseil