Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 28 Juin 2024
Durant des années, Ademe et CSTB ont argumenté en faveur d’une climatisation passive pour franchir les épisodes de grosse chaleur estivale. Basta. Aux côtés des solutions passives et douces, la climatisation, dite solution active, fait son retour dans le débat technique des experts du CSTB. Même si elle se heurte au phénomène des îlots de chaleur.
Comment préparer les résidents à supporter les « cagnards » des décennies à venir ?
Lors de sa réunion publique de fin Mai, le CSTB a fait état des programmes de recherche et développement engagés et à poursuivre pour accompagner les propriétaires, aménageurs et collectivités locales à appréhender ce sujet.
Comment gérer les îlots de chaleur urbains et la surchauffe urbaine
Anticiper l’inconfort d’été
Beaucoup a été fait lors des travaux sur la RE2020 avec la création de l’indicateur DH, pour « degré-heure ». Après la TIC proposé dans la RT2012, pour « température intérieure conventionnelle », cette coquille vide a accouché d’un concept plus trapu pour cerner à la fois le confort d’été et la consommation d’énergie que pouvait engendrer la lutte contre la surchauffe.
Depuis plus de deux ans qu’est appliqué le nouveau texte, maîtres d’ouvrage, prescripteurs et entreprises n’ignorent plus rien des solutions pour répondre aux problèmes.
Pour établir ses connaissances fondamentales, on peut toujours télécharger le « Guide RE 2020 » mis à disposition par le Cerema sur internet > Cliquez ici
Qu’il s’agisse de maisons individuelles ou du résidentiel collectif, neufs ou anciens, trois niveaux de solutions sont proposés :
- Les solutions « passives » : casquettes, ventilation traversante des logements, protections solaires, rideaux végétaux, voire aussi les vitrages à contrôle solaire ou la peinture réfléchissante sur les toits terrasses. Ça demande de la conception, parfois un peu d’entretien et ça consomme très peu d’énergie.
- Les solutions « douces » : le ventilateur plafonnier ou brasseur d’air, le puits climatique, le rafraîchissement évaporatif indirect, aussi dit « adiabatique » et, pour ceux qui l’ont installé pour se chauffer, la pompe à chaleur air-eau en mode rafraîchissement. Les coûts des équipements, de leurs consommations d’énergie et de leurs entretiens sont plus élevés.
- Les solutions « actives » : les pompes à chaleur air-air et air-eau spécifiquement dimensionnées pour de rafraîchissement.
Exploiter toutes les données disponibles
D’ores et déjà, Adrien Toesca, ingénieur de recherche au service « Bâtiment et adaptation aux changements climatiques » du CSTB, et Durca Pathmanathan, Cheffe de projet « Efficacité énergétique dans le bâtiment » au centre de R&D d’EDF des Renardières, ont structuré les premières approches pour déployer les connaissances sur ce sujet pour l’ensemble du parc construit.
Leurs équipes ont travaillé avec l’ensemble des données disponibles pour apporter, le plus rapidement possible, l’information aux décideurs de la rénovation. Pour ce faire, elles exploitent :
- La Base de Données Nationales des Bâtiments (BDNB) fondée sur les informations contenues dans les Diagnostics de Performance Energétique (DPE) couplées avec la base de données topographiques de l’IGN (Institut Géographique National).
- Ces informations sont enrichies de données manquantes, notamment une « table-pivot » offrant la possibilité de travailler sur des sources à la fois massives et hétérogènes.
- Ces informations converties en fichiers xml sont ensuite soumises au moteur de simulation thermique dynamique Cometh du CSTB afin de produire un indicateur de surchauffe.
Cartographier tous les bâtiments
Cette méthode s’applique théoriquement aux 18 millions de bâtiment en France. Plus de 180 000 simulations ont été testées.
Ce travail a déjà fourni des résultats, même si, en l’état, ils semblent relever de « l’enfoncement de portes ouvertes » : la surchauffe est plus importante dans le Gard qu’à Paris ; elle est plus intense en maison individuelle qu’en collectif ; on est plus incommodé dans les appartements des derniers étages des bâtiments ; les îlots de chaleur ont un très fort impact en ville sur les étages courants, effet « canyon » oblige …
Surtout, au cas par cas, cette méthode a pour intérêt de mettre en avant les paramètres qui impactent la surchauffe – le climat local, l’isolation du toit, la compacité de la construction, la hauteur sous plafond ... – et ceux qui la réduisent – l’inertie des parois, la « traversance » des logements permettant à une ventilation naturelle de balayer les pièces, les protections solaires …
Une première partie de la base de données mise au point par cette association de chercheurs est déjà à disposition ; des sous-indicateurs seront proposés fin Septembre prochain, et les premières informations sur les Ilots de Chaleur Urbains (ICU) seront disponibles dès la fin de cette année.
Les orateurs ont avancé les principaux arguments de cet outil. En premier lieu, ces informations permettront de discerner selon une maille fine – au bâtiment près – les logements potentiellement en surchauffe.
En deuxième lieu, il peut être rapproché des effets des différents moyens techniques pour maîtriser l’inconfort (solutions passives, douces ou actives) et d’apprécier des ratios prenant en compte les critères d’efficacité, de coût et de poids carbone.
On s’aperçoit que les solutions passives ne suffisent souvent pas à passer sous le seuil des 350 DH. Une solution douce mérite d’être rajoutée. À noter que le système évaporatif indirect (adiabatique), bien que compliqué à poser en résidentiel, est d’un niveau d’efficacité quasi équivalent à la thermodynamique.
