La construction hors-site : une opportunité pour le bâtiment ?

Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 21 Octobre 2020



Phénomène majeur de la dernière décennie, la construction hors-site montre déjà ses capacités. Aux moyens industriels existants s’ajoutent l’intérêt qu’y portent désormais architectes, bureaux d’études et promoteurs. Sans compter que cette méthode s’accorde parfaitement à la démarche « BIM to Fab », en français, du plan à la production. Par ailleurs, elle a démontré son potentiel durant le confinement du printemps dernier : les équipes ont pu travailler en atelier, et les modules étaient prêts à monter dès le déconfinement.
Le 9 Octobre, BTP Consultants a tenu un webinaire où quelques acteurs majeurs ont fait valoir leurs arguments.


construction bâtiment

- Parois préfabriquées hors-site -


La France est-elle réticente au hors-site ?

L’organisation de la filière est source de résistance, mais cette solution commence à s’imposer. D’ores et déjà, il faut souligner que le hors-site est présent dans le panorama des solutions constructives et de nombreuses entreprises, notamment celles qui ne produisaient que du bâtiment provisoire, s’y intéressent. Il faut citer Ossabois, Cougnaud Construction, Algeco, …

Depuis une dizaine d’années, ce process de production de bâtiment à partir de modules – en industrie, on appellerait cela des « sous-ensembles » …  séduit à travers la planète. On l’applique quasi systématiquement dans les grandes conurbations du sud-est asiatique ; d’énormes usines, du type de celle de Katerra, se sont développées aux États-Unis pour produire des maisons individuelles ; on le sait moins, le constructeur automobile japonais Toyota exploite cette technique en appliquant ses méthodes industrielles dans sa société Toyota Homes ; une autre société japonaise, Sekusi Heim, a construit 2,5 millions de maisons depuis 1960 ; elle garantirait 65 ans ses 13 000 constructions annuelles !


montage module

- Usine hors-site de panneaux CLT – Source Katerra USA -


En Europe, la construction modulaire est appliquée aux Pays-Bas et le Royaume-Uni en a fait un cheval de bataille pour les dix ans à venir – le rapport de Cast Consultancy rédigé par Mark Farmer en 2016 souligne l’urgence du sujet d’un slogan choc « Modernise or die » (1).

En France, ce secteur est déjà présent dans le panorama. Lors du dernier salon Batimat, le hors-site occupait un espace de 1 000 m² d’exposition, et les prises de parole ont marqué les esprits. Plus concrètement, les majors de la construction commencent à s’y intéresser. Bouygues Bâtiment Sud-Est s’est associé au précurseur Ossabois pour produire le collège Revaison (750 élèves) de Saint-Priest pour le Grand Lyon (2). D’une superficie de 7 600 m², cet établissement est constitué de 100 modules ; leur montage a pris un an. En région parisienne, Solideo, la société chargée de la livraison des bâtiments pour les jeux olympiques de 2024, verra fin de cette année la réception d’un ouvrage de 240 appartements en solution modulaire réalisés avec Cougnaud Construction ; le chantier de montage a duré seulement onze mois. Autre exemple : dans la station savoyarde du Corbier située à 1 500 m d’altitude, l’aménageur Maulin Ski sera livré avant Noël 2020 d’une résidence hôtelière de 102 logements sur huit niveaux composée de 300 modules en structure bois sur un rez-de-chaussée béton. Le projet conçu par Hubert Architecture et construit par Barel Pelletier et Ossabois a demandé huit semaines de montage. « La construction traditionnelle a bloqué l’évolution du bâtiment, commente Michel Veillon, directeur général d’Ossabois. Les ouvrages hors site permettent une démontabilité, le recyclage en fin de vie, la revalorisation des sites, le déplacement des ouvrages … »


Industrialiser le bâtiment dès l’amont


assemblage construction

- Construction hors-site d’un collège – Source Cougnaud Construction -


Pour autant, l’enthousiasme n’est encore guère fulgurant dans l’hexagone. Les raisons, selon Pascal Chazal, PDG du groupe de conseil et d’information Hors-Site, tiennent particulièrement à la prééminence du béton prêt à l’emploi dans la construction, ainsi qu’à l’organisation technique, administrative et juridique des chantiers.
À ce sujet, le hors-site bouscule la gestion classique des projets en introduisant la notion anglo-saxonne de DFMA, « design for manufacturing and assembly » que l’on traduit par conception pour la fabrication et l’assemblage. Au lieu d’apparaître en fin de parcours de décision comme un choix de l’entreprise adjudicataire du lot, ce concept entre dans le projet dès l’esquisse. L’industriel fournisseur de la solution se retrouve alors associé à l’architecte. Selon Pascal Chazal, les termes d’industrialisation et de standardisation seraient encore assimilés à de « gros mots » totalement connotés par la période de construction de l’après-guerre.

