Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 17 Juillet 2019
Depuis le milieu des années 70, les réglementations thermiques focalisent essentiellement sur le confort d’hiver. Lors du congrès annuel Bâti'Frais qui s’est tenu début juillet à Marseille, les exposés ont montré que le réchauffement climatique et les canicules répétées bouleversaient la donne. Faudra-t-il construire pour l’été ?
« Les millennials ne veulent plus d’un monde avec des bâtiments malsains. Il faut préparer le passage à demain » C’est ainsi que Fabrice Alimi, président du Club de l’Immobilier de Marseille-Provence, a interpellé les quelques 300 participants de l’édition 2019 du congrès Bâti'Frais qui s’est tenu le 4 juillet à Marseille.
Le mot d’ordre de cette manifestation était bel et bien : comment construire pour supporter les périodes de canicule ? Au cœur de la réponse, l’arbre et le végétal règnent en maîtres. L’ingénieur forestier Ernst Zürcher, professeur en sciences du bois à Berne et aux Écoles polytechniques de Lauzanne et Zurich, a décrit par le menu le fonctionnement des arbres et des forêts. Quelles leçons tire-t-il de ses observations et études ? En premier, partout où le sol s’y prête, l’arbre s’y installe. En second, l’arbre agit tel un cœur climatique en protégeant la terre. Enfin, où qu’il soit, il régule sa croissance selon les apports d’eau.
Qu’apporte l’arbre en ville ? Par évapotranspiration, il amortit les phénomènes d’îlot de chaleur ; en termes de qualité de vie, il produit ce que Ernst Zürcher appelle « une démultiplication de l’espace. »
Le projet de ville nouvelle Liuzhou Forest City par le cabinet d’architecture milanais Stefano Boeri
(Photo Stefano Boeri - Architetti)
De la tour-forêt à la ville-forêt
Depuis quelques années, le cabinet d’architecture milanais Stefano Boeri s’est fait une réputation mondiale autour de l’utilisation de l’arbre et de la forêt dans ses constructions. Anastasia Kucherova, architecte au sein de ce cabinet, est venue présenter les ouvrages produits à travers le monde d’après la conception d’immeubles-forêts. Parti d’un projet à Milan en 2007, ce mode de construction qui intègre d’imposants bacs à arbres en porte-à-faux en bout de dalle, jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de haut, paraît sans limite.
Après les tours aux Pays-Bas ou en région parisienne (un projet est en cours au pied de la future gare de métro de Bry, Villiers, Champigny), les architectes ont imaginé les nouveaux quartiers de Tirana, en Albanie, ainsi que les futures villes-forêts chinoises de Liuzhou et de Shijiazhuang, de près de 75 000 habitants. Ces architectes avaient d’ailleurs eu l’occasion de présenter leurs projets lors de la COP 21, à Paris, fin 2015.
Naturellement – si l’on peut dire –, ces constructions sont d’aussi importants tours de force que ne l’étaient les gratte-ciel au début du 20e siècle. Car ces constructions obligent à repenser entièrement les bâtiments et la ville au regard de l’environnement – absorption du carbone, production d’oxygène, évapotranspiration …– comme de l’organisation urbaine – transport, énergie … – et la maintenance des bâtiments. Comment tailler un arbre, un vrai, à 50 m de haut ? Comment lui apporter eau et nutriment ? Il en allait de même lorsque les immeubles de grandes hauteurs ont révolutionné la gestion du bâti après des années de construction extensive des villes.
Entre vernaculaire et innovation
Ces projets basent leurs savoir-faire sur les constructions traditionnelles. Les scientifiques Francisco Caceres Clavero et Juan José Guerrero Alvarez ont présenté leur analyse approfondie de la ville andalouse de Cordoue, et notamment du fonctionnement des patios arborés et parcourus de fontaines.
Grâce à l’évapotranspiration des végétaux et la chaleur latente de vaporisation de l’eau – c’est à dire l’énergie absorbée par le passage de l’eau de l’état liquide à celui de vapeur –, l’intérieur des patios des résidences en centre-ville peut ainsi être maintenu environ 14°C en dessous de la température extérieure des bâtiments. Même si cette stratégie est sensible au mouvement d’air, elle demeure efficace.
Est-il possible de transférer ces solutions déjà imaginées depuis des siècles dans des constructions modernes ? En réalisant son nouveau siège social de 600 m² baptisé LowCal à Pont de Barret (Drôme) – comme basse consommation d’énergie pour cet ouvrage E4C2 –, ces ingénieurs thermiciens ont mis en œuvre la palette quasi-complète des matériaux écologiques locaux : structure bois, paille, balle de riz, ouate de cellulose, chanvre et béton de chanvre, chaux, terre crue …
L’énergie grise mise en œuvre est très faible. Le tout est sans chauffage et sans climatisation. Seul le plancher du sous-sol est traité avec du matériau non biosourcé : 24 cm de polystyrène extrudé. Les menuiseries triple vitrage totalisent 17% de la surface construite, sans grandes baies ; 44% sont orientées au sud, protégées de brise-soleil orientables. La ventilation est assurée par des unités double-flux décentralisées, préférées à une unité centralisée moins performante en raison de la perte de rendement par le réseau de gaines.
Pour Thierry Rieser, gérant de ce bureau d’études désormais organisé en coopérative, le bilan de ces choix techniques est validé par les premiers mois d’occupation. La moitié du temps de l’année, la température ne dépasse jamais les 25°C ; durant la canicule de fin juin dernier, le thermomètre à tout juste atteint les 28,5°C.
En clair, cette structure minérale et très isolée assure l’inertie thermique. « Pour parvenir à ce résultat, la simulation thermique dynamique est indispensable », indique-t-il. Le défi a cependant consisté à prendre en compte la terre crue dans ce calcul, ce qui n’avait pas encore été réalisé. Cet ouvrage en contient 30 t. Il souligne par ailleurs que selon l’évolution de l’humidité relative, ce matériau impact fortement sur l’ambiance : en été, la terre crue rejette un poids d’eau important dans l’air, ce qui contribue à « chauffer » le bâtiment ; inversement, l’hiver, en conservant cette humidité, elle le rafraîchit.
Autre mise en évidence par cette réalisation et ce calcul : l’inertie du bâtiment est quasi uniquement assurée par la présence de béton et de terre crue en dalles ; les parois verticales ont, dans ce cas de figure particulier, un impact négligeable.
Lien recommandé : www.batifrais.eu
À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.
Merci pour cet article .
De mon côté j ai essayé de mettre ça en BD :
Canicule et confort d'été | Ordre des architectes
https://www.architectes.org/canicule-et-confort-d-ete
Bien à vous