Par Suzanne DÉOUX, Docteur en médecine ORL, Professeur associée honoraire à l'Université d'Angers,
Fondatrice de MEDIECO Ingénierie de santé du cadre bâti et urbain, Présidente de Bâtiment Santé Plus
« Un urbanisme pour la santé de tous, c’est un urbanisme pour les habitants », cette expression résume l’excellente contribution du Dr Déoux au livre blanc 2.0 réalisé par le Conseil National de l’Ordre des Architectes, intitulé "Université permanente de l’architecture et du cadre de vie".
Suzanne Déoux traite en quelques 25 pages le thème de « l’urbanisme responsable et éthique pour la santé de tous ».
Voici pour les lecteurs d’Xpair quelques extraits, quelques réponses livrées par le Dr Déoux dans sa contribution à ce livre blanc numérique 2.0 réalisé sous la direction du CNOA.
Livre blanc numérique Architecture et cadre de vie par le CNOA
L’urbanisme responsable, les réponses aux besoins humains essentiels
Avant d'analyser les effets de l'urbanisme sur la santé et pour mettre l'homme au centre des réflexions urbanistiques, il est essentiel de connaître d'abord ses besoins fondamentaux et d'y répondre en intégrant leur évolution en fonction de l'âge des habitants, de leur activité. Ils sont de cinq niveaux : physiologiques, sensoriels, sensibles, psychologiques, sociaux.
Les réponses urbanistiques aux besoins sensoriels
ENTENDRE suppose une acoustique "soignée"
L'audition, à la différence de la vision, permet une localisation spatiale dans toutes les directions, en avant du corps comme en arrière. Pour cette raison, l'absence de bruit engendre une perte des repères et affecte même l'équilibre dont l'organe est situé dans l'oreille interne. Le confort n'est donc pas l'absence de bruit. La géométrie des lieux, les volumes, les surfaces, les matériaux sont autant de paramètres qui influencent la qualité sonore de l'espace public : jardin, rue, cour, plage, etc.
Une friche urbaine en bordure de l'autoroute A6 et de la voie de TGV peut devenir un espace sonore harmonieux, grâce à l'association d'acousticiens et de paysagistes. Des modelés de terrain créent des variations sonores en amplitude, en fréquence et en dynamique. Le bruit de l'autoroute passe en dessous du niveau de la voix humaine et devient un fond sonore mélodique. Il se pose en contrepoint des sons émis par les jeux et activités des usagers ou des sons naturels de la faune, de fontaine et jeux d'eau et du vent dans la végétation.
Une zone calme en ville participe au bien-être avec la notion de ressourcement tout en favorisant le lien social grâce à un aménagement favorable à l’accueil et fortement attractif. Les critères de niveaux sonores confortables pour des espaces ouverts de bonne qualité sont inférieurs à LDEN=55 dB(A).
Selon le Groupement des ingénieurs acoustique (GIAc), il est pertinent de développer une culture des ambiances sonores, à créer et à valoriser avec des espaces de détente aux sonorités originales et avec des signatures sonores de l’espace à rechercher et non à constater ensuite par hasard.
Le bruit est une matière qui se façonne dans l’espace avec une dimension temporelle. Le ressenti d’une ambiance acoustique n’est pas seulement perçu en fonction du volume sonore, mais aussi en fonction de sources harmonieuses enrichissant l’environnement sonore en veillant parallèlement à la qualité des ambiances visuelles.
VOIR jour et nuit
La vision nous permet d'appréhender l'environnement et le mouvement, d'apprécier la multitude de couleurs et de formes. Offrir des vues de qualité, des percées visuelles est l'ambition de nombreux projets. Stimuler l'imaginaire grâce à des détails architecturaux, des courbes donne une identité visuelle au lieu.