Pour quels avantages faudrait-il retenir cette solution ? Il faut avouer que le hors site promet monts et merveilles. La création de modules en atelier et leur approvisionnement sur chantier auraient ainsi pour bénéfice de réduire les coûts et les délais de construction, d’abattre les émissions de CO2, de créer des emplois industriels,…, ce dans des proportions importantes. À cela, il faut ajouter des raisons plus prosaïques : dans sa forme classique, le bâtiment peine à améliorer sa productivité et sa qualité ; confrontés au renforcement des standards de construction, il se renchérit ; et pour boucler le tout, la pénurie de main d’œuvre qualifiée est récurrente et paraît ingérable. Pascal Chazal estime que la baisse cumulée de la productivité dans la construction a été de 19% depuis 2001. Par ailleurs, s’il y a quarante ans, deux tiers de la construction était consacré au gros œuvre et un tiers à l’architecture et à la technique. Aujourd’hui, ces proportions se sont inversées. Le hors-site se place donc en recours en revendiquant de cocher toutes les cases.


Un outil technologique parmi d’autres

Responsable de l’agence Coste Architectures, Emmanuel Coste valide ce point de vue. Ce maître d’œuvre figure parmi les innovateurs qui tout au long de leurs parcours ont engrangé les évolutions technologiques, du bâtiment à énergie positive au BIM (3). À l’occasion de ce webinaire, cet architecte a présenté plusieurs exemples d’intégration du hors-site dans l’éventail de ses solutions technologiques, au même titre que la maquette numérique ou le béton imprimé en 3D. Pour les maisons ViliaPrint conçues pour le promoteur et bailleur rémois Plurial Novilia (groupe Action Logement), il associe un module hors-site pour les pièces techniques – cuisine et sanitaires –, et des murs imprimés en 3D pour fermer les chambres et le salon, le tout couvert par un élément préfabriqué en structure bois. Autre exemple pour l’hôtel cinq étoiles Salines, à Saint-Paul de la Réunion : huit modules ont été mis au point pour répondre à tous les cas de figure de suites. Ce qui lui fait dire que le modulaire ou le hors-site n’est pas synonyme de bas de gamme. Bien au contraire : « Il n’y a pas de limites architecturales avec le hors-site », indique-t-il avant d’ajouter : « Par sa grande fiabilité de construction, il permet d’atteindre les objectifs de performance promis. »

Dernier exemple présenté, le concept de centres nautiques Eaulistic. Constitués par modules, du bassin de nage aux locaux tertiaires, il permet de réduire les investissements de 30 à 50%, les délais de construction, de 50% et les coûts d’exploitation, de 20%.
Si la créativité et l’économie du chantier y gagnent, en revanche le hors-site se heurte à une difficulté de taille que sont les règles de la loi MOP (maîtrise d’œuvre publique), rappelle dans sa conclusion Emmanuel Coste.


Gain de délai et exploitation optimale des matériaux


bâtiment module

- Usine de finition construction hors-site – Source Bouygues Construction -


Michel Veillon, directeur général d’Ossabois, livre une vision plutôt dynamique du hors site. Initialement, l’entreprise qu’il dirige œuvrait essentiellement pour la maison à ossature bois. Après avoir développé la préfabrication au milieu des années 2000, l’activité est depuis 2010 majoritairement (60 à 80%) orientée vers le hors-site ; il entrevoit une activité de l’entreprise consacrée à 90% à ce type de solution.

