Par Dominique BIDOU, président d'honneur de l'Alliance HQE-GBC France le 02 Mai 2023
Ils ont aussi la vie dure. Comment expliquer autrement l’aveuglement de nombreux économistes vis à vis des énergies renouvelables ?
Un retard des EnR qui coûte cher
Celles-ci sont aujourd’hui prépondérantes en Europe. En 2022, elles ont produit 22% de notre électricité contre 20% pour le gaz et 16% pour le charbon. Résultat obtenu grâce à des progrès en tous genres, sur leur efficacité et leur prix notamment. Et cela malgré les retards de la France dans l’accroissement des capacités des énergies renouvelables. Le seul pays de l’Union Européenne à ne pas atteindre les objectifs qu’elle s’était elle-même fixés, 19% au lieu de 23%. Un retard qui coûte cher. Outre les pénalités de l’ordre de 500 millions d’euros, un besoin d’acheter la production manquante, évaluée à 6 à 9 milliards d’euros.
Solaire PV et ombrières parkings
Est-ce notre dépendance au nucléaire ?
Nos économistes ont du mal à intégrer l’importance des renouvelables dans le paysage énergétique en cours de constitution. Ils n’y croient pas vraiment. Un préjugé, sûrement, qui les empêche de prendre ces énergies au sérieux. Comment comprendre autrement que ces éminents spécialistes soient passés à côté d’un phénomène aussi important ? En 2018, la Cour des Comptes alertait le Gouvernement sur les dépenses excessives que les renouvelables provoquaient. « Les soutiens octroyés par l’État se sont aussi avérés disproportionnés par rapport à la contribution de certaines filières aux objectifs de développement des EnR ». Elle encourage une approche économique rigoureuse : « la Cour considère désormais indispensable de calculer et révéler le coût complet du mix énergétique programmé et les soutiens publics induits, et d’asseoir les décisions de programmation énergétique sur ces informations » [1]. Plus récemment, Christian Gollier, Directeur général de la Toulouse School of Economics et auteur du livre « Le climat après la fin du mois [2]» posait la question du coût des renouvelables dans une série de conférences au Collège de France, en Janvier 2022.
Le coût de la tonne de carbone évité grâce aux aides aux panneaux solaires était, en 2010, de 1820 euros. La substitution du charbon par du gaz, nettement moins émetteur de CO2, mettrait le prix de cette tonne évitée à 36 €. Calculs faits en 2010, mais encore présentés 12 ans plus tard. La comparaison est lourde de conséquences, elle condamne le solaire sans appel.
La dépense est un investissement, et non une consommation
Pour la Cour des Comptes, comme pour Christian Gollier, le raisonnement ignore l’essentiel. Les dépenses consenties ne le sont pas pour fournir de l’électricité, mais pour l’émergence d’une capacité de production d’un autre type, celui qui s’imposera rapidement en Europe. Le calcul basé sur le prix du kWh produit n’a pas de sens en soi. C’est une vision statique, alors que l’essentiel se constitue dans une dynamique, un changement structurel, la naissance d’une filière. La dépense est un investissement, et non une consommation. L’avantage compétitif immédiat que pouvait présenter la substitution charbon/gaz par rapport au développement du solaire tombe si nous adoptons une approche dynamique de l’avantage compétitif comme le recommande notamment Joseph Stiglitz [3].
L’investissement EnR est rentable, d’ailleurs
Le prix de l’électricité ayant fortement augmenté, les renouvelables deviennent une source de profits, dont l’État et les collectivités locales sont les premiers bénéficiaires. Les aides accordées aux renouvelables prennent la forme de garantie de prix d’achat. Un montant supérieur au prix du marché, pour encourager les projets, mais avec le symétrique : en cas de hausse du prix du marché, les producteurs devraient rembourser à l’Etat la recette réalisée au-delà du prix d’achat de référence. Une sorte de bascule, en fonction des prix observés. Eh bien les recettes ayant fortement augmentées, l’Etat a engrangé un véritable jackpot, pour reprendre le titre du journal Les Echos du 8 Novembre 2022. Au total, « les versements des opérateurs à l’Etat correspondant au soutien aux énergies renouvelables s’élèveront à 38,7 Md€ au cours de l’année 2023 », selon le communiqué de la CRE de la même date. Plus que ce qu’auront coûté toutes aides depuis l’origine. Les collectivités ont pour leur part perçu les taxes professionnelles liées à la production. A l’inverse des « surprofits » des pétroliers, ceux des producteurs d’électricité renouvelable sont taxés lourdement.
Les préjugés portent bien leur nom
Un jugement sans égard à la réalité observée, et qui, souvent, en fausse la perception. Nous sommes naturellement tentés de valider ce que nous pensions a priori plutôt que d’accepter de nous être trompés. La question des énergies renouvelables en est une bonne illustration. Ces préjugés sont exploités à fond bien évidemment, par les porteurs de l’ancienne économie, qui pourraient être déstabilisés s’ils ne s’adaptent pas ou trop tard. Les préjugés sont les meilleurs atouts de ceux qui ne voudraient que rien ne change. Il faut savoir s’en débarrasser pour aller vers le développement durable.
[1] Le soutien aux énergies renouvelables, Communication à la commission des finances du Sénat - Mars 2018
[2] Aux PUF - 2019
[3] Joseph E. Stiglitz et Bruce C. Greenwald - Une nouvelle société de la connaissance aux éditions Les liens qui libèrent - Novembre 2017
À propos de l'auteur
Dominique Bidou
Ingénieur et démographe de formation, Dominique Bidou a été directeur au ministère de l’Environnement et est Président d’Honneur de l’association HQE (désormais Alliance HQE – GBC). Il est consultant en Développement Durable, a écrit de nombreux ouvrages tels que « Le développement durable, une affaire d’entrepreneurs », anime son blog...