Par Véronique Bertrand, consultante ingénieure en énergétique
Les réglementations thermiques évoluent considérablement. La construction neuve s’oriente vers des bâtiments à énergie positive à faible impact carbone, la réglementation thermique sur la rénovation avance également « sur la trace du neuf », car c’est bien le parc qui est déficient sur le plan de l’efficacité énergétique et environnementale et qui présente de fait une opportunité économique extraordinaire. Le gouvernement actuel et le ministre de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, s’en sont fait une priorité pour le quinquennat.
Mais qu’en pensent les professionnels du bâtiment, ceux qui prévoient et conçoivent les bâtiments dès maintenant pour 2020 ? À la veille de la Journée de l’Efficacité Energétique et Environnementale EnerJ-meeting 2018, une enquête a été menée auprès de 1229 professionnels prescripteurs du bâtiment : promoteurs, architectes, bureaux d’études, collectivités publiques et autres maîtres d’ouvrage, tant sur le secteur du logement que du tertiaire.
Nous vous proposons de livrer aux lecteurs d’Xpair les résultats de cette enquête qui donne une photographie concrète de ce que pensent les professionnels des réglementations et tendances à venir. Cette enquête sera au cœur des débats le 8 Mars 2018 lors de la Journée de l’Efficacité Énergétique et Environnementale au Palais Brongniart. Prescripteurs du bâtiment, vous pouvez encore vous inscrire !
Le contexte réglementaire pour la construction neuve et la rénovation
La prochaine réglementation environnementale RE2020 est en construction avec le label expérimental E+C-. Le but de cette nouvelle RE2020 est d’arriver à construire des bâtiments neufs qui produisent plus d’énergie (E+) et qui consomment moins de carbone (C-). Cette composante carbone est nouvelle et pourtant essentielle, car elle traduit le réel impact de la construction dans sa globalité : énergie grise à la construction, recyclage des composants de construction, cycle de vie des matériaux, lien de la construction avec les usages comme les modes de transports …
La réglementation possède déjà une réglementation plutôt ancienne, la RT Existant, puisqu’elle date de 2007 et vient d’être renforcée pour sa partie « par élément » via l’arrêté du 22 Mars 2017 obligeant son application à compter du 1er Janvier 2018. Pour les projets supérieurs à 1000 m2 où la RT Existant Globale s’applique, le gouvernement a confirmé son évolution cette année 2018.
Réglementation thermique pour la rénovation : ce qu’en pensent les prescripteurs
Sur le plan de l’efficacité énergétique et du rapport avec le RT existant, à quels niveaux se font les projets actuels de rénovation ?
À cette question, la photographie est qu’à 52%, les professionnels appliquent juste la RT Existant. Mais pour presque moitié, soit 48%, les rénovations vont plus loin sur le plan énergétique et que les attentes sont au-dessus (cf. label Effinergie, certification NF et HQE, …).
L’écart se creuse encore plus dans le secteur tertiaire par exemple des bureaux, car cette ambition de dépasser le seuil réglementaire suit un objectif qui est au-delà de la performance énergétique pour atteindre des objectifs de meilleur confort, meilleur bien-être (efficacité personnelle), et plus grande valorisation du patrimoine.
Pour une nouvelle réglementation en rénovation, quels sont les axes de développements techniques souhaités ?
Le résultat porte en premier l’efficacité énergétique accompagnée de l’utilisation des énergies renouvelables (pompe à chaleur, solaire PV et thermique, …). Mais ce qui est intéressant, c’est le critère de la qualité d’air vient tout de suite en seconde position. Il est en effet très difficile de vivre dans un bâtiment rénové même s’il est très performant sur le plan énergétique, où la QAI serait moyenne ou déplorable.
C’est un point souvent plus délicat à traiter techniquement, cependant essentiel pour les occupants qui veulent respirer dans leurs nouveaux locaux. Nous espérons que la Qualité d’Air Intérieur et la ventilation en général ne seront pas oubliées, ou le parent pauvre dans les prochaines réglementations en rénovation comme en neuf.
