Par Alain MAUGARD, président de QUALIBAT le 04 Juillet 2019
Avec l’arrivée du label Energie – Carbone qui préfigure la réglementation construction 2018-2020, il s’agira de vérifier « dans la vraie vie » les usages en situation réelle et à une échelle significative.
Comment réagissent les ménages dans les logements, comment réagissent les occupants dans le tertiaire, les clients dans les commerces ? L’offre étant nouvelle et ayant été pensée pour un mode de vie responsable (sobriété énergétique, production d’énergie, biodiversité, connexions aux transports collectifs, …), il faudra voir à l’œuvre l’arrivée de ces modes de vie responsables.
1/ Réflexion RBR 2020 : Qu’est-ce qui se passe en ce moment ?
Les réflexions du groupe RBR 2020 vont vers un bâtiment fait pour les hommes et dont les hommes se retrouvent au cœur. Cette intuition est en train de prendre racine et de s’avérer en ligne avec la réalité sociale. Ainsi, chose nouvelle et étonnante, les évolutions de l’offre sont à l’heure actuelle commandées plus par une demande qui évolue. C’est-à-dire que ce sont les habitants et les occupants qui envisagent de vivre et de s’organiser autrement plus qu’une offre qui imposerait les modes de vie. L’offre aurait donc tendance à suivre et non à précéder la demande.
Voyons ce qui se passe pour les urbains qui vont vivre dans la ville de demain et les bâtiments de demain. Une nouvelle économie urbaine se met en place, économies de partage, ubérisation des services, mixité des usages, mobilité douce, circuits courts. En l’espace de deux ou trois ans, ce ne sont pas des ajustements mais un nouveau monde économique qui se développe basé sur de nouveaux modes de vie auxquels l’offre s’adapte et non l’inverse comme cela a été le cas dans le passé. D’autres façons de vivre dans la société des urbains impactent d’autres façons de vivre pour les occupants du bâtiment.
L’exemple de la montée du commerce électronique et de la livraison à domicile fait repenser l’organisation de la ville, de sa logistique et des bâtiments et donc le travail des urbanistes !
2/ Nous sommes à un moment où la demande a pris le pouvoir
D’une certaine façon la demande est là, elle a envie de changer, elle n’est plus conservatrice comme avant. Il y a des initiatives qui échappent à tout le monde et qui n’étaient pas prévues. Nous sommes face à une éclosion de potentialités individuelles et collectives d’organisation qui était insoupçonnée jusqu’à présent.
Cela renforce le bien fondé du pari de RBR 2020 qui consiste à remettre la personne au centre du bâtiment, de la ville, et de la civilisation urbaine ; et cela mobilise bien plus que des populations minoritaires, …, les chevaux sont lâchés et c’est irréversible.
Prenons pour exemple cette publicité passée dans les Echos en ces mois d’été ; EDF y préconise l’autoconsommation en nous disant qu’on va tous être des producteurs d’énergie.
Notons également qu’EDF est d’accord désormais pour installer un compteur LINKY systématiquement dans toutes maisons BEPOS pour que l’on aille sur cette voie de l’autoconsommation. Si un acteur comme EDF fait une publicité de ce type, cela veut dire que l’entreprise considère dans son plan stratégique que cela va réussir et que c’est inéluctable. Rappelons-nous que jusqu’à présent cette entreprise pouvait espérer rester en dehors de toute idée d’autoconsommation. Là, preuve est faite que l’accompagnement du mouvement en marche est bien dans leur stratégie.
D’autres acteurs que les énergéticiens comme les collectivités territoriales ont également la possibilité et le pouvoir de le faire. Elles vont et sont en passe d’organiser leur propre production d’énergie, de mettre en place des concessions et de s’offrir une véritable vision énergétique. Voilà un acteur qui est en train de basculer complétement ; nous l’avions prévu. Sur la question de l’énergie, le rendez-vous s’accélère donc.
Sur le plan du carbone, la résonnance est aussi forte. Plus d’acteurs sont et vont être impliqués. Il n’y a pas un industriel de la construction qui n’est pas concerné par le carbone. Il n’y a pas seulement la filière bois biosourcée qui utilise cette vague post COP 21. En effet, la COP 21 est un tournant et pointe désormais la responsabilité de tout le monde sur l’effet de serre.