L'entrée de la lumière par les yeux nous situe aussi dans le temps sur une journée de 24 heures. Des photorécepteurs distincts de la vision synchronisent l'horloge centrale de notre organisme et harmonisent notre physiologie interne avec l'heure solaire, lors du changement rapide d'intensité et de qualité spectrale à la tombée de la nuit et à l'aube. L'apport de lumière artificielle a modifié ce rythme et pose un réel problème d'équilibre de luminosité : le « trop » de lumière le soir est amplifié par le « pas assez » de lumière le jour, du fait de la vie moderne où l’on passe en général beaucoup de temps à l’intérieur.
La pollution lumineuse nocturne affecte tous les êtres vivants. Chez l'homme, les capteurs de lumière de la rétine que sont les cellules à mélanopsine, découvertes seulement en 2002, activent le système circadien et sont impliquées dans d'autres fonctions : le sommeil, l'humeur, la cognition, la vigilance, la température, la fréquence cardiaque. Les conséquences exactes sur la santé restent à déterminer, notamment le seuil d'exposition sous lequel aucun effet ne serait à craindre.
La conception de l'éclairage urbain est remise en cause. L’excès d’éclairage artificiel n'empêche pas seulement l’observation du ciel nocturne. Il est source de troubles aux personnes, à la faune, à la flore ou aux écosystèmes et représente un gaspillage énergétique.
L’arrêté nuisances lumineuses, publié le 27 décembre 2018, devrait permettre d’éclairer au mieux les espaces extérieurs, conciliant attentes sociétales, protection de la biodiversité, sécurité des déplacements, des personnes et des biens et confort des usagers.
Par exemple, le balisage n'est pas une installation destinée à éclairer, mais à signaler un danger ou un risque. Il assure la sécurité des usagers des espaces extérieurs et est un moyen de réduire l'éclairage. La température de couleur des éclairages extérieurs doit être inférieure ou égale à 3 000 Kelvin lorsque ceux-ci sont destinés à favoriser la sécurité des déplacements des personnes sur l’espace public.
SENTIR les odeurs du monde urbain
L'odorat est, avec le goût qui lui est physiologiquement lié, nos deux sens chimiques, stimulés par des molécules et non par des phénomènes physiques. Les composés odorants sont véhiculés par l'air. Sentir une odeur est la conséquence de la respiration. C'est un sens qu'on ne peut contrôler sinon partiellement en se bouchant le nez.
La qualité odorante de l'air dépend des sols et de la terre-elle-même, des micro-organismes partout où ils se trouvent, du monde végétal auquel se superposent les emplois de l'agriculture, de tout le monde animal, de l'être humain, dans sa nature, ses besoins et ses activités (villes, stations d'épuration, produits industriels, transports, etc.).
À la différence des sons et de la lumière qui peuvent être techniquement quantifiés, le nez humain reste le seul capteur efficace de l'environnement odorant extérieur et intérieur et la base de l'olfactométrie, alors que les nez électroniques ont une sensibilité inférieure et ne peuvent caractériser l'importante dimension hédonique de l'odeur (agréable, déplaisante, etc.).
Les effets sanitaires des pollutions olfactives sont à la fois physiologiques et psychologiques et dépendent des molécules odorantes présentes : composés soufrés, azotés (ammoniac, scatole…), carbonylés (cuisson des graisses), acides gras volatils, alcools et phénols.
Pour détecter les odeurs dans un environnement industriel, des relevés font appel à des riverains exposés à la nuisance, formés à la reconnaissance des odeurs et souhaitant participer à l'amélioration de leur cadre de vie. Les olfactions régulières matin, soir et à tout moment de la journée assurent un suivi continu de la pollution olfactive au niveau des habitations. Cette surveillance olfactive peut être confrontée à des mesures et corroborée aux actions mises en place par les gestions des sites polluants.
Dans l'aménagement urbain, l'environnement olfactif se résume trop souvent à la gestion de mauvaises odeurs plutôt qu'à la mise en valeur d'odeurs plaisantes. Au Japon, une centaine de sites ont été déclarés et protégés pour leur "bon parfum".
Deux universitaires de Cambridge et de Turin ont créé un dictionnaire des odeurs urbaines pour cartographier les odeurs de villes entières selon dix catégories principales représentées dans la roue ci-contre.
