L’intelligence artificielle générative est une avancée technologique sans précédent. Elle fascine les utilisateurs sur ses capacités mais soulève aussi des questions importantes car elle mobilise d’immenses ressources financières et énergétiques.
Son modèle économique peut-il se stabiliser et devenir rentable ? Son empreinte écologique est-elle compatible avec la transition énergétique nécessaire face au changement climatique ?
Est-ce que les usages vont continuer d’évoluer et s’éloigner des moteurs de recherche que l’on connaît aujourd’hui ?
A l’heure où ce virage technologique semble de plus en plus irréversible, toute la question de savoir si l’humanité a les moyens d'adopter cette révolution technique face aux impératifs environnementaux et de rentabilité.
Un modèle économique sous tension
L'essor de l'IA générative a propulsé OpenAI parmi les géants mondiaux de la technologie. Pourtant, son modèle économique repose largement sur des attentes de croissance et de retour sur investissement qui semblent, pour l'instant, difficilement atteignables. En effet, OpenAI dépense jusqu'à 700 000 dollars par jour pour faire fonctionner la plateforme ChatGPT et maintenir ses infrastructures opérationnelles. Une somme colossale qui souligne une difficulté majeure : l'IA générative est extrêmement coûteuse.
Les prévisions indiquent que les pertes d'OpenAI pourraient tripler d'ici 2026 pour atteindre 16 milliards de dollars. En 2024, malgré un chiffre d'affaires estimé à 3,7 milliards de dollars, les pertes pourraient s'élever à près de 5 milliards, chaque dollar de revenu entraînant 2,35 dollars de dépenses.
Ce déséquilibre remet en question la viabilité du modèle économique actuel. Près de 73 % des revenus d'OpenAI proviennent des abonnements payants, tandis que les 27 % restants proviennent des licences d'utilisation de leurs modèles de langage par des entreprises. Cette dépendance aux abonnements expose l'entreprise à une vulnérabilité significative : elle doit convaincre un nombre suffisant d'utilisateurs gratuits de passer à la version payante pour tripler sa base d'abonnés.
La nécessité de lever de nouveaux fonds ajoute une pression supplémentaire. Bien que la dernière levée de 6,6 milliards de dollars, valorisant l’entreprise à 157 milliards de dollars, soit une prouesse, jusqu'à quand les investisseurs continueront-ils d'injecter des capitaux sans retour financier tangible ? Avec des dépenses aussi massives, un retour sur investissement est-il envisageable dans un délai raisonnable pour satisfaire les marchés financiers ?
Contrairement à des acteurs comme Alphabet, Meta ou xAI d’Elon Musk, OpenAI ne dispose pas de ressources financières aussi solides et devra viser des niveaux de valorisation encore plus élevés pour financer sa croissance et répondre aux attentes de ses investisseurs, potentiellement autour de 200 milliards de dollars lors des prochains tours de table. Cette situation suscite des interrogations quant à la capacité d'OpenAI, en dépit de ses pertes, à entrer en bourse, un passage crucial pour assurer la rentabilité de ses investisseurs.
Une empreinte écologique préoccupante
Au-delà du modèle économique, l’IA générative et la complexité croissante des modèles de langage reposent sur des infrastructures extrêmement énergivores.
D'après certaines estimations, le modèle GPT-4 d’OpenAI consomme l'équivalent de trois bouteilles d'eau pour générer 100 mots, illustrant les besoins énergétiques colossaux des centres de données nécessaires au fonctionnement de ces technologies. Les géants américains, pour répondre à cette demande, se tournent vers l'énergie nucléaire. Microsoft a ainsi relancé une centrale nucléaire, tandis que Google a noué un partenariat avec la start-up Kairos Power pour alimenter ses centres de données à l'aide de réacteurs modulaires.
