Par Roger CADIERGUES – Consultant et Ancien directeur général du COSTIC
Voici un point technique sur la qualification des odeurs et leur impact sur la qualité de l'air et le confort olfactif des individus. cette analyse est une rare mise à jour des connaissances en la matière.
1. LES ODEURS BASES DE LA VENTILATION
Les odeurs jouent un rôle capital en matière de ventilation, mais il existe deux catégories d’odeurs, conduisant à deux types de ventilations : la ventilation générale et les ventilations spécifiques. Il est commode de commencer notre examen par la seconde catégorie. Auparavant, nous allons examiner l’ensemble des problèmes posés par l’exploitation numérique des données sur les odeurs.
Les odeurs spécifiques
Les odeurs et l’odorat ont fait l’objet de très nombreuses études, l’un des objectifs principaux étant souvent de tenter de définir un niveau des odeurs. Ces études sont celles qui peuvent servir à ce que nous avons appelé les « ventilations spécifiques », qui concernent ce que nous appellerons les « odeurs spécifiques ». L’essentiel des études correspondantes est présenté au paragraphe 2. Pour l’essentiel il en résulte qu’il n’existe pas de méthodes simple permettant de qualifier ces niveaux dans tous les cas, le recours à des solutions simplifiées étant souvent indispensable.
Les odeurs générales
L’application nous concernant en premier lieu - la ventilation générale - vise essentiellement à assurer une qualité correcte de l’air intérieur, liée avant tout à l’occupation humaine dans tous les cas que nous allons considérer à la suite. Il faut bien constater qu’il n’existe pas de base numérique totalement sûre pour définir la qualité de l’air dans ces conditions. On peut essayer de la mesurer par la plus ou moins grande satisfaction des occupants, mais on se heurte alors au fait que certains sujets sont beaucoup plus sensibles que d’autres. Néanmoins, dans le passé, de multiples études ont été consacrées à ce sujet, et ont fait l’objet de publications diverses. Ici nous ne retiendrons que deux méthodes permettant de justifier quantitativement les débits de ventilation générale.
1. La première est celle de Max von Pettenkoffer. Elle date de 1858, mais reste manifestement très
valable, surtout par rapport aux autres méthodes proposées ici ou là depuis 150 ans. Les procédures en
résultant sont présentées au paragraphe 3.
2 . La deuxième démarche est celle de P. O. Fanger, mise au point à partir de 1980. Très abondante en
formules et unités diverses, elle est souvent citée et reprise dans la littérature technique, mais - à notre
avis - sans critiques suffisantes. Les démarches correspondantes sont présentées au paragraphe 4.
Les observations empiriques
Au-delà même de tout examen scientifique (nous y revenons au paragraphe suivant) le bon sens révèle un certain nombre de faits essentiels qui sont les suivants. Certaines odeurs - la majorité d’entre elles probablement - est liée à la présence de matériaux tels que peintures diverses, linoléum, etc. Nous nous adaptons progressivement à toutes les odeurs, et la sensation « régresse » avec le temps, bien que la source d’odeur se maintienne au même niveau de dégagement. De façon très générale toute odeur se maintient même quand la source disparaît, ce qui est manifestement dû à l’absorption par les parois ou les objets des vapeurs. Très souvent - par exemple pour l’odeur de cigarette - l’intensité apparente de l’odeur est un peu plus faible quand l’humidité de l’air augmente. Très souvent l’intensité apparente de l’odeur s’affaiblit quand la température de l’air augmente.
L’absoption des odeurs
Il est souvent utile d’effacer les odeurs en utilisant des filtres absorbants sur l’air recyclé. Pour cela on utilise les absorbants suivants.
2. LES ODEURS SPÉCIFIQUES
Le fonctionnement de l’odorat
Les gaz (ou vapeurs) odorants possèdent généralement des masses molaires inférieures à 300. Leur
concentration dans l’air se mesure en millionième [ppm]. Une concentration qui peut - du moins pour
certaines d’entre elles - être extrêmement faible (10-4 ppm par exemple pour la triméthylamine), rendant
ainsi la mesure physique pratiquement impossible sauf en laboratoire très spécialisé.
