Sobriété immobilière, un défi à relever

Par JC Visier, Directeur prospective CSTB/ADEME et Albane Gaspard, prospective du bâtiment, ADEME

Sobriété immobilière et solidaire ou les voies d’une meilleure utilisation du parc de bâtiments. Ce bref article synthétise une note détaillée rédigée par le groupe RBR-T du plan bâtiment durable disponible ici . Des présentations vidéo sont également disponibles ici (20’) et ici (1h). Un article semblable a également été publié dans Réflexions Immobilières n°100.

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sobriete immobilier

1. Passer d’une croissance du parc immobilier à une croissance de son utilisation

Le défi de la seconde moitié du 20eme siècle a été de construire en quantité pour répondre aux défis de la croissance démographique, du mal logement et des évolutions économiques (tertiarisation, métropolisation…). L’enjeu était de faire croître quantitativement un stock insuffisant ou localisé dans des territoires en déprise. Ainsi, nous sommes aujourd’hui dépositaires d’un patrimoine bâti important, qui fait partie intégrante de notre richesse nationale, et dans lequel nous avons investi de nombreuses ressources (financières, matérielles, foncières…).

occupation logements

Or, au fur et à mesure que la surface du parc croissait, son taux d’utilisation moyen diminuait. Les logements ont vu leur taille croître puis se stabiliser alors que le nombre de personnes dans chaque logement diminuait constamment. La surface des locaux tertiaire s’est fortement accrue mais leur nombre d’heures d’utilisation est faible.

La surface d’immobilier résidentiel et tertiaire disponible par personne a augmenté entre 1987 et aujourd’hui de près de 30%. Elle atteint aujourd’hui 72 m2 par personne. Sans actions sur l’usage des bâtiments cette surface pourrait atteindre 83m2 par personne en 2050.

En ce début du 21eme siècle, nous faisons face à de nouveaux défis : changement climatique, raréfaction des matériaux et du foncier… Ces derniers nous obligent à repenser une approche fortement consommatrice de ressources et émettrice de CO2.

Une des clés de réponse à ces défis se résiderait-elle pas dans la gestion de ce phénomène de sous-occupation du parc ? Le défi des années à venir pourrait-il être de trouver les moyens de faire croitre l’utilisation du parc plutôt d’en faire croitre la taille ?

2. Neuf familles de solutions pour mieux utiliser le parc immobilier

Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’industrie immobilière a su inventer des solutions pour répondre aux défis qui se sont présentées à elle. Comment répondre à celui, nouveau, d’une meilleure utilisation du parc ? Nous avons identifié 9 types de solutions, réparties en trois familles. Autant de pistes explorées par des pionniers, dont certains pourraient devenir les leaders de l’immobilier de demain.

Déménager quand les besoins évoluent

1) Changer de région de ville de territoire

Le vieillissement de la population, la capacité de travailler à distance, les couts du logement dans les métropoles pourraient rendre d’autres territoires moins tendus plus attractifs.

déménager

2) Changer de local (dans le tertiaire)

L’évolution à la hausse comme à la baisse des surfaces dans le grand tertiaire privé est une réalité. On constate aujourd’hui la volonté de disposer de systèmes nettement plus flexibles que les baux 3/6/9 pour améliorer cette adaptation continue de la taille et du type de locaux aux besoins.

3) Changer de logement

Un enjeu majeur est d’inventer des solutions pour les logements où la surface par personne croit fortement avec l’âge (par personne 35m2 à 35 ans 60m2 à 65 ans). Le secteur HLM commence à s’y employer notamment avec ses bourses d’échanges entre locataires[1]

[1] https://www.echangerhabiter.fr/

Augmenter les durées d’occupation

4)  Mobiliser le parc vacant

Un Plan national de mobilisation des logements locaux vacants, qui s’attache principalement à la vacance longue durée, a été adopté. Il vise à doter les acteurs locaux d’outils[2] leur permettant d’objectiver finement le phénomène sur leur territoire et diffuser les outils et méthodes de remise sur le marché.

5) Mutualiser pour augmenter les durées d’occupation

Alors que l’immobilier a longtemps été considéré uniquement dans sa dimension spatiale, l’heure est aujourd’hui à la chronotopie, qui consiste à penser l'espace en fonction du temps disponible et des usages possibles tout en considérant les différents publics présents.

Dans le logement, les espaces partagés se développent, que ce soit dans des projets portés par des promoteurs classiques ou dans le cadre d’un habitat participatif très présent en Allemagne et qui commence juste à se développer en France.

Pour certains bâtiments publics tels que les gymnases, la mutualisation d’un équipement entre plusieurs utilisateurs est ancienne et se diffuse.

Les restaurants scolaires ou d’entreprise, qui font partie des locaux les moins utilisés, voient émerger des projets. Le restaurant universitaire du CROUS devient espace de coworking. Le restaurant d’entreprise est utilisé comme salle de réunion ou est ouvert à des acteurs de la commune hors des heures de bureau.

[2] Un exemple d’outil de détection de la vacance https://pasdevacances.org/

6)  Réduire l’obsolescence prématurée

L’obsolescence des bâtiments prend des formes multiples, mais l’immobilier porte sa part d’obsolescence prématurée (certains pourraient même dire programmée), phénomène qui conduit parfois la construction neuve à apparaître comme un étendard d’une modernité qui rend obsolètes les bâtiments précédents de manière accélérée. Ce phénomène est nourri par la recherche d’attractivité des territoires, où, dans un jeu à somme nulle, la construction neuve d’un territoire vient rendre obsolète celle de son voisin.