Si l’énergie nucléaire offre une certaine stabilité, son utilisation intensive alourdit le bilan carbone de ces entreprises : depuis 2020, les émissions de CO₂ de Microsoft ont augmenté de 29 %. Plus globalement, ces initiatives révèlent un problème de fond : les infrastructures actuelles sont insuffisantes pour répondre à la demande énergétique sans recourir à des sources puissantes.
L'Agence internationale de l'énergie prévoit un doublement de la demande énergétique des centres de données d'ici 2026. Ce paradoxe pourrait compromettre les objectifs écologiques mondiaux si des solutions plus vertes et économes ne sont pas adoptées. Alors que le GIEC prône la sobriété énergétique, l'IA semble aller à contre-courant des objectifs climatiques, exigeant une production d'énergie sans précédent et difficilement tenable sans une transition radicale.
Est-il possible de concilier l’innovation de l’IA avec la réduction de l’empreinte carbone ?
Transformation des usages
L’arrivée de l’IA transforme également les habitudes de recherche : 250 millions de personnes utilisent désormais ChatGPT. Les utilisateurs, notamment les jeunes, attendent des expériences plus immersives et interactives. Aujourd’hui, 40 % d'entre eux préfèrent TikTok ou Instagram à Google pour rechercher un restaurant, et 63 % des recherches de produits commencent désormais sur Amazon.
Les nouveaux outils d'IA, tels que Google Gemini, AI Overviews, Search GPT ou Perplexity, fournissent des réponses directes et rapides, modifiant le parcours utilisateur tout en intégrant la publicité de manière novatrice. Bien que ces nouveaux usages restent encore marginaux par rapport au volume global de recherches, cette diversification pourrait à terme bouleverser le modèle économique bien rôdé des moteurs de recherche comme Google ou Bing, rendant difficile tout retour en arrière.
Les professionnels du marketing digital doivent donc suivre de près ces tendances pour ajuster leurs stratégies d’acquisition et adopter une approche multicanale, afin de fidéliser et capter l’attention d’un public de plus en plus dispersé entre diverses plateformes.
IA, rentabilité et transition écologique : une convergence possible ?
Le développement de l'IA générative se heurte à des impératifs contradictoires : d’un côté, elle nécessite des investissements colossaux et une consommation énergétique exponentielle ; de l’autre, elle bouleverse les modèles d’usage et de monétisation. Les objectifs de rentabilité d'OpenAI et d'autres acteurs de l'IA reposent sur un financement stable et une forte croissance de la base d’utilisateurs payants, ce qui est difficilement compatible avec une expansion écologique raisonnée, ainsi qu'avec les habitudes d’utilisation gratuite des moteurs de recherche traditionnels.
L'IA pourrait cependant jouer un rôle de levier dans le développement de technologies énergétiques alternatives, telles que les réacteurs nucléaires modulaires ou d’autres sources d’énergie plus propres. En retour, ces innovations pourraient garantir l’approvisionnement énergétique nécessaire pour le déploiement massif de l’IA. Cependant, la course actuelle à l’IA exige des solutions immédiates, menaçant de court-circuiter les impératifs écologiques. L'humanité dispose-t-elle des ressources économiques et de la volonté écologique pour intégrer l'IA sans faire de compromis désastreux pour l’environnement ?
Le futur de l’intelligence artificielle : entre innovation, rentabilité et transition écologique
L’intelligence artificielle générative s’impose comme une révolution aux bénéfices potentiels multiples, mais elle repose sur un équilibre fragile entre rentabilité, sobriété énergétique et adaptation des usages. Alors que les investissements massifs s’intensifient, les défis écologiques et économiques posés par cette technologie soulèvent une question cruciale : les infrastructures et ressources actuelles sont-elles prêtes pour une expansion de cette ampleur ? L’avenir de l'IA pourrait bien dépendre d'innovations énergétiques durables et d'une redéfinition des critères de rentabilité. Sans cela, le coût de cette révolution pourrait finalement excéder ses bénéfices pour la société et l’environnement.
Frédéric Jutant, Responsable Marketing chez Icarus Media Digital
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