L’anatomie du site de l’odorat est connue avec précision. Mais son fonctionnement est difficile
à traduire en règles simples, ce qui se comprend assez bien : l’essentiel étant constitué de cellules
nerveuses très nombreuses (plus de 5 millions de neurones) qui peuvent réagir différemment selon les
sujets. En effet certains sujets - pour des raisons de sexe ou de pathologie - possèdent des seuils extrêmement
faibles. En effet, également, intervient la variabilité des flux hormonaux, plus ou moins spécifiques
à chaque instant, qui jouent un rôle essentiel. Sur le plan général on compte plus de 4000 odeurs,
mais chacun n’en peut reconnaître qu’un nombre limité.
La mesure des sensations olfactives
Il est bien évident que - pour traduire les données physiologiques en chiffres utilisables dans nos
applications - il est d’abord essentiel de tenter de parvenir à mesurer les sensations olfactives sous une
forme ou sous une autre. On est ainsi amené à tenter de mesurer, pour chaque odeur, avec un olfactomètre
adéquat, les caractéristiques suivantes :
- Le seuil de détection
- L’intensité
- La « qualité » (souvent plusieurs composantes)
Le schéma suivant fournit la présentation la plus fréquente, basée sur l’odeur de référence, celle du
butanol (échelles logarithmiques).
On constate qu’on y définit trois niveaux : seuil, neutre, désagréable. Dans ce type d’olfactimétrie la droite (pour toute matière) - en fonction du logarithme de concentration de la matière en cause - fournit la concentration de butanol équivalente pour la sensation observée.
D’autres modes d’expression
Vous trouverez au paragraphe suivant deux autres présentations :
- L’une est une table des seuils de contaminants courants,
- L’autre est une autre définition (plus subjective) de l’intensité des odeurs.
D’une manière générale, lorsqu’on veut quantifier cette intensité d’odeur (S), on utilise la loi suivante (dite parfois loi de Steven) en fonction de la concentration C : S = k Cn, n étant un exposant (inférieur à 1) variant avec la matière en cause - ce qui rend la loi assez malcommode en dehors du fait qu’elle exprime mieux les phénomènes si l’on utilise les grandeurs logarithmiques.
Autres données
Vous trouverez au paragraphe 4 :
- Une présentation sommaire des principales sources d’odeurs
- Des indications (assez qualitatives) sur les paramètres affectant les odeurs.
3. EXEMPLES D’ODEURS CARACTÉRISTIQUES
Les seuils
Il existe, pour différents gaz, des données relativement constantes pour chacun. Ce qui conduit, par exemple, à établir la table suivante (ci-dessous) des seuils d’olfaction [mg/m³] pour de nombreux gaz. Certains gaz ne figurent pas dans cette table (ex. monoxyde ou dioxyde de carbone, mercure, etc.) étant classés « non odorants ».
Les intensités
Pour classer les intensités des odeurs on recourt généralement aux définitions suivantes permettant de distinguer 8 niveaux d’intensité. D’autres échelles existent, mais sont en général très voisines.
4. DE L’OCCUPATION AUX DÉBITS DE VENTILATION
Les origines du sujet
La qualité de l’air intérieur des locaux occupés, sans source spéciale d’odeurs spécifiques, repose sur une introduction suffisante d’air extérieur afin de limiter les effets (essentiellement olfactifs) de l’occupation, une source d’odeurs difficiles à quantifier. Pourtant Max von Pettenkoffer a démontré, dès le milieu du dix-neuvième siècle, que l’élimination de ces odeurs pouvait être repérée par une concentration interne de CO2 dans l’air limitée à une valeur qu’il a fixée à 1000 [ppm]. Etant donné qu’à cette époque la teneur en CO2 de l’air extérieur était de l’ordre de moins de 400 ppm, cela revient à dire que les bioeffluents dégagés par l’occupation humaine ne doivent pas provoquer une hausse de plus de 600 ppm si l’on veut maintenir une qualité de l’air suffisante. Depuis les études de Pettenkoffer aucune donée nouvelle n’est venue contredire ce choix un peu grossier, et apparemment simpliste.
Le CO2 indice de qualité de l’air extérieur
Prendre le CO2 comme indice de qualité de l’air intérieur, seule technique ayant résisté au temps et à
l’évolution de nos connaissances, présente deux grands avantages souvent méconnus.
