Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 13 Octobre 2023
La chaleur compte pour la moitié de l’énergie consommée dans les bâtiments, que ce soit pour le chauffage ou l’eau chaude sanitaire. Malgré de nombreux efforts au cours de ces dernières années, les sources d’origines renouvelables et de récupération, que ce soit en individuel ou en collectif, sont relativement modestes. La programmation pluriannuelle de l’énergie devrait leur faire une place plus importante.
Lors de la table ronde sur la chaleur renouvelable et de récupération, administration, élus et représentants des industriels ont fait part des ambitions et des défis
pour tenir les engagements en matière de chaleur décarbonée d’ici 2030 - Photo FEDENE - Hubert Raguet
Chaleur fatale et de la récupération d’énergie
Il y a des maximes intellectuellement confortables - « la meilleure énergie est celle que nous n’utilisons pas » - et d’autres plus pragmatiques - « l’autre est celle que nous récupérons ». À l’occasion de ses 27ᵉˢ rencontres annuelles tenues mi-Septembre, La Fedene, (fédération des entreprises de service d’économie d’énergie, de chaleur et de froid) constate que les sujets de la chaleur fatale et de la récupération d’énergie sont à l’ordre du jour des débats politiques.
Après les réunions de réflexion sur la prochaine Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) entre les pouvoirs publics et les filières professionnelles - Fedene, mais aussi le SER (les énergies renouvelables), Amorce (les collectivités locales), l’AFPG (la géothermie), Enerplan (le solaire), le CIBE (le bois énergie), Via Seva (les réseaux de chaleur), l’ATEE (la maîtrise de l’énergie) - il s’agit maintenant de présenter les solutions techniques retenues et encouragées pour décarboner la chaleur. Ce qui s’est traduit par un « Plan Marshall pour la chaleur et le froid renouvelable et de récupération », un rapport de synthèse de soixante mesures formulées par tous ces acteurs et livrés en Juin dernier.
Doubler la chaleur issue de renouvelables et de la récupération
Concrètement, les acteurs de cette filière assistent depuis quelques mois à un véritable renversement. Comme cela a été rappelé à la tribune de la Fedene, la chaleur compte pour la moitié de la consommation finale d’énergie en France. Soit, tous secteurs confondus, 700 TWh sur une consommation totale de 1 600 TWh annuels. 60% de cette chaleur est fournie par les énergies fossiles ; dans son rapport 2022 sur les énergies renouvelables et de récupération, la Fedene met en évidence que seulement 158 TWh (23%) sont apportés par ces moyens non émetteurs de CO₂, dont plus de la moitié par le chauffage domestique au bois.
Or, depuis quelques années, et avec une accélération depuis la guerre en Ukraine, le prix de la chaleur enregistre une augmentation significative liée à l’envolée des prix du gaz et de l’électricité. De fait, cet « impensé de la politique énergétique », comme Diane Simiu, directrice du climat, de l’efficacité énergétique et de l’air (DGEC) au ministère de la Transition énergétique, a désigné les énergies renouvelables et de récupération, revient en force.
Le dialogue sur la programmation pluriannuelle de l’énergie à l’échéance 2030 établit un nouveau panorama. Outre les énergies renouvelables et de récupération (EnR&R), l’autre maître-mot est « réseau de chaleur ». La raison tient à un constat simple : en 2022, durant les mois de crise, alors que les courbes de prix des énergies prenaient des allures d’exponentiels, dans les pays scandinaves et baltes où les réseaux de chaleur fournissent 60% de la chaleur, ce choc a été bien amorti. En France, où seulement 4% des foyers sont servis par les quelque 800 réseaux de chaleur existants, cette protection n’a évidemment pas joué. Aurélie Beauvais, déléguée générale de la structure de promotion des réseaux de chaleur et de froid Euroheat & Power (https://www.euroheat.org), souligne même que le Danemark a même enregistré 50 000 nouvelles connexions aux réseaux de chaleur en 2022.
Sobriété et décarbonation du bâtiment
Dans un pays qualifié d’électrophile et l’électro-centré, les pouvoirs publics ont opéré une remise en question évidente pour parvenir à une programmation pluriannuelle de l’énergie qui met en avant la sobriété, la décarbonation et les renouvelables. Le projet de PPE fixe pour 2030 une réduction massive de la consommation de chaleur : 555 TWh contre 708 en 2021, soit -22%. Dans le même temps, les EnR&R doivent pratiquement doubler, passant de 158 à 304 TWh, soit plus de la moitié de la chaleur consommée contre un quart actuellement.