Chose notable, nous avons les premiers exemples qui se confirment de sociétés de placements financiers qui commencent à regarder de près dans quelles entreprises ils vont investir leurs capitaux. Les sociétés qui demeurent responsables d’une grande quantité d’effet de serre avec des productions qui dégagent beaucoup de carbone les amènent à se poser des questions. Est-ce si judicieux en tant qu’investisseur d’accompagner des entreprises qui se positionnent dans les effets du réchauffement climatique ? Ne pourraient-ils pas faire l’objet de reproches en termes de responsabilités, alors que le collectif mondial réuni à la COP 21 a montré les effets dévastateurs du tout carbone.
Ces financements nocifs ne pourraient-ils pas être assimilés à un « crime contre la planète » et donc l’humanité qui vit sur la planète ? De la même manière, la question se pose à nos politiques dont la vocation est de protéger la population de tout danger. Leur décision d’investissement - avec l’argent public de surcroît - dans des solutions carbone à effet de serre, ne pourraient-elles pas être attaquables ?
Avec la COP 21, il y a eu un consensus international ; tout le monde est sachant à partir de maintenant ! La demande du citoyen du monde que nous sommes tous doit être respectée.
3/ Comme la bataille énergétique, la bataille bas carbone va avoir lieu !
Toutes les stratégies bas-carbone commencent à s’engager. Il va y avoir une bataille entre des acteurs « très bas carbone » contre des acteurs qui restent « encore carbone ». Chose remarquable, c’est la première fois que l’on évoque le fait que peut être il ne faudrait pas utiliser complètement toutes les ressources pétrole, gaz et charbon. Jusqu’à peu, on imaginait épuiser jusqu’au bout les réserves de pétrole et de gaz, avec un pic de production dès lors que les réserves se raréfient et que la demande annuelle devient supérieure aux réserves nouvelles exploitables. Tout le monde pensait avec un tel pic, que ceux qui détenaient les dernières réserves les vendraient à des prix très élevés.
Cependant, si le pronostic s’inverse et que l’humanité peut se passer d’exploiter jusqu’au bout les dernières réserves, avec en toile de fond que cela pourrait être assimilé à un « crime contre l’humanité » alors ces dernières réserves ne valent pas grand-chose et ne doivent plus être exploitées. Et certains pensent que la stratégie à l‘heure actuelle suivie par certains pays de l’OPEP qui consiste à produire beaucoup, quitte à vendre moins cher, procède de l’analyse suivante : vider leurs ressources plus vite que prévu, pour pouvoir les vendre avant qu’elles ne valent plus rien ; c’est l’effet paradoxal.
La bataille bas-carbone va avoir lieu dans le bâtiment avec un nombre important d’acteurs. Cela va concerner essentiellement les industriels et les fabricants de matériaux, sachant que le carbone « largué » sur le chantier représente comparativement peu de chose.
Par ailleurs, les acteurs du bâtiment tels que les maîtres d’ouvrage, architectes, ingénieries, entrepreneurs vont reconfigurer leur méthode de travail autour d’un mode plus collaboratif (autour de la maquette virtuelle) et certains leaderships apparaîtront dans la réalité. Dans un premier temps, les sociétés d’une certaine taille chez les promoteurs, les entrepreneurs, les ingénieries et les cabinets d’architectes en seront les leaders.
Mais, très vite à côté de ces gros acteurs, des structures légères vont trouver leurs places parce que plus réactives et plus imaginatives et plus au service du client. N’oublions pas que la nouvelle économie aujourd’hui s’appuie sur des start-up aux idées créatrices et autour d’une économie d’échange (ce n’est pas la SNCF qui a lancé BLABLACAR !). Il pourrait naître des entreprises artisanales de nouvelles générations, sortes de start-up et qui compenseraient leur petite taille par leur maniabilité créatrice et leur organisation en réseaux.
L’offre et l’organisation des acteurs vont changer sous le « joug » d’une demande qui exige des bâtiments plus « vertueux », et ce, à des coûts acceptables.
Alain Maugard