Par Roger CADIERGUES le 04 Juillet 2019
La semaine dernière, en soulignant notre manque de bilan sur les coûts - un aspect qui est pourtant essentiel - j'ai cité un récent article de presse qui critiquait violemment le plan bâtiment. Et ce avec un titre accrocheur : "Grenelle de l'environnement, vrais coûts et faux gains du plan bâtiment". Il faut y revenir.
Vous vous étiez en effet refusé de commenter les affirmations de cet article ?
Prenons un exemple d'affirmations que vous trouverez dans cet article : "si réduire de 20% (sous-entendu le CO2) coûte 600 milliards, combien coûtera cette réduction de 75%". J'en suis désolé, mais c'est le genre d'affirmation tout à fait détestable. S'agit-il du chauffage ou de tous les usages. Que signifient réellement ces phrases, et - surtout- de quelle étude sont issus ces chiffres. Et où peut-on trouver cette étude. La seule réponse - un peu maigre - que j'ai reçue par ailleurs, c'est qu'il s'agit du "plan bâtiment ". Ce n'est pas un justificatif suffisant : encore une fois le bilan manque. Ceci dit, il était inévitable que les erreurs probables de l'article que je viens de citer provoquent une réponse : celle-ci n'a pas tardé. Et le même journal (le Figaro) publiait 10 jours plus tard une contradiction vigoureuse sous le titre "Faux (vrais) coûts et vrais (faux) gains du plan bâtiment". Malheureusement j'y retrouve le même défaut : des chiffres lancés sans qu'apparaisse une véritable justification.
N'êtes-vous pas exagéré ?
Absolument pas. Ce que je demande c'est un bilan financier justifié, clair et surtout public, Or, ni l'article original, ni l'article qui se veut rectificatif ne me le fournissent. Dire, par exemple (deuxième article) que la réhabilitation du parc de 600 milliards aboutira à une réduction de 75% de consommation en 2050 est une affirmation totalement confuse. Apparemment, il s'agit de chauffage, mais qu'en est-il du reste, et du bilan carbone : je n'en sais rien. Encore une fois, je demande un bilan clair, justifié et public. Avec des preuves quant aux chiffres annoncés. Se baser par exemple sur le fait que 2 millions de foyers effectuent actuellement, chaque année, un certain nombre de rénovations partielles, ne signifie pas pour autant que ce rythme va se poursuivre. Il a toujours été constaté, dans le passé, qu'à chaque montée du prix du pétrole et qu'à chaque relance des actions gouvernementales les améliorations se développaient certes, mais ralentissaient ensuite. Ce n'est pas, en tous cas, l'installation de doubles vitrages qui suffira à nous faire économiser 75% sur les consommations tous usages. Le résultat c'est qu'on va croire que c'est facile, alors que ce n'est pas du tout, à mon sens, le cas.
Vous êtes donc convaincu que le développement durable va échouer ?
Ce n'est pas exactement cela : je demande simplement qu'on en évalue clairement les difficultés. D'une part le neuf (résidentiel ou non) qui, d'ici 2050, nous aura probablement coûté de 2 à 3 milliards d'euros par an si l'on interroge les constructeurs sur les surcoûts prévisibles. D'autre part l'existant, qui nous coûtera deux fois plus si l'on veut isoler (par les baies vitrées et surtout par l'extérieur) quelques 500 000 résidences par an et l'équivalent en bâtiments tertiaires ou professionnels. Alors que cela n'aboutira qu'à une réduction de CO2 de moitié (tous usages). C'est tout à fait insuffisant pour diviser nos émissions de carbone par 2,5. Et surtout par 4 …
Peut-être, mais tout cela devrait être compensé par des gains d'emploi ?
Je suis frappé par les illusions qui me paraissent très fréquentes à ce sujet. Quand j'entends qu'il va y avoir une révolution, et une montée en effectifs dans le personnel installant du solaire (comme si c'était nouveau) je suis bien obligé de constater que chaque entreprise qualifiée installe aujourd'hui, en moyenne, moins de quatre mètres carrés de capteurs par an. Et ce alors que cette activité a retrouvé un certain rythme. Autre exemple : la pose de doubles vitrages isolants en menuiseries adéquates ne me paraît pas, actuellement, poser de problèmes de manque d'entreprises. Par contre, et bien sûr, si l'isolation par l'extérieur de l'existant devait se développer (sans cela nos quotas CO2 seront illusoires), il y faudra effectivement une nouvelle main d'oeuvre, qu'il n'a pas encore été possible de former aux précédentes crises de l'énergie. Schématiquement, selon mon expérience personnelle, nous dépasserons très difficilement 50 à 60 % d'économie d'énergie tous usages dans l'existant. Si nous voulons atteindre des quotas plus adéquats en dégagement de CO2 il faudra faire appel, de plus en plus, à de l'électricité produite dans des centrales sans CO2. A-t-on examiné cet aspect : je crains que non.
C'est tout à fait décourageant ?
Il ne faut absolument pas se décourager, mais ce n'est pas en manipulant des chiffres magiques qu'on va régler les problèmes. Il y faudra une organisation nouvelle à mettre en place. Pour le moment ce n'est pas en créant de nouveaux labels que nous y parviendrons, mais en créant un nouveau climat d'action. Continuons donc (avec la prochaine lettre) notre examen …
Roger CADIERGUES