Par Laurent SCHMITT, vice President Strategy & Innovation - Grid Power Electronics
La transition énergétique que l’Europe appelle de ses vœux passe par une modification des modes habituels de gestion de l’énergie. De par son caractère distribuée, cette révolution impacte les modèles de gouvernance associés à l’énergie et à la gestion des données associées au sein des Territoires concernés.
Un préalable sur les Smart Grids
Les technologies des Smart Grids ou Réseaux Électriques Intelligents s'étendent en aval du compteur électrique des domaines de la gestion énergétique et de l'effacement de sites industriels, de bâtiments tertiaires et de clients résidentiels aux domaines de l'amont du compteur avec les domaines de l'automatisme du réseau électrique et des centres de contrôle et de pilotage de systèmes énergétiques.
Nous estimons que ces domaines représentent un marché mondial annuel de 30 Milliards d'Euros porté à 50 Milliards d'ici 2020. Les différents projets pilotes réalisés dans le monde - Alstom Grid est positionné sur plus de 30 dans le monde - démontrent que les verrous technologiques ont en majeure partie été résolus et que les freins actuels se situent principalement au niveau du cadre réglementaire qui ne permet pas de complètement monétiser les bénéfices offerts par ces nouvelles technologies aux systèmes énergétiques.
Ces technologies de la mesure, de l'automatisme et du logiciel permettent d'éviter de nouveaux investissements dans des infrastructures lourdes de production ou de réseau en échange d'une plus grande flexibilité de l'usage et de tarification, incitant le décalage de la consommation dans des périodes creuses - de forte consommation et/ou production renouvelable intermittente. La nouvelle Loi de Transition énergétique doit permettre de faire évoluer notre cadre réglementaire français afin de mieux valoriser les nouveaux services offerts aux citoyens par les Smart Grids.
Vers un modèle du “micro système énergétique“
Les règles de protection de l’environnement, le recours accru à des sources de production d’énergie d’origine décarbonée, l’intégration des énergies renouvelables au réseau de transport et de distribution d’électricité, et l’amélioration des mesures d’efficacité énergétique, font progressivement évoluer le système global d’un mode de production massive et centralisée vers un modèle mixte intégrant une part significative de production distribuée et de gestion locale des équilibres offre demande.
Les flux d’énergie qui étaient jusqu’alors unidirectionnels (allant systématiquement du producteur vers le consommateur), deviennent désormais multidirectionnels, du fait de la distribution délocalisée et aléatoire des énergies renouvelables, du fait aussi que chaque consommateur, quartier, ville, département ou région se transforme en “micro système énergétique“, à la fois consommateur, mais aussi producteur d’énergie (éoliennes, panneaux solaires, biomasse) intégrant parfois de nouvelles capacités de stockage de l‘énergie (sous forme stationnaire ou de voitures électriques connectées).
Face à un tel bouleversement, les infrastructures doivent s’adapter. Les métiers changent et le rôle des acteurs de l’énergie évolue, impliquant des transactions énergétiques de plus en plus complexes entre producteurs, consommateurs et gestionnaires de réseaux.
Le réseau local d’électricité joue un rôle prépondérant dans cette évolution, car il permet l’équilibrage local entre les nouvelles ressources énergétiques distribuées en favorisant un usage local de ces ressources.
Le SmartGrid nécessite le déploiement de nouveaux systèmes d'information permettant une inter-connectivité temps réel de bout en bout de la chaîne de valeur énergétique. Ces systèmes doivent permettre une gestion énergétique des points de consommation selon la disponibilité temps réel des moyens de production renouvelables intermittents et de la tarification temps réel de l'énergie et des services associés.
Dans ce contexte, les nouveaux métiers développés se situent autour de la conception de "systèmes de système" complexes temps réels, de l'intégration sur la base de nouveaux standards SmartGrid Ready et de la réalisation de modèle de données pour permettre une simulation quasi temps réel du fonctionnement de ces systèmes.
Le leadership français notamment d’Alstom dans le domaine des Centres de Contrôle est réellement un atout majeur pour acquérir ces nouvelles compétences. Cela nécessite aussi de s'ouvrir aux nouvelles technologies du Cloud, de l'Internet des objets et du Big Data afin de bénéficier des avancées technologiques dans ces domaines.