Le second point intéressant à découvrir, c’est que les professionnels donnent de l’importance à l’empreinte carbone (43%, cf. graphe). C’est encourageant, car ils ont conscience que le moteur « carbone » qui doit faire avancer la réglementation pour le neuf (RE2020) doit aussi impacter tout naturellement le parc.
Les professionnels demandent des dispositifs d’aides financières qui ne changent pas chaque année !
Les industriels aussi le demandent pour investir plus facilement en R&D et proposer des solutions pérennes. Le changement chaque année des taux de crédits d’impôt n’est pas viable pour les professionnels du bâtiment. Comment faire voter en AG de copropriété un investissement dont on sait que l’aide n’est pas assurée ?
Ce message est fortement appuyé par les innombrables contributions qui ont eu lieu au mois de Janvier 2018 sur le Plan de rénovation des Bâtiments lancé par l’État. Tout le monde souhaite s’appuyer sur des dispositifs d’aides qui ne changent pas durant le quinquennat !
Vers un choc de simplification. Une réglementation commune pour le neuf et la rénovation est-elle souhaitée ?
Les réponses donnent le OUI à 52% pour obtenir une cohérence et une convergence des exigences énergétiques et environnementales des bâtiments. En effet, pourquoi un immeuble à rénover à côté d’un immeuble en construction devrait-il être si différent sur le plan de sa performance énergétique, du confort de ses occupants, de son empreinte carbone, du recyclage de ses matériaux, de son cycle de vie ?
Les avis sont tout de même partagés, car la rénovation entraîne beaucoup de cas de figure avec un occupant souvent là pendant les travaux. En fait, si réglementation commune est envisageable, il ne faut qu’elle vise une vision commune avec des seuils et objectifs différents, pour le neuf, la rénovation lourde ou par étapes… Ce n’est sans doute pas impossible si son application va dans le sens commun de la simplification.
Prochaine réglementation environnementale pour la construction neuve RE2020. Ce qu’en pensent les prescripteurs
Les professionnels ont-ils une connaissance suffisante du label Energie-Carbone E+C6, qui préfigure la nouvelle réglementation RE2020 ?
C’est bien parti, car 68% des prescripteurs connaissent les grandes lignes du label E+C-, contre 28% l’année dernière. C’est dire que la filière dans la majorité est prête à intégrer la composante carbone et toutes ses déclinaisons (cycle de vie, lien transports, …) dans leur manière de concevoir.
Que ce label E+C- ai été aussi vite communiqué, montre son adaptation naturelle à l’acte de construire les bâtiments de demain. Sachant qu’en terme de conception, cela commande dès maintenant. Les professionnels sont donc prêts. Les difficultés citées plus bas devront néanmoins être levées le plus possible ?
Pour cette prochaine réglementation RE2020 pour la construction neuve, quels sont les axes de développements techniques souhaités ?
L’axe de l’efficacité énergétique avec énergies renouvelables vient en premier, mais ce qui est intéressant c’est que le critère de la Qualité d’Air Intérieur se positionne tout de suite après (54%). Avant même l’empreinte carbone de la construction (50%).
Cela signifie que si la prochaine RE2020 veut élever le niveau de la construction vers le haut, la performance énergétique ne suffit pas à elle seule, il est fortement souhaitable qu’elle prenne en compte la QAI comme un critère de confort essentiel, c'est-à-dire l’individu et son confort le plus intime : sa santé.
Quelles sont les difficultés redoutées par les prescripteurs du bâtiment face à la prochaine RE2020 ?
Ce n’est pas étonnant, mais c’est la donnée économique du coût de la construction RE2020 qui vient comme premier frein. Faire mieux, plus confortable, plus vertueux, les prescripteurs du bâtiment disent oui en majorité mais 71% craignent un surcoût. Cela va contraindre les mentalités à changer, à ne pas penser toujours au plus bas coût, au moins cher possible.
D’un autre côté, il est certainement possible de s’attendre à des baisses de coût de construction et de composants (exemple panneaux solaires PV), de s’attendre à de nouvelles organisations de travail autour du BIM et de la digitalisation des process, etc.
Par Véronique Bertrand, consultante ingénieure en énergétique