GOÛTER les saveurs des villes-jardins
Lorsqu'on aborde les sens et l'urbain, tous sont considérés sauf un : le goût. Peut-être parce qu'il est trop physiologiquement lié au système olfactif. En effet, l'identification gustative d'une substance s'effectue par l'olfaction qui capte les arômes et les odeurs, par le goût dont les récepteurs situés essentiellement sur la langue, ne détectent que quatre saveurs : sucré, salé, acide, amer et par la sensibilité somesthésique générale qui ressent le frais, le piquant, le pétillant ou la texture.
Les rapports de la ville et du goût ont ainsi fait l'objet de peu de recherches. Jean-Pierre Lemasson de l'Université du Québec à Montréal a exploré trois pistes de réflexion. La première s’interroge principalement sur la manière dont les villes, pour des raisons historiques, géographiques et culturelles, ont développé des « savoriels » propres c’est-à-dire des systèmes de saveurs uniques qui seraient en quelque sorte leur signature. La seconde piste, en fondant l'analyse sur Montréal, tente de montrer en quoi l’amour de la bonne chère a des effets réels sur l’aménagement du temps et de l’espace urbains (rénovation et agrandissement des marchés publics permanents, multiplication des marchés temporaires, reconfiguration des rues accueillant les magasins d'alimentation fine, etc.). Enfin, dans une perspective prospective, on peut entrevoir un accroissement des relations entre la ville et le goût, notamment à travers le développement de circuits gourmands, l’affirmation de villes-jardins comme nouveaux centres de production de nourriture et la création de nouvelles institutions consacrées au goût.
Végétaliser la ville, tous les bienfaits de la nature sans les risques
TOUCHER les sols de la ville
Dans notre culture occidentale, le toucher, premier sens développé chez l'homme, ne jouit pas de la même attention que la vue et l'ouïe, considérés comme des sens nobles, des sens sociaux qui permettent de communiquer à distance.
Les cités sont conçues sur des bases fonctionnelles et esthétiques qui privilégient principalement le visuel, négligeant bien souvent les autres sens. Non seulement cela handicape les personnes aveugles et malvoyantes, mais cela constitue aussi une approche réductrice de la perception de l'environnement par l'ensemble de ceux qui se déplacent en ville.
S'il est habituel de penser qu'on touche avec les mains, l'organe sensoriel du toucher est la peau et ses 2 m2. Les pieds qui nous mettent en contact avec le sol joue un rôle très important dans la perception du mouvement et le contrôle postural. La plante du pied informe le cerveau sur la nature du sol, son degré de pente, sur sa nature plus ou moins glissante, sa température, etc..
La ville offre des stimulations tactiles très variables très utilisées par la personne aveugle pour la déambulation (vibrations de la canne blanche au contact des trottoirs et des murs, répercussions du mouvement du harnais du chien-guide, reliefs perçus sous les pieds différents entre le minéral et le bois d'une passerelle).
Depuis une dizaine d’années, le sol urbain a été homogénéisé afin de favoriser le déplacement des personnes à mobilité réduite. De nombreux trottoirs ont été abaissés au niveau de la chaussée aux points de traversées, ou quelquefois, sur des zones beaucoup plus étendues. Si ces « zones apaisées » sont fondées sur une vision positive du partage de l’espace par tous les usagers, ces modifications peuvent nuire aux déficients visuels en créant un « effet dalle » anxiogène qui estompe les limites des trottoirs, lieux sécurisés de déplacement du piéton aveugle.
Pour aller plus loin, ...
Pour lire les réponses urbanistiques aux besoins de sensibilité générale, aux besoins physiologiques, aux besoins sociaux, aux besoins psychologiques, pour lire l’urbanisme et santé, nouvel élan du 21ème siècle et tout la contribution de 25 pages :
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Par Suzanne DÉOUX, Docteur en médecine ORL, Professeur associée honoraire à l'Université d'Angers,
Fondatrice de MEDIECO Ingénierie de santé du cadre bâti et urbain, Présidente de Bâtiment Santé Plus
Sources et liens