Pourquoi faut-il conserver les indicateurs en énergie primaire ?

Le mercredi 17 septembre 2014, l’association Energies et Avenir, qui représente l’ensemble des professionnels des systèmes à eau chaude pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire, a organisé un petit-déjeuner débat intitulé « Performance énergétique et environnementale des bâtiments : pourquoi faut-il conserver les indicateurs en énergie primaire ?».

La rencontre animée par Alain GRUMBERG, rédacteur en chef de Décisions durables, a permis de discuter, grâce aux interventions des différents experts de l’importance de conserver des indicateurs en énergie primaire pour mesurer la performance énergétique et environnementale des bâtiments, et de la nécessité de faire ce choix primordial pour inciter à la rénovation énergétique et atteindre les objectifs ambitieux de la prochaine Loi de transition énergétique pour la croissance verte.


Cette table-ronde réunissait :

- Maryse ARDITI, Pilote du réseau Energie de France Nature Environnement (FNE)
- Emmanuelle BERTHO, Ambassadrice négaWatt
- Sylvain COOPMAN, Délégué Général de la Chambre des Diagnostiqueurs Immobiliers FNAIM
- Jean-Paul OUIN, Délégué Général d’Uniclima

Un besoin de clarification dans le choix des critères : Energie primaire ou Energie finale ?

Hervé THELINGE, président d’Energies et Avenir, a ouvert le débat en rappelant que la réduction des consommations énergétiques dans le bâtiment est au coeur des enjeux actuels. Si les réglementations thermiques sont basées sur des calculs conventionnels exprimés en énergie primaire, le projet de Loi de transition énergétique pour la croissance verte fixe quant à lui des objectifs de réduction exprimés en énergie finale. Alors que les plates-formes de la rénovation énergétique montent en puissance, les particuliers ont besoin d’indicateurs clairs pour déclencher leurs travaux. Donc « il est important de clarifier ces points » et de choisir les indicateurs les mieux adaptés pour réussir la transition énergétique.


Pourquoi distinguer Energie primaire (EP) et Energie finale (EF)

Selon Emmanuelle BERTHO, l’énergie primaire représente « l’ensemble de notre consommation, y compris l’ensemble des pertes au long de la chaîne énergétique, nécessaires pour transformer la ressource en usage » (ex : l’uranium ou le gaz nécessaire pour produire de l’électricité, le fuel servant à produire de l’essence). Le rendement global étant d’environ 65%, ces pertes doivent être prises en compte sans quoi « un tiers du problème n’est pas traité ». De plus, les impacts environnementaux diffèrent selon les énergies. Aussi, « pour pouvoir les comparer, il faut prendre le problème à la source, et donc calculer en énergie primaire ».

Maryse ARDITI a pour sa part souligné que la production d’électricité est la principale « cause de la dégradation du système énergétique ». En effet, les pertes pour « passer de la chaleur à l’électricité, c’est 2/3 aux petits oiseaux si c’est du nucléaire, 60% pour du fioul ou du gaz peu performant ». Les pertes d’énergie se multiplient ainsi à mesure que la consommation électrique augmente massivement, notamment pour le chauffage. La Pilote du réseau Energie de FNE commente : « faire de la chaleur à 20°C dans une pièce avec un grille-pain, ce n’était pas à faire ». Elle a également signalé que le projet de loi relatif à la transition énergétique et à la croissance verte (PLTECV) n’est rédigé qu’en énergie finale, alors même que l’ensemble de l’Europe calcule en énergie primaire. Ce choix, s'il était adopté par la France, permettrait de limiter l’ampleur de la dégradation du système énergétique, la consommation française ayant augmenté en 40 ans de 15% en énergie finale et de 45% en énergie primaire.


La place d’un objectif contraignant en EP dans les lois sur l’énergie en France

Alain GRUMBERG a interrogé les panélistes sur la pertinence de rendre contraignant l’objectif de l’Union européenne de 20% d’économie d’énergie primaire d’ici 2020.