Une nouvelle façon de gérer l’électricité
Jusqu’à présent ces mécanismes de gestion de l’équilibrage du réseau concernaient principalement les gestionnaires de transport d’électricité, responsables de l’équilibre général (consommation / production) du système électrique national. Ces derniers s’appuient sur des mécanismes de marchés et des outils de gestion des échanges entre acteurs sur la maille nationale.
Ces nouveaux modes de gestion de la maille locale de réseau poussent les gestionnaires de réseau à imaginer des interfaces avec de nouveaux agrégateurs de flexibilité, afin :
- dans un premier temps, de superviser les acteurs faisant usage de leur flexibilité de consommation ou de production, et d’éviter qu’une optimisation nationale n’ait des impacts sur la qualité de service local,
- dans un deuxième temps, de mobiliser ces flexibilités locales dans le cadre de la conduite de la maille locale. L’objectif est à terme d’optimiser le dimensionnement physique des réseaux et ainsi les investissements nécessaires.
Cette évolution dans la façon de gérer l’électricité provoque des impacts bien au-delà du gestionnaire de réseau lui-même, et vient désormais concerner au premier plan les collectivités locales, dans le cadre de la gestion opérationnelle de leur plan de transition énergétique ainsi que les opérateurs de service évoluant vers de nouveaux métiers d’agrégation de flexibilité pour leur portefeuille d’infrastructures.
Les villes SmartGrid
La ville constitue une zone de déploiement intéressante car elle concentre de nouveaux besoins - une plus forte attente en termes de sécurisation et de résilience des infrastructures énergétiques, le déploiement de nouveaux objets énergétiques tels que les bâtiments à énergie positive, les éco quartiers et les véhicules électriques - ainsi que des populations "Early adopters" particulièrement enclines à tester de nouveaux modèles.
Pour autant, les territoires ruraux sont également concernés par cette mutation du fait d'architectures de réseaux aériens plus vulnérables.
Citons le savoir-faire français d’Alstom Grid qui contribue au déploiement de pilotes au sein de nombreuses métropoles dans le monde : aux États Unis à San Francisco, Las Vegas, Charlotte, Philadelphie et New York par exemple - en Europe à Issy Les Moulineaux, Saint Quentin en Yvelines, Nice, La Rochelle, Grenoble, Andorre, Rotterdam - au Moyen Orient et en Asie à Taif et à Singapour.
Chaque projet urbain dispose de ses spécificités et déploie donc des briques technologiques particulières, le tout dans une architecture et avec des standards cohérents.
Les projets les plus aboutis à ce jour se situent à Nice et Philadelphie avec un focus particulier mis sur le pilotage énergétique de micro réseaux locaux, interfaces pour une multiplicité de consommateurs résidentiels, tertiaires et industriels avec pour objectif de maximiser l'usage de ressources énergétiques renouvelables produites localement tout en favorisant de nouveaux mécanismes "peer to peer" d'entraide énergétique entre consommateur, le tout coordonné par les opérateurs de réseau de distribution électrique.
En perspective pour les Smartgrids …
Nous anticipons la mise en œuvre de nouveaux cadres réglementaires projetant de nouveaux rôles pour les opérateurs de réseaux électriques. Côté national, un nouveau rôle d'équilibrage régional entre pays permettant une optimisation des flux énergétiques entre régions et grandes métropoles. Les nouveaux mécanismes à mettre en œuvre devront fournir une indication temps réel du coût d'équilibrage énergétique tout en intégrant d'éventuelles contraintes de congestion entre grands centres de production et de consommation.
A l'échelle locale des villes, un nouveau rôle de facilitation de marché permettant un équilibrage local des systèmes énergétiques urbains. Ce niveau devra intégrer de nouvelles technologies de l'Internet des objets ainsi qu'une participation accrue des consommateurs regroupés en communautés de « consomm'acteurs », nouveaux modèles d'économie participative appliquée à l'énergie.
Par Laurent SCHMITT vice President Strategy & Innovation Grid Power Electronics & Automation ALSTOM Grid