En troisième lieu, cette méthode a surtout pour vocation de livrer tout son potentiel pour les projets où les concepteurs veulent projeter le comportement de leur ouvrage sous les conditions envisagées en 2050.
Le CSTB et EDF s’appuient sur l’avant dernier rapport du GIEC (le 5ème). Il faut garder son sang-froid quand on lit, dans la présentation des orateurs, que Nîmes (Gard) serait à cette échéance soumis à un niveau de 5 000 à 7 000 DH contre 1 250 à 1 750 DH actuellement : 4 fois plus. Sachez-le, les solutions douces ou passives ne seront d’aucune utilité. Plutôt que de choisir entre une PAC et un rafraîchissement évaporatif, ne vaudrait-il pas mieux quitter la région ?
Comment gérer les îlots de chaleur urbains
Autre gros sujet pris à bras-le-corps par le CSTB : la surchauffe urbaine et les îlots de chaleur urbains. C’est actuellement un point aveugle pour tous les décideurs et concepteurs du secteur de la construction. Seules quelques villes disposent des premiers outils élaborés.
Georgios Kyriakodis, ingénieur au CSTB, expert en simulation des microclimats urbains, a présenté l’éventail des outils d’analyses en cours. Il l’indique au début de son exposé : la moitié des effets d’îlots de chaleur peut être traité par la réflexion (albedo) et la végétation. Par ailleurs, entre un tiers et 40% du problème tient aux situations de « canyons » entre immeubles, donc à la hauteur des immeubles, à la largeur des rues, à l’orientation …
Pour cartographier les sites et proposer des simulations, les physiciens du bâtiment ont besoin d’une montagne de données pour produire un indicateur « ICU » Ilot de Chaleur Urbain) digne de ce nom pour l’ensemble du pays. Les utilisateurs seront les collectivités locales et tous les acteurs de la rénovation et de la construction des bâtiments. Il en a cité quatre.
1* Le projet Sat-4-BDNB.
Ce travail a été mené de 2022 à 2024 et avait pour objet de rassembler six sources d’informations dans une « méta-base de données nationale des bâtiments » où figureraient :
- La BDNB citée plus haut qui rassemble les données de l’IGN et celles des DPE,
- La prise en compte de l’albedo,
- Les données démographiques,
- La végétation,
- Données spatiales,
- Données météo.
La « trituration » de ces informations doit permettre de livrer un indicateur de risque « ICU » pour chaque bâtiment en France, ainsi que d’adapter la qualité des rénovations et des opérations de réhabilitations urbaines. Elle doit aussi permettre d’anticiper l’atténuation de phénomènes d’îlot de chaleur, de cadrer les coûts d’intervention et de rassurer les populations.
Cet outil est promis pour Septembre prochain !
2* L’outil Urban Weather Generator (UWG)
Il veut associer des méthodes thermodynamiques et atmosphériques pour étudier les « canyons » urbains, c’est-à-dire les rues entre immeubles. Georgios Kyriakodis explique que son principe consiste à connecter des informations météorologiques et toutes autres bases de données avec un outil de simulation thermique dynamique. L’objectif est de produire un fichier météo local, du quartier.
3* L’évolution possible de l’outil UWG
Cela peut être le projet RenOptim. Porté de 2022 à 2025, il exploite une passerelle, dite Connector, pour faire dialoguer toutes sortes de données utiles (géolocalisation, UWG, données urbaines) pour les soumettre au moteur de STD du CSTB, Cometh, et produire ainsi un maillage fin – sur une centaine de mètres de côté – des îlots de chaleur urbains.
4* L’outil de calcul de microclimat EnvieBatE
Il a des objectifs très concrets. Il doit servir à « comparer, tester et quantifier les stratégies d’atténuation des îlots de chaleur urbains en termes de confort thermique intérieur et extérieur ainsi que de consommation d’énergie pour la production de froid ». Il intègre en particulier les résultats du projet Pedobur de 2018-2020 sur l’impact des ICU sur la consommation de climatisation et, en retour, l’impact sur la température de l’air extérieur.
À ce titre, ces travaux révèlent une information contre-intuitive : les réseaux de froid urbains seraient plus consommateurs d’énergie que la climatisation spécifique d’un bâtiment, en raison des pertes de froid dans les réseaux et dans le sol. Mais le plus important est la mise en évidence d’une surconsommation de climatisation de l’ordre de 30 à 35% liée aux îlots de chaleur urbains.
EnviBatE prend aussi en compte les résultats du projet de recherche de Saint-Gobain Vitrages sur les effets des vitrages sur les consommations d’énergie et le confort thermique. Quatre types sont analysés : les rétro-réfléchissants, les réfléchissants, les conventionnels et les absorbants. Ce travail commencé en 2021 a été relancé de 2024 à 2027.
Ainsi, le CSTB indique disposer d’une palette de recherche complète sur les îlots de chaleur : de la maille « macro » avec Sat-4-BDNB, « meso » avec UWG et « micro » avec EnviBatE. Georgios Kyriakodis note aussi qu’il participe, au sein du Plan Bâtiment Durable, au groupe de travail (GT8) sur l’adaptation au changement climatique.
L’objectif, précise-t-il, est d’inclure le sujet de l’îlot de chaleur urbain dans la future réglementation sur les constructions.
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.
L'Ademe précise son point de vue sur la climatisation : https://librairie.ademe.fr/7350-avis-de-l-ademe-vagues-de-chaleur-la-climatisation-va-t-elle-devenir-indispensable-.html