1. En limitant à 600 [ppm] - éventuellement 800 ou 1000 - l’apport lié à l’occupation, on peut déterminer
les débits d’air neuf nécessaires en ventilation générale : c’est la solution que nous avons
proposée au Conseil Supérieur d’Hygiène lorsque - vers 1975 - il a fallu procéder à une révision valable
du Règlement Sanitaire Type, les équipes chargées de la modernisation du Code du Travail ayant
adopté la même démarche pour leur secteur. Vous en trouverez les bases quantitatives à la suite.
2. Le grand avantage de l’emploi du CO2 comme indicateur est de permettre de moduler les installations
de ventilation, qui sont alors pilotées par des détecteurs de CO2, bien préférables aux détecteurs
de présence parfois proposés.
De l’occupation des locaux aux débits de ventilation grâce au CO2
L’hypothèse que nous adoptons est que le dégagement de bioeffluents par l’homme est proportionnel à son dégagement de chaleur, c’est à dire à son métabolisme M [W]. L’organisme tirant son énergie de l’oxydation des aliments, chaque unité d’énergie correspond à la consommation d’une quantité bien déterminée d’oxygène aboutissant à une quantité bien déterminée de CO2. La formation de CO2 dans la production de chaleur humaine est donc un indice direct du métabolisme, les calculs étant facilités par le fait que les données scientifiques sont, sur ce sujet, fort précises. Le métabolisme dépendant, à la fois, de l’activité physique des sujets et de leur volume (donc le sexe et l’âge) il a été assez aisé, compte tenu de la limite en CO2 dégagé, de traduire les résultats sous forme de débits d’air neuf à fournir par occupant, en fonction de son activité physique et de son âge. Ce sont les valeurs que vous trouverez dans le livret : mE22. "La ventilation tertiaire et professionnelle".
La table ci-dessous indique les valeurs les plus significatives (en tertiaire, non fumeurs)
5. OLFS ET DÉCIPOLS
Grandeurs et unités
La théorie correspondante a été développée par O. Fanger. Bien que cette théorie soit présentée
comme généralement valable pour l’évaluation des odeurs, elle s’avère être en forte contradiction avec
nos connaissances en matière d’odorat. En fait la plupart des utilisateurs de la théorie l’ont appliquée à
la ventilation générale (hors odeur spécifique). Dans ce cas, schématiquement, la théorie repose sur les
démarches suivantes (associées en fait à un grand nombre de formules mathématiques).
1. On utilise d’abord, comme unité de pollution olfactive de l’air, l’olf. Cette unité correspond - en ventilation
générale - à la charge crée par un adulte type assis, mais n’est pas réellement quantifiée dans la
théorie.
2. On mesure par ailleurs le degré de pollution (ressentie) de l’air en décipols.
3. Il est alors possible de calculer, dans un local donné, la qualité de l’air en décipol en fonction :
- Du débit d’air neuf
- De la charge en olf
4. On utilise ensuite une courbe, présentée comme générale, traduisant le pourcentage d’insatisfaits de
le ventilation en fonction du niveau en décipols, l’intérêt de cette procédure étant ainsi de permettre de
quantifier la qualité de l’air intérieur.
Les applications pratiques
La méthode a permis - il y a un certain temps, de proposer une norme européenne de ventilation générale dont les recommandations se sont révélées si sévères que la norme a été rejetée. De ce fait la méthode que nous venons de décrire a surtout servi, jusqu’ici, à des études assez académiques. Aboutissant par exemple aux recommandations suivantes, assez difficilement exploitables (charge de 1 olf) :
- Qualité élevée de l’air intérieur : débit d’air neuf de 10 [l/s] = 36 [m³/h],
- Qualité « standard » de l’air intérieur : débit d’air neuf de 7 [l/s] = 25,2 [m³/h],
- Qualité minimale de l’air intérieur : débit d’aie neuf de 4 [l/s] = 14,4 [m³/h].
A comparer avec la valeur de 18 [m³/h] pour les mêmes conditions dans la réglementation française
actuelle.
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Roger CADIERGUES – Ancien directeur général du COSTIC Polytechnicien de formation, et consultant international, Roger Cadiergues présente un parcours incomparable dans le génie climatique (vocable dont il est l’inventeur) par les responsabilités tenues et des avancées tant techniques qu’informatiques qui lui sont dûes. Auteur de nombreux ouvrages, il anime entre autre la lettre hebdo d’XPAIR www.xpair.com.