La crise énergétique actuelle souligne une nouvelle fois l’immense dépendance de l’Europe aux énergies fossiles importées. La guerre en Ukraine illustre la vulnérabilité des économies européennes face aux tensions géopolitiques et leurs conséquences sur le prix du pétrole et du gaz, très majoritairement importés d’autres régions du monde. Au grand désarroi des entreprises et des ménages, les prix de l’énergie ont ainsi atteint ces derniers mois des niveaux extrêmement élevés et l’électricité n’a pas été épargnée.
Dans le secteur électrique, ces difficultés ne sont pas seulement conjoncturelles : alors que l’Union européenne s’est fixée, à travers son Green Deal, l’ambition de s’émanciper des énergies fossiles et de baisser significativement ses émissions de CO2 (-55% d’ici 2030) puis d’atteindre la neutralité carbone en 2050 tout en préservant sa compétitivité économique, le rythme des investissements nécessaires dans la production d’électricité décarbonée est nettement insuffisant depuis des années alors que l’électricité doit prendre une place croissante dans nos mix énergétiques.
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La crise actuelle illustre ainsi à la fois les forces (la solidarité et la coordination entre pays, l’équilibrage du réseau au meilleur coût à chaque instant donné) et les faiblesses (absence de signaux de long terme et par conséquent insuffisance des investissements, exposition des consommateurs finaux à la volatilité des prix et notamment des énergies fossiles) des marchés de l’électricité européens, créés avec la libéralisation du secteur dans les années 1990 et ayant connu de nombreuses évolutions depuis.
Une réforme d’ampleur est désormais urgente, mais il faut veiller à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Les marchés de gros européens de l’électricité permettent aujourd’hui d’assurer de manière efficiente un équilibre en temps réel entre la production et la consommation, ce qui est indispensable car l’électricité ne se stocke pas directement. Cette optimisation a été rendue possible par la multiplication des interconnexions électriques en Europe et la mise en place d’un marché commun de l’électricité, sur lequel les moyens de production utilisés sont toujours les moins coûteux parmi ceux qui sont disponibles à un instant donné (prix du CO2 inclus). Ce système devrait en théorie largement profiter au consommateur final. Las, ces marchés de gros souffrent de myopie : ils ne donnent pas suffisamment de visibilité sur les prix futurs. Dès lors, ils ne guident pas vers des investissements à long terme, ce qui peut conduire, en l’absence de toute intervention publique, à un risque de pénurie. Pire, comme le met cruellement en évidence la crise actuelle, les consommateurs finaux se retrouvent malgré eux exposés à la volatilité des prix du marché de gros, et donc bien souvent au prix du gaz fossile importé, en raison d’un marché de détail insuffisamment régulé (aucune obligation de couvertures sur les volumes vendus), parfois défaillant (faillites de fournisseurs ne s’étant pas couverts, abandon de clients…) et poursuivant de mauvais objectifs, comme celui de la répercussion des prix instantanés de l’électricité au client final plutôt que la stabilité des tarifs.
De nombreuses fausses solutions ont été avancées ces derniers temps et nous semblent contre-productives (comme le « système ibérique » que nous détaillons plus loin, ou la suppression d’une supposée « règle administrative faisant que le prix de l’électricité est indexé sur le gaz »), voire dangereuses (comme la sortie pure et simple du marché européen).
Face au constat que la situation n’est plus tenable pour nos industries, les Etats et l’ensemble des consommateurs, nous proposons deux catégories de mesures pour permettre de réinvestir dans notre parc de production électrique décarbonée et de protéger les consommateurs finaux de la volatilité des marchés, principalement due à la volatilité du prix des énergies fossiles :
1) Pour les marchés de gros européens de l’électricité
- Introduire une réforme permettant de concilier la planification des investissements et l’optimisation à court terme du système électrique. Pour cela, étendre le système de « contrats pour différence » (contracts for difference ou CfD) déjà en vigueur pour les énergies renouvelables à l’ensemble du parc de production décarbonée (sur la base d’un critère d’émissions de CO2 à respecter), existant et futur, avec un assouplissement des règles permettant de proposer des contrats de long terme1 (généralement appelés Power Purchase Agreements ou PPA) ;
- Etendre la visibilité des marchés de gros au-delà de trois ans,
- Renforcer la coordination des planifications nationales sur la production d’électricité ;
- Fixer des objectifs européens de sécurité d’approvisionnement, permettant la rémunération des moyens de flexibilité décarbonés dans un cadre harmonisé.
2) Sur le marché de détail, dont dépendent la majorité des consommateurs finaux
Il est nécessaire de renforcer la régulation en instaurant un système de règles prudentielles applicables aux fournisseurs d’électricité :
- Le contrôle à intervalles réguliers du taux de couverture des fournisseurs au regard de leur portefeuille par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), à évaluer en fonction de leurs actifs disponibles. Ces couvertures chez les fournisseurs pourraient être assurées par des contrats de long terme (PPA), une trésorerie suffisante dédiée, des moyens de production détenus en propre, éventuellement couverts par un soutien public. Des « stress tests » réguliers pourraient être réalisés pour évaluer la capacité des fournisseurs à supporter une variation brutale des prix de marché et éviter les défauts en cascade ou les répercussions délétères de la volatilité des marchés de gros sur les consommateurs finaux que nous avons pu constater cette année. Des sanctions progressives, voire des retraits d’agrément à la fourniture pourraient être envisagées en cas de non-respect de ces normes de couverture ;
- La réforme du système de fournisseur de dernier recours, dont le financement devrait être mutualisé entre tous les fournisseurs (comme une assurance puisqu’au final, c’est bien de cela qu’il s’agit) ;
- L’assouplissement des règles sur les contrats de long terme à destination des consommateurs directs (en permettant en particulier aux clients professionnels les plus consommateurs de s’engager au-delà de trois ans) ou de regroupements de fournisseurs pour fourniture aux clients finaux. Ces contrats de long terme, alliés aux règles prudentielles évoquées plus haut limitant la spéculation, devront permettre aux consommateurs de profiter de ces prix de long terme plutôt que d’être exposés aux aléas du marché.
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