Par René CYSSAU, consultant équipement du bâtiment, ex-ingénieur en chef du COSTIC
L’individualisation des dépenses d’énergie est de nouveau en actualité, transition énergétique oblige. C’est le moment de poser la question du principe de la répartition des frais d’énergie pour tous les systèmes de génie climatique collectifs pour en faire une pratique courante. Pour être acceptée par tous les acteurs, la répartition devrait être techniquement possible sur toutes les installations, le coût de la mise place doit être réduit. Cela est possible en intégrant la fonction comptage à la fonction régulation. Une « ancienne innovation » devrait apporter une réponse à cette question en profitant de l’autre transition, la numérique.
L’ancien procédé Metrostatique pour répartir les frais de chauffage a été réadapté, Metroclim s’applique au chauffage et à la climatisation
Répartir les frais d’énergie réduit la dépense collective, oui mais …
On sait que le principe consommateur-payeur est plébiscité et que sans incitation pécuniaire on constate des consommations anormalement élevées dans, par exemple, les immeubles d’habitation qui bénéficient d’un chauffage collectif, ils sont surchauffés. De même, les températures des locaux climatisés pourraient être plus élevées pour économiser sans nuire sensiblement au confort.
Le principe de la répartition des frais selon l’usage est plébiscité par le public mais le choix d’une solution technique se heurte aux questions de la faisabilité (toutes les installations ne peuvent pas être équipées actuellement) et de l’incidence économique (le coût de la mise en place et de la réalisation du service).
Le comptage énergétique serait-il un dogme ?
Les compteurs d’énergie thermique sont évidemment posés sur les installations de génie climatique pour facturer l’énergie ou pour compter l’énergie des différentes zones pour suivre l’efficacité énergétique, mais ils ne sont pas aptes à la fonction individualiser les charges des surfaces privatives par une mesure au niveau des émetteurs - ou bien ils obligent à réaliser des installations particulièrement conçues pour pouvoir placer des compteurs d’énergie thermique.
Les répartiteurs de chaleur par mesure de température de surface des radiateurs
Les inconvénients des compteurs d’énergie thermique ne se trouvent pas avec les répartiteurs sur les radiateurs. Ils sont couramment choisis pour leur simplicité, leur coût réduit, et pour un affichage visible sur chaque radiateur qui maintient la sensibilisation. Les répartiteurs (anciennement à évaporation maintenant électroniques) sont naturellement appliqués en Europe, depuis des lustres, sur la quasi-totalité des radiateurs. Le principe a été inventé au début du siècle dernier, avec l’avènement du chauffage collectif des immeubles. La mise en place progresse en France (beaucoup d’installations restent encore à équiper) par la nécessité de réduire les consommations et par l’obligation réglementaire (le décret n°2019-496 du 22 mai 2019 modifie les modalités pour l'individualisation des frais de chauffage et étend son application au refroidissement).
Bien que les décomptes obtenus puissent être éloignés d’une mesure (hypothétique) des kWh émis, les répartiteurs par mesure de température de surface constituent la solution de prédilection pour le chauffage par radiateurs. Cependant, pour les autres terminaux de chauffage et a fortiori pour le refroidissement, il n’existe pas de solution actuellement acceptée, techniquement applicable et économiquement accessible.
Que disent les sociologues ?
Des sociologues ont apporté une meilleure connaissance de la perception des usages de l’énergie, en particulier pour les systèmes techniques du bâtiment. Les actes du congrès de Tours rendent compte de travaux dans ce domaine.
2èmes Journées internationales de sociologie de l'énergie, les sociétés contemporaines à l’épreuve des transitions énergétiques ; Université François Rabelais de Tours 1er au 3 juillet 2015. 422 pages. Lien
Christophe Beslay (sociologue, gérant du bureau d’études sociologiques BESCB) a rappelé dans la revue Génie Climatique Magazine que ce n’est pas le procédé technique utilisé pour répartir les charges qui engendre les économies, mais que les réductions des consommations viennent de la sensibilisation des usagers. C’est elle qui détermine leur comportement (NDR : peu ou prou car les effets du comportement individuel ne se modélisent pas). Il ne s’agit pas que d’une incitation pécuniaire ; des aspects symboliques (la maison brûle !) et des dynamiques sociales (l’exemplarité) sont des facteurs importants pour inciter aux bons usages.
METROSTATIQUE, une « ancienne innovation » pour individualiser les frais de chauffage
A l’issue des travaux de Roger Cadiergues et de l’auteur de cette chronique, le COSTIC avait proposé en son temps le principe Metrostatique pour individualiser les frais de chauffage au moyen des robinets thermostatiques. Le principe consiste à enregistrer la température de consigne des robinets par un boitier compteur, le décompte saisonnier qu’il affiche dépend de la différence entre la consigne et la température extérieure moyenne.
Figure 1. Un dispositif pour répartir les charges de chauffage par des robinets thermostatiques mesureurs avait été réalisé pour une expérimentation
Un produit avait été commercialisé au début des années 80 par la société COMAP (anciennement du groupe Pont-à-Mousson).
Figure 2. Un dispositif qui applique le principe Metrostatique avait été commercialisé
Le principe s’applique au chauffage et à la climatisation
La répartition des charges de refroidissement est un sujet d’actualité, la consommation nationale d’énergie pour la climatisation va continuer à augmenter, le nouveau règlement « individualisation » porte aussi, opportunément, sur le refroidissement.
Mais il n’existe pas une solution technique reconnue pour répartir les frais des systèmes de climatisation centralisés. La grande variété des systèmes de climatisation à eau comme à air ne permet pas de prévoir qu’il puisse exister un jour une solution technique simple et peu coûteuse comparable aux répartiteurs pour les radiateurs.