Ceci est particulièrement marqué pour les bâtiments iconiques tels que les sièges sociaux, pour lesquels un bâtiment neuf souvent de très haute qualité environnementale apparaissait comme un marqueur de modernité et d’engagement de l’entreprise. Mais la nouvelle modernité pourrait être la capacité à réinventer l’usage de bâtiments existants comme l’illustrent toute une série de projets.

Adapter les bâtiments à l’évolution des besoins

7) Adapter l’usage des locaux à de nouveaux publics sans transformation profonde

Le développement de la colocation pour répondre à la croissance du nombre d’étudiants et celui des locations touristiques de type Airbnb pour répondre celle du tourisme de courte durée sont deux exemples récents d’adaptation de l’usage des locaux à de nouveaux publics. Le développement s’est fait dans les deux cas sur le patrimoine des propriétaires bailleurs, sans règles à priori, les défricheurs entraînant les suivants rapidement dans une approche quasi virale. La régulation, qui n’arrive qu’à postériori et avec parfois de grandes difficultés, fixe les règles communes dans un marché au départ totalement dérégulé ou s’affranchissant des règles existantes.

8) Restructurer les locaux

L’existence simultanée dans les mêmes zones d’une surface importante de bureaux vacants - qui devrait croître avec l’accélération très forte du télétravail - et de besoins de logements conduit à une opportunité de transformations de bureaux en logements voire en résidence pour personnes âgées, logements d’insertion pour personnes handicapées, hôtels multiservices….

Dans le logement, la diminution de la taille des ménages conduit à un décalage entre le nombre de personnes par ménage et le nombre de pièces des logements. La division de grands logements peut permettre d’améliorer cette adéquation et les acteurs du logement social comme des nouveaux promoteurs[3] s’y emploient.

[3] https://www.vivantes.fr/modeles/bunti/

9) Construire du neuf réversible et adapté au changement climatique

En travaillant sur la réinvention de l’usage de bâtiments existants pour répondre à de nouveaux besoins, les acteurs du bâtiment et de l’immobilier ont pris conscience des difficultés concrètes rencontrées pour faire évoluer ces bâtiments.

C’est l’idée de "dé-spécialisation" de la programmation technique et fonctionnelle, pour que, dès le programme auquel va répondre le concepteur, soient esquissés différents usages possibles. Ceci entraîne à la fois un surcoût mais aussi une survaleur pour un bien qui disposera d’une capacité d’évolution.

Les pionniers, à l’image de Canal Architecture, ont alors commencé à poser les bases de la conception de constructions neuves réversibles. La réversibilité est particulièrement importante pour des bâtiments tels les parkings dont l’usage à moyen terme est questionné par l’évolution de la mobilité en ville. Mais elle porte aussi sur la manière de pouvoir utiliser les logements. Les travaux d’IDHEAL  et la mission Leclercq Girometti  montrent que l’optimisation économique des logements neufs réduit leur capacité d’adaptation. Des promoteurs travaillent à inventer des logements petits mais plus adaptables.

3. De nouveaux métiers à faire prospérer

L’industrie immobilière s’est structurée autour de la transformation du foncier et des matériaux. Nous sommes convaincus qu’une partie de son avenir porte sur la transformation de l’usage de ce parc qu’elle a construit hier.

Ceci va nécessiter de nouvelles approches et de nouveaux métiers s’inscrivant dans un temps plus long que celui classique de la promotion immobilière. Il faudra à la fois faire de la dentelle, parce que les projets s’adapteront aux utilisateurs, aux territoires et aux types de bâtiments, les familles de solutions devront être des déclinées différemment. Elles devront trouver de nouveaux modèles économiques plus basés sur les services que sur les marges induites sur le foncier ou les coûts de construction.

Enfin, des évolutions de règles seront nécessaires : règles d’urbanisme pour accompagner les changements d’usages des bâtiments, règles fiscales qui taxent le changement de logement alors que l’on souhaiterait favoriser la mobilité résidentielles, règles techniques qui expriment la performance au m2 alors qu’il faudrait l’exprimer à l’utilisateur comme le fait le nouveau label BBCA quartier, règles sociales pour que la sobriété soit solidaire et contribue à réduire le mal logement.

Autant de perspectives d’innovation enthousiasmantes pour le bâtiment et l’immobilier de demain.

Par JC Visier, Directeur prospective CSTB/ADEME et Albane Gaspard, prospective du bâtiment, ADEME


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enerj paris

Sources et liens

cstb

ademe

Commentaires

  • HENRI
    0
    16/12/2022

    Bonjour,
    Cet article me laisse songeur. L' ADEME pense t elle proposer de collectiviser les logements pour répartir la population dans l'espace national en vue son optimisation énergétique ? L' Ademe va t elle recruter des "commissaires du peuple" comme du temps des soviets afin d'occuper efficacement et socialement parlant les logements occupés et chauffés par personne ? . Il me semble que l ADEME aurait mieux à faire en essayant de fiabiliser le processus global de détermination des DPE dont le caractère imprévisible a été largement constaté et diffusé par UFC.


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