Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 16 Juillet 2024
Le bâtiment est-il si bas qu’il ne peut que remonter ? La question se pose alors que les derniers chiffres de l’activité ont été présentés par l’Insee et la FFB.
Désabusée, ce début Juillet, la Fédération Française du Bâtiment en vient à sortir un calembour d’un humour noir pour exprimer son opinion générale sur les activités qu’elle représente : « Dix solutions du bâtiment ».
Il faut rassembler l’énergie du désespoir pour ouvrir une conférence de presse trimestrielle avec un titre pareil. Qu’on leur serve un coup à boire, les anxiolytiques seront visiblement inefficaces …
250 000 logements neufs fin 2024
À leur décharge, c’est vrai que traverser une période de presque deux ans marquée par une franche dégringolade et pratiquement sans voie de sortie ne porte pas à l’optimisme béat. Les chiffres à fin Mai indiquent une baisse annuelle des mises en chantier de logements de 21,5% et un état des dépôts de permis de construire de -15,5%. La FFB projette 250 000 à 260 000 mises en chantier de logements fin 2024.
Un temps vu comme une planche de salut, le non-résidentiel neuf (bureaux, commerces, hôtels, industrie, agriculture, …) fait aussi partie de la cohorte des déshérités : toujours sur un an, les surfaces en construction reculent de 8%, et les projets de -6,2% ; à la lecture des autorisations sur les 3 à 5 derniers mois, une amélioration est attendue en constructions de bâtiments agricoles et de bâtiments administratifs, mais pas de quoi renverser la situation.
La rénovation énergétique à l’arrêt
Par ailleurs, les possibilités de relever l’activité globale avec les chantiers d’amélioration-entretien – qui intègrent la rénovation énergétique de l’existant – ont, elles aussi, pratiquement disparues.
L’évolution de l’activité est passée de 3% au 3ème trimestre 2023 à environ 1,75% au 1er trimestre 2024. De plus, la cacophonie du début d’année autour des nouvelles mesures de MaPrimRénov a concrètement fait fuir le chaland : le nombre de dossiers parvenu à l’Anah a chuté de 80%. On aurait voulu torpiller le dispositif qu’on ne s’y serait pas mieux pris, a laissé entendre Olivier Salleron, Président de la FFB, pendant la conférence de presse.
Téléchargez la note de conjoncture complète FFB de début Juillet 2024
Les dix solutions pour relever le bâtiment
Ainsi, parmi les « dix solutions » proposées par l’organisation professionnelle pour relever le défi rencontré – baisse d’emplois, augmentation des défaillances, …, figurent :
- Le rétablissement d’un prêt à taux zéro universel, c’est à dire sans distinction de situation de tension sur le secteur du logement.
- Un soutien à l’investissement locatif.
- Une reprise du dossier « ZAN », la stabilisation du MaPrimeRénov « durant trois ans », l’arrêt de la surenchère réglementaire, …
Des doutes sur le « zéro carbone » en 2030
Ce dernier point fait référence aux effets bien perçus sur les chantiers de l’application de la RE2020 depuis 2022. Arrivés dans la foulée de la crise sanitaire et de l’inflation sur les matières premières, cette nouvelle réglementation sur les constructions neuves a impacté les projets de nouvelles mesures plus coûteuses – bâtis et isolations renforcées, quasi-obligation de s’équiper d’une pompe à chaleur en lieu et place d’une chaudière, …, s’est de fait trouvé confronté à un double levier d’inflation.
Ce qui fait dire à Olivier Salleron que les évolutions techniques et normatives qui seront demandées en 2025 ou 2028 ne pourront pas être absorbées par un marché déjà fragilisé.
Quant à l’application en France des ambitions européennes d’appliquer un niveau zéro carbone en 2030 – c’est le sens de la directive sur la performance énergétique des constructions, le Président de la FFB exprime ses « doutes ». Il dit soutenir les technologies tels que le BIM (Building Information Modeling, gestion informatique des chantiers), l’intelligence artificielle, … « Si on va trop vite, on échoue. C’est le cas actuellement avec le hors site sur lequel les entreprises reviennent en arrière ; il n’y a pas de marché, ce n’est pas suffisamment organisé ... ».
Quelle croissance en 2024 ?
Pour leur part, les statisticiens de l’Insee affichent plus d’optimisme. Leurs chiffres arrêtés début Juin, donc avant la décision de dissolution de l’Assemblée nationale, leur font dire que la croissance devrait être légèrement supérieure à 1% en fin d’année, avec une inflation maintenue autour de 2%, une amélioration globale des salaires – sans pour autant compenser les pertes des deux dernières années – et du pouvoir d’achat.
L’embellie tiendrait aussi selon eux à un « effet JO » qui apporterait 0,3% de croissance.
Côté investissements, les entreprises ne manifestent visiblement pas d’envie d’ambitions de constriction – ce que la FFB mesure aussi. Cependant, selon l’Insee, les ménages montreraient un arrêt de la baisse de leurs investissements, phénomène notable depuis le début de l’année 2021. L’Institut constaterait aussi l’arrêt de la baisse des mises en chantier depuis début 2022 ; elle prévoit même une franche reprise en 2024.
Par ailleurs, la part des ménages ayant l’intention d’acheter un logement dans l’année semble ne plus baisser et se stabilise en 7 et 8 pour 1 000. Il était de 10 en 2021.
Pour autant, cette prévision est fragile. Le mois de débats politiques et l’incertitude qui en ressort plombe lourdement l’avis préparé avant les Européennes mais retenus jusqu’à l’issue des Législatives. Certains économistes doutent même de l’effet JO sur la croissance.
Pour la FFB, la séquence catastrophique en matière de politique du bâtiment en début d’année et celle des élections ont gâché l’année en cours et certainement hypothéqué l’année à venir. Pour voir plus clair et parler plus positivement, on se projette volontiers en 2026 ou 2027.
Documents et références
Du PIB, des jeux, des inconnues, note de conjoncture de l’Insee du 9 Juillet 2024
Le diaporama de la présentation de la note de conjoncture de l’Insee
Le diaporama de la conférence de presse de la FFB
Le discours d’Olivier Salleron, Président de la FFB
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.