Michel Veillon explique rationnellement ce franchissement d’étapes. Remplacer le béton par le bois en structure ne suffit pas pour améliorer les délais sur chantier, fait-il entendre. De plus, pour répondre aux contraintes d’isolation thermique et acoustique, de protection incendie, …, il est nécessaire de recourir aux solutions classiques dites « à haut carbone » : plaque de plâtre, béton, laines minérales,… Pour s’orienter plus radicalement vers le « bas carbone », le hors site paraît clairement plus indiquée : il permet d’exploiter pleinement les solutions de « filière sèche » et « bas carbone » pour produire des modules « à haute valeur ajoutée ». Michel Veillon déroule la liste des avantages : les bâtiments sont évolutifs – d’un usage résidentiel à celui de bureaux – et démontables ; les livraisons par camions seraient réduites à une semi-remorque pour deux modules ; le travail en atelier assure l’organisation et le tri de la mise en déchetterie des chutes de métal, bois, PVC, carton, … ; le montage des modules à l’abri des intempéries permet de respecter les conditions de travail, la sécurité, la parité, la qualité. À ce titre, il prend l’exemple de la période de confinement ce printemps : les procédures sanitaires étant plus simples à appliquer sous un hall que sur un chantier, l’arrêt d’activité a été limité à un mois.

Avant de présenter trois références récentes, Christophe Cougnaud, directeur général de l’entreprise Cougnaud Construction, met en avant les avantages perçus du hors site. En tête des arguments figurent le gain de productivité, la pérennisation de la main d’œuvre et le meilleur bilan carbone de la construction, l’exploitation des solutions constructives en filière sèche, le choix de matériaux biosourcés, la réduction des délais et des nuisances sur chantier … Cet industriel, classé parmi les leaders du hors site en France, en cite d’autres : la mise en place d’un management d’équipes (le lean managment) plus adapté à l’atelier qu’au chantier, le contrôle qualité à chaque étape de la production, le travail en mode BIM de l’avant-projet à la réception du bâtiment, avec, cerise sur le gâteau, la possibilité de lier la maquette numérique et les outils de gestion technique de bâtiment pour effectuer la gestion la plus fine possible de la conduite des équipements de l’ouvrage en exploitation et en maintenance.

Trois références étayent ses arguments.
La première est l’Immeuble Campus produit en 2018 dans le cadre de l’expérimentation RE 2020. de 5000 m² de surface utile, d’un niveau E3C1 (Énergie 3, Carbone 1) au regard des critères de la préfiguration E+C-, cet ouvrage couvert de 500 m² de capteurs photovoltaïques présente des caractéristiques enviables : un bilan bioclimatique 40% inférieur à celui demandé par la réglementation thermique 2012, une consommation en énergie primaire inférieure de 80% et une étanchéité à l’air de 0,7%. À cela s’ajoute un délai de construction de huit mois, hors-site oblige.

Deuxième exemple : les 240 logements (6 500 m²) qui seront livrés fin Novembre 2020 à Solidéo, Société de livraison des ouvrages olympiques, après seulement 11 mois de chantier ; cet ouvrage R+4 est conçu démontable après l’événement sportif phare de 2024.

Troisième exemple : a été présenté tout récemment. Il s’agit du Rea-Mod, un module de 30 chambres de réanimation de 1 600 m² mis au point par Cougnaud Construction avec plusieurs partenaires : l’assistant à maîtrise d’ouvrage A2MO, le cabinet TLR architecture, l’entreprise de génie climatique Hervé Thermique, et l’industriel suédois spécialisé en équipements médicaux Getinge. Le constructeur vendéen répondait à un appel à manifestation d’intérêt pour des unités de réanimation mobiles lancé au printemps dernier par les directeurs de CHU, l’association des Ingénieurs hospitaliers de France (IHF), les Hospices Civils de Lyon et la coopérative d’achat des hôpitaux UniHA. Ces structures conformes aux standards hospitaliers (en particulier d’une étanchéité à l’air ISO 8) doivent répondre à l’afflux de malades du Covid-19. Ce bâtiment hors-site d’urgence demande un délai total de quatre mois et est transférable d’un parking d’hôpital à un autre.


Une réglementation inadaptée au hors-site

Elia Abou Chaaya, directeur de l’activité « Hors site » de BTP Consultants souligne le point le plus délicat quant au hors-site : la loi Spinetta du 4 Janvier 1978 relative à l’assurance construction. Si, il y a quarante ans, ce texte de loi a fait progresser le droit en matière de responsabilité de dommages, il est, selon lui, bien adapté à un projet de construction, mais incompatible avec les produits de construction que sont les ouvrages hors-site. Il mesure cet écart dans son travail de contrôleur technique.