Le principe qui consiste à mesurer la différence des températures consigne-température extérieure pour enregistrer la demande de confort s’applique aussi simplement au refroidissement des locaux qu’au chauffage, ainsi évidemment qu’aux systèmes quatre saisons.
Une étude récente menée sur l’île de la Réunion a permis de démontrer la faisabilité du principe proposé pour répartir les frais de la climatisation par ventilo-convecteurs sur un réseau d’eau glacée.
METROCLIM, une « nouvelle innovation » expérimentée à l’Université de La Réunion
Des déboires avaient été constatés sur l’île après l’installation de compteurs d’énergie thermique pour répartir les charges entre les locataires de surfaces de bureaux.
Répartition des frais de climatisation pour les bureaux qui accueillent les services administratifs de l’Université de la Réunion
D’un autre côté, les services techniques et la direction de l’Université de Saint Denis, après plusieurs améliorations de l’efficacité énergétique des installations, ont voulu mettre en place une micro-répartition de la dépense d’énergie pour inciter les occupants des bureaux à réduire eux-mêmes la consommation de l’ensemble.
Pour y répondre, le COSTIC a proposé d’expérimenter le principe Metroclim qui associe :
→ Le réglage de la température de consigne des thermostats (figure 3).
C’est pour l’usager une réalité de la climatisation en lui permettant de maîtriser la fourniture de confort.
→ L’affichage en temps réel du résultat du comptage, sous les yeux ou à proximité du réglage (figure 3 ou 4).
C’est pour l’usager une vision de la dépense associée immédiatement à sa demande.
→ La présentation d’informations incitatives de différentes natures émises par le service technique de l’Université (figure 5).
C’est une verbalisation des réalités invisibles pour l’usager comme : conséquences d’un comportement, préoccupations du service technique, système de production de froid, informations associées à l’énergie pour le bâtiment, aux dépenses de la société qui occupe les bureaux …
L’étude a duré deux ans, elle s’est terminée en juillet de cette année. Elle a pu être menée par le COSTIC et l’Université dans le cadre d’une convention PACTE avec ADEME Réunion et EDF et avec la collaboration de deux BE de l’île : LEU-Réunion et Imageen.
Un bâtiment a été équipé de thermostats afficheurs du comptage sous la forme de tablettes tactiles (figure 3). Pour un autre bâtiment l’affichage des comptages est placé à proximité des bureaux (figure 4).
L’étude a consisté, en particulier, à concevoir des prototypes installés par une entreprise de l’île, à enregistrer les consignes des thermostats au fil des jours pour identifier des profils d’usages, établir les décomptes.
Une enquête auprès des usagers des bureaux a permis de caractériser la perception positive et la bonne acceptabilité du nouveau procédé.
Figure 3. Sur un des bâtiments des tablettes tactiles spécialement programmées pour l’étude remplacent les anciens thermostats. Deux écrans sont accessibles : les réglages et des informations supplémentaires, dont un message incitatif à un comportement économe
Figure 4. Sur un des bâtiments les thermostats en place ont été conservés, les résultats actuels des comptages et les messages incitatifs se trouvent sur des afficheurs TV dans des espaces communs aux trois niveaux de l’immeuble
Des messages incitatifs tels que ceux qui sont proposés figure 5 peuvent être émis vers les écrans individuels ou collectifs. La sélection est faite par le responsable technique, il est possible d’automatiser l’émission selon l’opportunité par une intelligence embarquée afin de compléter l’incitation par le comptage et guider les usagers.
Figure 5. Des exemples de messages incitatifs à la disposition du responsable technique qui peut les diffuser sur les écrans des usagers, selon le besoin
L’unité du comptage Metroclim : le dh, le degré-heure
Le comptage Metroclim consiste simplement à sommer les écarts entre la température de consigne et la température extérieure aux moments où l’émetteur peut refroidir ou réchauffer : selon la saison, la programmation hebdomadaire et journalière, la mise en marche manuelle. C’est bien le produit des degrés d’écart de températures par la durée en heures, à l’instar des DJU. L’usage des dh « degrés-heures » diffère évidemment des DJU « Degrés-Jours-Unifiés ».
Existe-t-il une corrélation entre la mesure des dh et l’énergie consommée ?
Cette relation ne peut évidemment pas être établie bureau par bureau, faute de pouvoir mesurer l’énergie émise par un terminal. Cependant les enregistrements des puissances thermiques en tête des bâtiments ont montré que les dh enregistrés sont bien corrélés avec l’énergie thermique consommée, figure 6. Cette corrélation peut être utilisée comme une signature qui caractérise un comportement collectif des usagers d’un bâtiment.
Figure 6 - Enregistrements des dh journaliers pour les journées d’occupation des bureaux de septembre 2017 à avril 2018 en relation avec la consommation journalière d’énergie, pour un des bâtiments en exemple. Ce graphe constitue une signature.
Un comptage équitable du point de vue du « consommateur de confort »
Enfin il faut noter que les décomptes obtenus par Metroclim ne sont pas influencés par les disparités de situation des locaux ni par les températures des locaux adjacents.
Le comptage ne résulte que de la température demandée, il est notamment insensible aux comportements des voisins.
Pour certains l’individualisation conduirait à des « vols de chaleur ». Serait-ce une suggestion pour dévaloriser le principe de l’individualisation afin d’y échapper ? De fait, pour le dire correctement, les procédés de répartition calorimétriques sont sensibles aux échanges de chaleur entre les locaux privatifs et l’extérieur, mais le comptage METROCLIM ne l’est pas puisqu’il ne compte que la demande de température, pas l’énergie.
Un graphisme est disponible pour marquer les dispositifs conformes au principe
Par René CYSSAU, consultant équipement du bâtiment, ex-ingénieur en chef du COSTIC