Pour Mme BERTHO, cet objectif donne une direction mais celle-ci doit être débattue par l’ensemble des parties prenantes, y compris les associations, et non pas « seulement dans les couloirs des ministères avec les lobbies ». Aussi a-telle regretté la disparition de l’idée d’une commission plurielle d’experts qui avait été proposée par la Conférence environnementale puis par le comité national du débat sur la transition énergétique. Elle a plaidé pour l’adoption de contraintes pour atteindre les objectifs : « on s’engage, mais qui va vérifier ? ».

Maryse ARDITI qui estime que les objectifs à 2050 du PLTECV sont bons, juge toutefois les objectifs à 2030 et les mesures du projet insuffisants pour atteindre les objectifs 2050. FNE a d’ailleurs proposé des amendements « dont un pour fixer un objectif en 2030, en valeur absolue, compatible avec les engagements de la France envers l’Europe pour 2020 ».

Pour Sylvain COOPMAN, il n’y a rien de mieux que suivre l’évolution de la consommation en énergie primaire pour évaluer correctement les effets des politiques publiques à moyen et long terme. Coupler cet indicateur avec les émissions de gaz à effet de serre permettrait de plus d’orienter le mix vers les énergies propres. En revanche, un objectif contraignant risquerait d’être contreproductif, la pression du consommateur se reportant sur les professionnels.


Des évolutions dans la conversion entre EP et EF

Lors des échanges avec la salle, Joël PEDESSAC (CFBP) a demandé quels éléments peuvent faire évoluer le coefficient de conversion entre EP et EF dans le temps, et si un coefficient plus bas ne conduirait pas à une augmentation du recours à l’électricité en période de pointe. Il a également pointé le risque de déséquilibre du réseau s’il est fait appel à davantage d’énergies intermittentes.

Emmanuelle BERTHO a rappelé que le chiffre de 2,58 date des années 1970 et qu’actuellement la France consomme environ 1500TWH d’énergie primaire pour produire environ 500TWH d’énergie finale électrique. Ainsi, le calcul réel aujourd’hui de ce coefficient de conversion est plus proche de 3, notamment du fait du développement du nucléaire. Il existe cependant des moyens pour produire plus efficacement l’électricité, comme la cogénération et l’augmentation de la part d’énergies renouvelables dans le mix. Selon le scénario Négawatt, le rapport énergie primaire pour énergie finale ne serait plus que de 1 pour 0,8 en 2050 avec un mix électrique composé quasiment exclusivement d’énergies renouvelables, sans problème de déséquilibre du réseau.

Maryse ARDITI a rappelé que la moitié de la pointe européenne est due à la France. D’après elle, le projet de loi, en supprimant les tarifs d'achat, limitera le développement des énergies renouvelables et favorisera les grands acteurs de ce marché. Prenant l’exemple du Danemark, avec 22% d’électricité d’origine éolienne, elle a souligné qu’il est possible de prévoir les niveaux de production électrique, grâce aux données météorologiques. Selon elle, le développement du stockage de l’énergie permettra d’adapter l’offre à la demande dans le temps, l’idée étant « de rendre le système performant ».


L’importance de conserver ce critère en énergie primaire dans les réglementations thermiques

Jean-Paul OUIN a dénoncé un faux-débat. Selon lui, si un débat est apparu c’est parce que les électriciens et les équipementiers électriques disent ne plus pouvoir installer leurs appareils à cause des calculs en énergie primaire. Or, il a rappelé qu’avec les précédentes RT, déjà exprimées en énergie primaire, beaucoup de chauffages à effet Joule ont été installés. La limitation à 50 Kwh/m²/an en énergie primaire a seulement sorti du marché du neuf les systèmes les moins performants. Le délégué général d’UNICLIMA a souligné que les chauffages à effet Joule seraient toujours nécessaires dans certains cas particuliers et dans la rénovation où « ce ne sera pas possible de tirer des milliers de kilomètres de tuyaux ». Il a ainsi regretté que les nouveaux appareils électriques, bien plus performants que les anciens, ne soient pas pris en compte dans la RT. Cependant, il ne faut pas, d’après lui, toujours raisonner en énergie primaire. Il a donné pour exemples le calcul dans la RT 2012 des parts EnR générées par une pompe à chaleur - effectué en énergie primaire alors qu’il s’agit de production locale - et le calcul appliqué aux panneaux photovoltaïques d’une maison RT 2012, dont la production est multipliée fictivement par 2,58. Enfin, il a estimé que « le vrai sujet, c’est la rénovation ».

