Par Bernard REINTEAU, journaliste spécialisé le 10 Juin 2024
L’horizon des 42,5%, voire 45% d’énergie consommée d’origine renouvelable en Europe en 2030, demandée par le plan « Fit for 55 » et soutenue par la directive RED III de 2023, est-il vraiment envisageable ?
Le niveau d’avancement des différentes technologies est très hétérogène, selon le rapport 2022 d’EurObservER, mais les EnR progressent à grands pas.
Ce baromètre réalisé par Observ’ER dans le cadre du projet EurObserv’ER regroupant Observ’ER (FR), TNO (NL), Renac (DE), Fraunhofer ISI (DE), Vito (BE) et Statistics Netherlands (NL)
Quel est le bilan européen du développement des énergies renouvelables ?
La question est importante au regard des plans verts européens de plus en plus exigeants. Au pacte vert de 2019 s’est concrétisé à travers la directive sur l’efficacité énergétique de Juillet 2021 dite « Fit for 55 » demande de réduire de 55% les émissions de CO2 d’ici 2030. En Mars 2023, la version 3 de la directive sur les énergies renouvelables, dite RED III, pose l’objectif « d’au moins 42,5% » d’EnR dans la consommation finale brute d’énergie pour les 27 pays européens – avec une incitation à atteindre 45% pour être en cohérence avec le plan REPowerEU, de 2022, de réduction de la dépendance aux énergies fossiles.
Si la pression concentrée sur le sujet est forte, ces objectifs sont-ils tenables ?
Le rapport global 2023 de l’association Observ’ER est paru il y a quelques semaines et livre une somme considérable d’informations sur ce secteur d’activité (marché, emploi, financement, ...). De quoi faire le point sur ces questions.
À noter que des baromètres thématiques contenant des données plus récentes sont diffusés de Mars à Décembre de cette année.
Il faut noter que ce bilan contient une étude détaillée sur l’intégration des énergies renouvelables dans le parc de bâtiments et l’infrastructure urbaine. Y figure aussi des développements sur l’autoconsommation d’électricité et sur l’état des investissements.
Des situations très hétérogènes
« Les énergies renouvelables couvrent 23% de la consommation finale brute d’énergie dans l’Union 27 pays européens en 2022. Le rythme doit fortement s’accélérer pour atteindre le nouvel objectif de 42,5% fixé par la RED III [directive européenne de 2023 sur les énergies renouvelables, version n°3 d’ici à la fin de 2030. » C’est l’une des informations centrales de ce rapport. S’il reste du chemin, l’effort pratiqué permet certainement de vaincre l’inertie : ce taux était inférieur à 10% il y a une quinzaine d’année.
En tête des pays européens figurent ceux du nord de l’Europe, particulièrement la Suède et ses 66% de couverture énergétique par des EnR (hydroélectricité et biomasse). La France est en 15e position parmi les 27 pays européens, avec 20,3% de couverture EnR (+1% versus 2021).
En détail, « la part des énergies renouvelables dans la consommation brute d’électricité a atteint 41,2% en 2022. » Soit 1 084,2 TWh, dont 39% par l’éolien, 25% par l’hydraulique, 20% par le photovoltaïque et 15,5% par la biomasse. À noter que sur les 53,5 GW d’équipements de production d’électricité nouvellement connectés en 2022, 94% répondent au classement des renouvelables et 6% sont des installations fonctionnant au gaz.
Par ailleurs, « la part des énergies renouvelables dans la consommation de chaleur et de froid était de 24,8%. » Sur les 111,8 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) produits, 72,8% ont été fournis par de la biomasse solide (le bois sous toutes ses formes combustibles), 15% par des pompes à chaleur et le solde par le biogaz (4%), les déchets municipaux, le solaire thermique (2,4%).
L’intérêt de l’étude sectoriel menée par EurObserv’ER est d’établir une projection de l’évolution de chacun d’eux à l’horizon 2030. Les auteurs reconnaissent que le risque d’erreur est important, mais cette audace a le grand mérite d’aider à la vision à moyen terme.
