L’Europe et la Russie ont choisi, par défaut, d’être mutuellement très dépendantes en matière d’énergies fossiles[1]. Le graphique ci-après montre la répartition en valeur des importations d’énergie par l’Union européenne en provenance de pays non-membres de l’Union. Le pétrole tient, et de loin la première place. Le montant mensuel moyen d’importations, aux prix pratiqués avant la crise actuelle, est d’environ 25 milliards d’euros dont environ le tiers en provenance de la Russie.
L'Europe et les énergies fossiles russes : état des lieux
Figure 1 - Répartitions européennes des importations non européennes d’énergie en valeur (2020). Source : Eurostat database (Comext) et estimations Eurostat estimates
Figure 2 - Balance commerciale russe - Source : Banque centrale de Russie
Si l’Europe dépend de la Russie pour son approvisionnement énergétique, la Russie dépend de l’Europe pour financer son budget via les excédents de sa balance commerciale. La Russie a misé sur l’appétence européenne pour en faire son premier client. Près des trois quarts du gaz exporté par la Russie va en Europe. Il est vrai que ces toutes dernières années, l’Europe a accru ses importations de gaz naturel en provenance d’autres pays (gaz de schiste américain, et pays du moyen orient), mais près la moitié du gaz importé en Europe vient toujours de Russie. Et la stratégie européenne de décarbonation repose très largement sur un accroissement significatif des importations de gaz russe permettant la sortie progressive du charbon ; la durée de cette « transition » n’est pas très clairement déterminée.
Figure 3 -Destination des exportations russes de combustibles fossiles - Construit à partir de : US-EIA et BP Outlook
C’est en pariant sur l’équilibre qui devait résulter de cette dépendance mutuelle - l’Europe a besoin des hydrocarbures russes ; les Russes ont besoin de vendre leurs hydrocarbures à l’Europe - que celle-ci, plus ou moins consciemment, a accepté cette dépendance. Les traités européens et les plans énergétiques successifs de la Commission ne se fixent aucun objectif d’autonomie énergétique et celle-ci s’est régulièrement dégradée au fil des années. Le seul objectif est celui de la sécurité d’approvisionnement, et il était acquis que la Russie était dépendante et donc fiable, et contribuait à la sécurité d’approvisionnement.
La brutale guerre d’Ukraine - précédée par l’annexion de la Crimée en 2014 qui n’avait pas conduit l’Europe à s’interroger sur sa dépendance énergétique - vient fondamentalement remettre en cause la stratégie européenne, au moins pour les prochaines décennies. Il y a urgence à réagir ; c’est ce que l’Union européenne a commencé à faire lors du sommet de Versailles des 10 et 11 mars 2022[2]. Le Conseil européen débattra à nouveau des propositions de la Commission lors de ses réunions des 24-25 mars et des 23-24 juin 2022.
Au cœur de la réflexion se situe la sortie des hydrocarbures russes, soit parce que les européens souhaitent sanctionner la Russie, soit que la Russie en représailles des sanctions déjà subies décide de réduire fortement voire d’assécher ses livraisons vers l’Europe. Nous ne discutons pas ici des mécanismes complexes de sanctions et contre-sanctions, avec leurs échappatoires éventuelles, et on se limite à la question unique : comment réduire la dépendance européenne aux hydrocarbures russes ?
A long terme, la stratégie européenne prévoit de sortir de tous les hydrocarbures en 2050, dont évidemment des hydrocarbures russes. Et les mesures Fit-for-55 annoncées par la Commission le 14 juillet 2021 visent à réduire les émissions européennes de CO2 de 55% en 2030 par rapport à 1990. Cet objectif est venu abruptement se substituer à un objectif de réduction de 45% déjà très ambitieux et il paraît exclu de l’amplifier. Mais peut-on aller plus vite : que faire à court terme ; comment préparer l’hiver prochain ? Et la brutalité de la crise actuelle pose-t-elle des questions sur la politique de moyen terme ?
Rapport complet disponible : Sortir de la dépendance aux énergies fossiles russes
[1] L’Europe n’a aucune dépendance vis-à-vis de la Russie en matière d’énergies solaires, éoliennes ou hydrauliques. La France importe quelques services et matières nucléaires de la Russie (enrichissement de l’Uranium de retraitement). Ces flux assez marginaux ne créent pas une situation de dépendance, d’autres sources d’approvisionnement étant possibles.
[2] REPowerEU: Joint European action for more affordable, secure and sustainable energy Factsheet_-_REPowerEU
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