Selon Emmanuelle BERTHO, les fabricants savaient de longue date que les calculs se feraient en énergie primaire dans les RT récentes. Elle précise que la problématique du chauffage électrique est double : il faut trois fois plus d’énergie pour produire la même quantité de chaleur que les combustibles et son impact sur la pointe saisonnière de consommation d’électricité est très important. Ainsi, un degré de moins en hiver cause un appel de puissance considérable (2300 Mégawatt) : « c’est un problème y compris pour EDF et RTE ».

Jean-Paul OUIN a rappelé que la RT 2012 en énergie primaire n’est pas encore appliquée et que des décrets sont encore attendus. Il a donc soutenu que, quoique longue est complexe, il ne faudrait pas la changer avant de l’avoir appliquée. Le temps de l’améliorer viendra ensuite : il a cité en exemple la complexité de la procédure dite du titre V, pour inscrire les innovations au dispositif, ainsi que la mauvaise prise en compte des régulateurs, dont le coût justifie pourtant l’intégration.

Maryse ARDITI a également défendu l’application de la RT 2012, estimant cependant que celle-ci restait un sujet mineur eu égard au taux de renouvellement actuel : « le neuf, c’est 1% des bâtiments ». Elle a signalé que dans les 50 mesures de simplification du Gouvernement figurait Cohn&Wolfe pour Energies et Avenir l’autorisation de construire des maisons sans conduit de cheminée : « dans ce cas-là vous êtes pieds et poings liés à l’électricité pour vous chauffer ».

Emmanuelle BERTHO a confirmé également que la Emmanuelle BERTHO a confirmé également que la rénovation est la première préoccupation. Selon elle, il n’est pas nécessaire de réaliser un grand nombre d’études sur chaque logement, « indiquons la bonne direction vers le niveau basse consommation BBC compatible, et pour l’atteindre on sait qu’il faut faire tels travaux. L’idéal est de les faire tous d’un coup, mais ce n’est pas toujours possible financièrement ».


Un critère qui s’imbrique avec les exigences européennes

Pour Jean-Paul OUIN la directive EcoDesign est « le seul tremblement de terre dont les industriels européens s’occupent ». Celle-ci interdira en septembre 2015 la vente des équipements énergétiques les moins performants - donc les moins coûteux – ce qui représente la moitié des ventes actuelles de chaudières. Aussi, le délégué général d’UNICLIMA a rappelé que le calcul conventionnel en énergie primaire est le seul reconnu par les règlements européens EcoDesign pour les lots liés au chauffage. Il permet d’obtenir les étiquettes environnementales sur les produits « les règlementations qui concernent les fabricants sont bien en énergie primaire ». Dans ce contexte, l’exemption du chauffage électrique de l’étiquette énergétique obligatoire créé une situation de déséquilibre impossible à justifier.


Renforcer la compréhension des indicateurs en EP par le consommateur


Sylvain COOPMAN a déclaré qu’il y a « une grande logique à conserver un Diagnostic de Performance Energétique en énergie primaire », évoquant le caractère pédagogique du DPE et des deux étiquettes qui le composent, l'étiquette "énergie" et l'étiquette des émissions de gaz à effet de serre. Les énergies, leur coût, et les modes de consommation changent, mais le DPE fait la photographie de la consommation d’un bâtiment et « seule l’énergie primaire permet cela ».