Des secteurs promis à une forte croissance
Source : Rapport Etat des énergies renouvelables en Europe – Edition 2023 – Source Observ’ER
Pour ce qui concerne les investissements, la plus grande part porte sur l’éolien
Tous les pays affichent un développement conséquent de leur parc. L’Allemagne figure largement en tête avec 66,2 GW (dont 12% offshore) sur les 203,5 installés fin 2022 – un tiers du parc. La France n’en disposait que de 20,8 GW à la même date. Le point particulier de l’évolution de ce secteur est l’offshore – le rapport note que l’accélération s’est maintenue en 2023 – avec la mise à disposition par les industriels de turbines de très grandes puissances – 15 à 20 MW par unité – et capables de supporter des vents violents.
Pour autant, au regard des engagements pris, Observ’ER indique que le secteur devrait franchir une marche importante : la projection conduit à un parc de 427,3 GW à cette échéance, soit plus de deux fois celui de fin 2022.
Deuxième secteur très dynamique : le photovoltaïque
Au cours de l’année étudiée, le parc européen installé a fait un bond considérable de 25% : 203 GW en 2022 contre 162 en 2021. Les pays moteurs sont l’Espagne (+10 GW), l’Allemagne (+7 GW), les Pays-Bas (+5 GW), la Pologne (+4,5 GW), la France (+2,7 GW).
L’Allemagne totalise une puissance installée de 67,5 GW largement devant l’Italie (24,5 GW) et l’Espagne (23,3 GW). La puissance produite par ces champs de capteurs, à la faveur de cette croissance des installations et de l’ensoleillement, a aussi connu une forte évolution : +29%, 205,7 TWh en 2022 contre 159,1 en 2021.
Source : Rapport Etat des énergies renouvelables en Europe – Edition 2023 – Source Observ’ER
Dans ce cas aussi, Observ’ER entrevoit un fort développement pour 2030 : 600 GW installés, soit trois fois plus qu’en 2022.
Les leaders devraient se démener : l’Allemagne prévoit de passer au rythme de 22 GW par an pour atteindre un parc de 215 GW en 2030 (soit plus que le parc européen actuel) et 400 GW en 2040.
L’Espagne a revu ses objectifs pour 2030 : 76 GW contre 39 dans son précédent plan. Même chose pour la France qui a revu son objectif à 54-60 GW contre 35-44 dans ses objectifs pour 2028.
PAC : doubler la production d’énergie d’ici 2030
Source : Rapport Etat des énergies renouvelables en Europe – Edition 2023 – Source Observ’ER
Les données les plus discutées seront certainement celles relatives aux pompes à chaleur. On sait qu’en 2023, et même en ce début d’année, fournisseurs et installateurs ont assisté à un retournement. Est-ce conjoncturel ou durable ?
Selon EurObserv’ER, le parc de pompes à chaleur d’ores et déjà installées dans les 27 pays de l’Union européenne serait 50,8 millions d’unités. Les auteurs soulignent qu’il s’agit bien d’une estimation plutôt difficile à cerner. Pour autant, ils tentent le triple salto arrière de la distinction entre aérothermie – 48,8 millions, air-air et air-eau confondues – et géothermiques – 1,9 millions. La Suède compterait 560 000 PAC géothermiques, l’Allemagne 450 000, la France 170 000, la Finlande 157 000.
Pour ce qui est du marché annuel, il est marqué par une évolution radicale entre 2021 et 2022, notamment sur le segment des PAC air-eau.
En 2021, la France s’est distinguée par plus de 267 000 ventes, devant l’Allemagne avec 150 000 unités. À noter que le marché des PAC air-air est nul en Allemagne.
En revanche, en 2022, le marché des air-eau a connu un magistral coup de fouet : 1,458 millions d’unités vendues dans toute l’UE contre 843 000 un an plus tôt : +73% ! La France garde la tête de ce marché avec 346 300 unités, suivie de l’Italie avec 289 000, de l’Allemagne avec 205 700 et la Pologne avec 188 000.
