Par Alain MAUGARD, président de QUALIBAT le 04 Juillet 2019
Dans les réflexions que nous avons actuellement au sein du groupe de travail RBR 2020, nous essayons de développer une nouvelle piste concernant les « externalités » : ces « externalités » ont été, jusqu’ici, peu valorisées : elles prennent désormais une place que les acteurs économiques intègrent.
1/ Nouvelles valeurs marchandes du bâtiment : les externalités
Les précédentes chroniques ont montré que le bâtiment est au carrefour des phénomènes de société actuels. La transition énergétique, l’effet de serre et la question carbone, la question environnementale avec la qualité d’air, la préservation et la qualité de l’eau, la santé environnementale, le confort de vie et la qualité de vie au sein du bâtiment et de son environnement. Plus récemment, nous avons mis en évidence la rencontre du bâtiment avec la biodiversité. D’autres interfaces du bâtiment avec la gestion des déchets, les phénomènes de sécurité, l’accessibilité, le maintien à domicile de la génération vieillissante, la connexion aux transports viennent compléter les lignes de transformation du bâtiment, au regard de la société des urbains.
Nous devons nous interroger sur les conséquences économiques de ces nouvelles dimensions que nous avons mises en évidence au fur et à mesure de nos réflexions. Certaines sont déjà inscrites dans ce que l’on appelle la « valeur marchande du bâtiment qui se résume et se réduit quelque part aujourd’hui à la localisation et au foncier. Ces autres dimensions que l’on peut baptiser « les externalités » ne sont pas inscrites dans la valeur des bâtiments. Beaucoup de ces externalités citées ne sont pas réellement et encore considérées comme des valeurs marchandes encore que la « valeur verte », autour de la performance énergétique et environnementale commence de plus en plus à émerger et à compter en tant que valeur marchande. Une enquête récente, sur toute la France, montre que pour les maisons individuelles, la différence de prix moyenne entre une maison de diagnostic énergétique C et une maison de niveau F G est de l’ordre de 15 à 20 %, toutes choses égales par ailleurs.
La question que l’on doit se poser est la suivante : est-ce que les « externalités » actuellement considérées comme valeurs non marchandes, ne sont pas en passe de le devenir ? C’est une question fondamentale car cela change immédiatement le choix des concepteurs et surtout des investisseurs qui prennent un risque financier. Soit les valeurs marchandes connues actuellement ne vont pas bouger au cours des 15 à 20 prochaines années et cela nous amènera à une certaine stratégie d’investissement. Soit la prospective nous indique avec une bonne probabilité, que certaines externalités vont devenir de futures valeurs marchandes, et là, la question se posera s’il ne faut pas investir dans des bâtiments incluant déjà ces externalités et qui ainsi prendront de la valeur dans les 15 à 20 prochaines années. La conséquence est de taille pour mieux vendre ou mieux louer le bâtiment de demain pour lequel on investit aujourd’hui.
Cela est d’autant plus important que nous nous faisons l’hypothèse qu’il y aura des changements, une appréciation grandissante de ces externalités et donc une évolution de la valeur marchande du bien immobilier dans le futur.
Ainsi, si ces nouvelles externalités qui sont mises en évidence dès aujourd’hui ne sont pas prises en compte dans le choix d’investissement, il y a de fortes chances que le bâtiment soit obsolète dans les 10 à 20 ans à venir. C’est l’hypothèse de l’obsolescence accélérée du bâtiment que nous formulons.
Il faut donc les intégrer toutes dès la construction ou pouvoir les intégrer tout au long de la vie du bâtiment. Cela conduit à la notion de bâtiments adaptables, transformables ou évolutifs ou mutables.
2/ Investir pour des bâtiments vertueux et adaptables
Sans prendre de risque, nous pouvons prévoir que l’énergie grise et son corollaire le carbone gris du bâtiment - axe central de la prochaine réglementation 2020 - rentrent immédiatement en ligne de compte. Rappelons que cette énergie grise représente en moyenne quelque 60 années d’énergie d’exploitation avec l’inconvénient majeur que le carbone est largué en une seule fois à la construction. Dès lors, cela donne une valeur plus importante au bâtiment neuf doté d’une énergie grise-construction maitrisée et au maintien de la valeur d’usage du bâtiment tout au long de son cycle de vie, cycle de vie que l’on va chercher à prolonger au maximum.
La question du maintien dans le temps de l’utilité d’usage du bâtiment va donc se poser sérieusement.
Prenons l’exemple du tertiaire que nous séparons volontairement du résidentiel. Comment évolueront les bureaux avec le télétravail, avec le management par projet, avec la révolution numérique ? Comment s’effectuera l’activité de commerce, l’activité de production artisanale avec l’arrivée de l’impression 3D ? Le tertiaire est voué à intégrer rapidement ses nouvelles externalités et c’est sans doute lui qui va contaminer le logement !
Le logement ne sera pas en reste avec la volonté de se doter de plus de mixité ; ce qui sera bien utile à l’essor du BEPOS et du TEPOS en assurant une meilleure autoconsommation. Il devra de plus en plus s’adapter aux modes de vie des occupants à leur évolution sociétale et à leur vieillissement (adaptabilité pour les services au 3ème Age). Un même bâtiment résidentiel pourra même devenir non résidentiel en fonction des évolutions du quartier. Cela pourrait conduire à le concevoir tout ou partie avec les hauteurs sous-plafonds de 3 mètres au lieu de 2.50 mètres (afin de pouvoir le transformer en bureaux par exemple).
Ainsi progressivement ces externalités qui ont peu de valeur marchande aujourd’hui vont être prises en compte par le marché et devenir les indicateurs marchands du Bâtiment Responsable. Nous allons sortir progressivement du seul « dictat réglementaire » en lui adjoignant la valorisation par le marché ; bref, le passage de « l’obligatoire au souhaité ».
Alain Maugard