Maryse ARDITI a pour sa part rappelé que le prix de l’énergie augmentera, et « il faut le dire aux consommateurs », pour qu’ils fassent des choix de travaux permettant d’économiser cette énergie. Selon Jean-Paul OUIN, il faut expliquer la différence entre énergie finale et énergie primaire à l’utilisateur : « je crois que les consommateurs sont capables de comprendre cela, de la même manière qu’ils comprennent la différence entre degrés Celsius et Fahrenheit ». Il a proposé que les compteurs intelligents affichent également l’énergie primaire consommée.


Renforcer la confiance des ménages dans leurs travaux


Jean-Paul OUIN a demandé de la stabilité et de la simplicité dans le domaine des aides financières, car un « document de simplification de l’ADEME sur les aides à la rénovation fait 17 pages ».

Sylvain COOPMAN a regretté que les mesures récompensent trop tardivement les ménages qui ont atteint les objectifs de performance énergétique. Le Délégué Général de la Chambre des Diagnostiqueurs Immobiliers FNAIM a par ailleurs rejeté catégoriquement l’idée d’un DPE en €/m² « par facilité de lecture ». En effet, le DPE est valable 10 ans, aussi il doit s’abstraire de l’évolution du coût de l’énergie qui fausse sa valeur. Il a aussi dénoncé les obstacles dans la prise de décision en copropriété, qui limitent les possibilités de rénovation énergétique et nécessitent un surcroît de pédagogie. Il s’est interrogé sur les professionnels les plus adaptés et les plus indépendants pour conseiller les ménages dans la réduction de leur consommation et leurs travaux de rénovation énergétique. Il a suggéré de joindre au diagnostic technique global des copropriétés les diagnostics sur l’amiante, le plomb et le bâti, afin « d’avoir ainsi de bons indicateurs pour prendre de bonnes décisions ». Il a également renouvelé la proposition faite lors du plan de fiabilisation du DPE de lier celui-ci à la facture, car cela « permettrait une meilleure lecture et une meilleure compréhension de l’énergie primaire, et une prise en compte de son propre comportement » par le consommateur.

Emmanuelle BERTHO a défendu l’idée du passeport énergétique, toujours en projet. Elle a appelé à sortir de nouveaux labels de performance des bâtiments, qui peuvent convaincre les consommateurs. L’ambassadrice négaWatt a souligné que « si l’idéal reste de réaliser l’ensemble des travaux pour arriver à un niveau BBC, il faut savoir dans quel ordre les réaliser » si les moyens financiers ne sont pas disponibles.


Financer les meilleurs travaux de rénovation énergétique

Lors des échanges avec la salle, Hervé THELINGE (Energies et Avenir) a expliqué qu’en maison individuelle, la modernisation du système de chauffage et l’isolation des combles permettent 40% de gain énergétique et 5 ans de temps de retour sur investissement. Il a également rappelé que le meilleur rendement de la chaudière à condensation est à 30% de charge, en déduisant que l’isolation des parois peut être réalisée ensuite sans aucun problème de surdimensionnement. Il a donc invité à commencer la rénovation par des travaux occasionnant des économies rapides afin de les utiliser pour les travaux futurs.

Emmanuelle BERTHO a proposé que les économies réalisées sur le chauffage soient placées sur un compte, en vue des travaux d’isolation, pour éviter que ces derniers, devenus moins rentables, ne soient pas effectués.

Maryse ARDITI a déploré le fait que la moitié des gens qui refont complètement leurs toitures ne l’isolent pas, alors que ce serait un travail immédiatement efficace et engagé à moindre coût au moment de cette réfection.

Sylvain COOPMAN a estimé que les consommateurs ont déjà du mal à payer les diagnostics, et a jugé important qu’ils puissent y avoir des montages permettant de provisionner à partir de ce qu’on peut gagner en termes de comportements énergétiques ou de changements de matériaux. Ainsi, il faut que les montages permettent dès le départ de gagner un peu.

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