Toutes les ressources sont appelées à participer à ce mouvement. La biomasse devrait y contribuer à hauteur de 50% (150 TWh contre environ 100 actuellement). Mais se profilent déjà des tensions sur les conflits d’usages des co-produits forestiers ; par ailleurs, il est maintenant avéré que le puits de carbone que constitue la forêt commence à montrer des fragilités depuis une dizaine d’années. En fort développement depuis la création du Fonds chaleur en 2009, ce secteur accumule des doutes.
Le défi de la décennie : passer du quart à la moitié des besoins de chaleur
On annonce vouloir tripler la géothermie profonde, doubler la géothermie superficielle - plan national géothermie oblige - quadrupler le solaire thermique et augmenter fortement la production de gaz renouvelables …
Vecteurs privilégiés, les réseaux de chaleur se voient adresser la mission ambitieuse de plus que doubler la livraison de chaleur – 73 TWh en 2030 contre 30 en 2021, soit 13% des besoins de chaleur - et de porter le taux d’énergies renouvelables et de récupération de 63% actuellement à 75% à la fin de la décennie.
Si l’ambition est perçue avec satisfaction par les professionnels, elle demande cependant de poser des infrastructures solides pour y parvenir. D’autant qu’un tel projet évoluerait au-delà de 2030 avec des volumes de chaleur de 80 à 100 TWh avec 80% d’EnR&R.
Changeons de braquet !
Les parties prenantes travaillent ce sujet depuis plus d’un an et ont résumé leurs demandes d’ajustement dans un Plan Marshall qui balaie toutes les difficultés à surmonter pour atteindre les objectifs qui devraient être fixés dans la loi. Car cette évolution présente des implications considérables, tant en termes de planification, d’ingénierie technique comme financière ou juridique, de création de modèles économiques …
En premier lieu, recenser les capacités de récupération de chaleur et couvrir les risques liés et maîtriser les échecs. En clair : si un site industriel fournit de la chaleur fatale, quel contrat une collectivité ou un exploitant va-t-il nouer avec lui et comment anticiper l’arrêt d’activité ? Les acteurs prononcent les mots « signal prix » et simplicité, soulignant leurs incertitudes.
De même, la perspective maintenant posée demandera des moyens importants pour aider et accompagner les projets. L’une des réponses a été apportée par la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher : le Fonds Chaleur devrait passer de 500 M€ en 2023 à 800 M€ en 2024.
Pour certains, cette augmentation ne servira peut-être qu’à couvrir les demandes en stand-by. Arnaud Susplugas, président-fondateur de Kyotherm, avait plus tôt demandé des aides plus généreuses et mieux ajustées, qui tiennent compte de la prévente de chaleur en plus de la faisabilité des projets. Les moyens méritent aussi d’être alignés : Hugues Defréville, président de Newheat, indique qu’en raison de l’augmentation des dépôts de dossiers d’installations solaires thermiques à l’Ademe, les délais d’instruction atteignent douze mois.
Directeur général par intérim de l’Ademe, Baptiste Perrissin-Fabert indique qu’il a bien perçu le besoin de visibilité sur le long terme. Pour supporter les projets, il oriente vers le développement de tiers-investisseurs ; il décrit aussi le travail mené aux Pays-Bas pour soutenir la biomasse dans l’industrie et invite à dupliquer l’expérience avec la chaleur fatale.
Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique :
« Donner de la visibilité et de la maîtrise aux élus pour qu’ils aient la capacité de multiplier les projets et d’entraîner la transition énergétique »
Pour les participants aux tables rondes de la Fedene, le mot-clé pour maîtriser le développement programmé est territorialisation : quels gisements pour produire quelles énergies renouvelables ou récupérées dans telle région ? En clôture, la ministre de la Transition énergétique a désigné les maires comme des « entrepreneurs des énergies renouvelables » à qui donner « de la visibilité et de la maîtrise » pour qu’ils aient la capacité de multiplier les projets.
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À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.