Ainsi, il cite les huit points de contrôles techniques des chantiers de constructions classiques :
1- la vérification de la faisabilité technique et réglementaire ;
2- la définition des exigences en matière d’assurance qualité ;
3- l’analyse des solutions industrielles ;
4- la détection des techniques non traditionnelles et la validation de la stratégie de justification (ATEX, avis de chantier, enquête de techniques nouvelles, etc, ...) ;
5- la vérification du dimensionnement définitif de l’ouvrage ;
6- la validation des étapes classiques de la conception ;
7- la vérification des fondations, leur adaptation au sol ;
8- la vérification de la performance thermique et acoustique, leur adaptation à l’environnement.

Pour Elia Abou Chaaya, en hors-site, on pourrait s’affranchir des quatre premiers points abordés puisqu’ils font spécifiquement partie de la démarche de conception du module industrialisé. À ce titre, dans le cadre d’une maîtrise d’œuvre publique, il suggère que l’industriel soit présent au sein de l’équipe de conception. En outre, il formule quelques propositions d’adaptation de la mission de contrôle technique au hors-site.

Ainsi, de la loi Spinetta, il retient des visites de chantier quatre points de contrôles spécifiques :
- les fondations ;
- la pose du premier rang de modules ;
- la finition du second œuvre ;
- la vérification des essais finaux.

Il y ajouterait, en phase de réalisation du chantier :
- une mission complémentaire pour formuler un avis technique sur les conditions de transport, de stockage et de levage des modules ;
- des visites en usine pour produire des avis sur les produits fabriqués, un audit du process industriel et de contrôle qualité – voire un autocontrôle – ainsi qu’un contrôle externe de la réalisation.

Enfin, la coordination SPS (santé, protection, sécurité) mériterait aussi d’être revue. Elia Abou Chaaya estime en particulier que le risque est réduit sur chantier et que l’action doit s’orienter vers l’examen de la bonne adaptation des moyens de levage et l’environnement : les protections contre les chutes de hauteurs, l’adaptation de la parcelle à la logistique : livraison, stockage, mouvement des moyens de levage, interventions ultérieures sur le bâtiment, ...


Du changement technique à l’évolution réglementaire


habitat conteneur construction

- Conception de maisons container – Source Excity -


De son poste d’observation, Elia Abou Chaaya entrevoit les changements notables auxquels le secteur de la construction sera soumis. En premier lieu, le Code de la Construction mais aussi des normes comme le DTU 34,1 sur les façades à ossature bois … De même, le métier de contrôleur devrait muter vers ceux d’acteur et de conseiller de ce nouveau mode de construction.

Si tous les ingrédients sont réunis, le marché n'en est en France qu'aux balbutiements, reconnaissent les intervenants de cette tribune digitale. Les parts de marchés sont encore faibles, et on devrait atteindre 20% de l’activité mondiale de la construction dans les années 30. Le cas de la France serait d’ailleurs le plus délicat : le marché fait majoritairement le choix du béton coulé en place. Les orateurs reconnaissent même que les acteurs de cette technologie sont très bons. Il va encore falloir convaincre.
 

  1. Le rapport est disponible sur le site de Cast Consultancy à l’adresse :   Lien
  2. Ossabois - Début des travaux du Collège Revaison à Saint Priest (69) :  Lien
  3. L’Agence Coste a reçu le premier BIM d’Or remis par Le Moniteur en 2014 ; ce cabinet est aussi fondateur de C2BIM, site internet dédié à la formation et au recrutement de spécialistes du BIM.
  4. Retrouvez ce webinaire :  Lien




Commentaires

  • JOSEPH
    0
    29/10/2020

    Je suis persuadé de l'avenir de tout module fabriqué en usine pour son cout , sa vitesse de fabrication, le prix de revient.
    C'est une technologie qui est comme au début du transport a cheval a celui d'aujourd'hui en camion .
    Je suis moi-même a la recherche de modules pour faire des box de stockage 6m de profondeur sur 4m de large et qui seront dos a dos ,donc une porte de rentré de chaque coté.

    Avez vous quelque chose a me proposer ?

    • Bernard
      1
      30/10/2020

      Bonjour,
      Merci pour votre retour.
      Pour répondre à votre besoin particulier, vous trouverez dans l'article quelques pistes de contacts possibles, et vous en trouverez d'autres sur le site https://hors-site.com (désolé pour la répétition...) dans sa rubrique "Actualités".
      Bernard Reinteau


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