À la faveur des engagements politiques pour des équipements dits décarbonés, et avec l’appui des réglementations sur les constructions neuves ou à rénover qui contraignent à l’abandon des énergies fossiles, ce marché est promis à un riche avenir. Selon EuroObserv’ER estime, en 2022, à 16,5 Mtep l’énergie produite par ces générateurs ; le niveau devrait s’établir à 28,2 Mtep en 2030, soit un quasi doublement.
Parmi la douzaine de familles d’énergies renouvelables qui sont analysées par EurObserv’ER, certaines, même majeures, ne connaîtront pas les mêmes progressions. Mais, déjà bien installées, elles devraient voir leurs situations confortées. On lira utilement à ce sujet les pages concernant le biogaz et la biomasse solide. Les auteurs du rapport décrivent leurs évolutions spécifiques, parfois contrastées, selon des usages pour la production d’électricité ou de chaleur.
S’approprier les EnR
Partie intéressante du rapport qui devrait intéresser les aménageurs, collectivités et leurs bureaux d’études, le travail sur l’intégration des EnR dans le parc de bâtiments et les infrastructures montre un état des lieux européens riche d’enseignements.
Source : Rapport Etat des énergies renouvelables en Europe – Edition 2023 – Source Observ’ER
L’analyse de la situation montre un éventail complet des réponses possibles.
Gaz, biomasse, géothermie, exploitation de l’incinération des déchets, … Si la situation du mix énergétique colle à l’histoire des technologies énergétiques des pays, désormais, rien n’interdit techniquement de s’en inspirer pour faire évoluer l’offre d’énergie.
Par ailleurs, pour répondre aux interrogations sur les solutions individuelles, les auteurs dressent un tableau complet des expériences européennes en matière d’autoconsommation d’électricité d’origine photovoltaïque : « Il existe un potentiel important de développement de l’autoconsommation au sein de l’Union européenne qu’aucun pays ne semble avoir encore totalement exploité », est-il précisé. La solution est décrite comme attractive, mais handicapée de freins tels que l’accès au réseau, les suppléments de frais et taxes et les procédures administratives.
EurObserv’ER rappelle d’ailleurs les mots de la Commission Européenne lors des débats sur RePowerEU : « Les panneaux solaires (thermiques) associés au photovoltaïque, combinés à des pompes à chaleur, peuvent remplacer les brûleurs à gaz naturel dans les maisons et les entreprises. L’énergie solaire sous forme d’électricité, d’eau chaude et d’hydrogène peut remplacer la consommation de gaz naturel dans les processus industriels. »
Le rapport présente aussi un éclairage sur le phénomène des communautés d’énergies renouvelables (REC), ces démarches citoyennes locales permises par l’article 22 de la directive 2018/2001 sur la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. Quelque 700 initiatives ont vu le jour, majoritairement basées sur des installations photovoltaïques. Le rapport décrit, en France, la création de coopératives en Bretagne et dans le Tarn.
L’investissement, le nerf de la guerre
180 Milliards d’euros. C’est le niveau d’investissement total des pays de l’Union européenne dans les énergies renouvelables en 2022, selon Bloomberg, rappelle Observ’ER. Les 27 sont donc derrière la Chine et devant les USA, sur ce dossier.
Le photovoltaïque est le premier domaine d’investissement (33 Mds€), devant l’éolien (15 Mds€ en 2022, mais près de 30 en 2021). Le rapport fournit d’ailleurs des éléments indispensables pour les études économiques des projets.
Déjà fortement inscrites dans le panorama énergétique, les EnR s’affirment aussi par leur pertinence économique dans un contexte de renchérissement des énergies. D’année en année, le bénéfice financier et environnemental croît : en 2022, pour l’ensemble de l’UE, elles ont évité 192 Mtep de combustibles fossiles et une dépense estimée à 220 Mds€.
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À propos de l'auteur
Bernard Reinteau
Journaliste de la presse bâtiment depuis la fin des années 80, Bernard Reinteau est journaliste indépendant. Il a œuvré pour les principaux titres de la filière et se spécialise particulièrement sur les solutions techniques liées à la performance énergétique et environnementale des constructions et rénovations performantes. Il collabore principalement avec les plus grands titres et en particulier avec Xpair.