Par Alain GARNIER ingénieur et directeur du bureau d'études GARNIER à Reims.
Cette chronique fait suite à la précédente « Les éco-quartiers : le point de vue de l'énergéticien ». Nous allons mettre en évidence et faire le point sur toutes les synergies de production et de récupération de chauffage, de froid, d'électricité possible mais également de ressources écologiques comme l'eau à des fins d'arrosage, ainsi que de récupération de chaleur sur les eaux usées…etc.
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Les éco-quartiers et les synergies évidentes
Schéma de principe de l'éco-quartier vu par l'énergéticien.
Explications sur les synergies
- Les capteurs solaires photovoltaïques (en vert) seront installés sur l’ensemble des maisons et bâtiments.
- Les capteurs solaires thermiques BT (en rouge) seront installés sur les maisons et les bâtiments ayant des besoins continus.
- La chaleur perdue provenant des bâtiments tertiaires sera récupérée et dirigée sur la centrale thermo-frigo-électrique (CTFE).
- Les eaux pluviales seront stockées à la CTFE, elles pourront servir au nettoyage de la voierie, à l’arrosage des espaces verts. Elles pourront aussi servir de tampon thermique pour la chaleur perdue avec l’aide d’échangeurs thermiques.
- La CTFE comportera un système thermodynamique pour la récupération des eaux usées ainsi que pour dynamiser le chaleur basse température récupérée. Sa production de froid sera utilisée dans les bâtiments tels que les bureaux, les hôpitaux, le data center, la piscine (déshumidification avec gain de 40%).
- La chaleur de réjection provenant des condenseurs des groupes de froid ou des machines à absorption sera utilisée pour la production de l’eau chaude sanitaire et le réchauffage des bassins de la piscine en été. En hiver, elle permettra également le préchauffage ou le chauffage des bâtiments si ceux-ci comportent des émetteurs à basse température.
- La CTFE pourra être équipée de capteurs solaires thermiques HT (sous vide ou à concentrateur) de façon à pouvoir produire le froid et le chaud en été. Le froid serait réalisé au moyen de machines à absorption à réchauffage indirect. Leurs bouilleurs seraient alimentés par les capteurs à une température ≥ 75°C. Si c’est nécessaire, l’appoint serait réalisé à partir d’une chaufferie biomasse (avec du chaud on fait du froid… !).
En production de froid, on obtient une meilleure EER par des groupes froids à compression mécanique que par une machine à absorption.
Mais comme il s'agit d'une valorisation et que la source correspond à une EnR, on pourra produire le froid en base en absorption et l'appoint en compression mécanique (électrique), on aura ainsi réalisé un mix intéressant.
- La CTFE pourvue de ses stockages d’énergie et aidée de la GDB réalisera le mix énergétique.
- Les capteurs géothermiques utilisés pour les besoins de l’ensemble de l’éco-quartier seront enfouis dans les terrains publics ou privés.
- La CTFE pourra également, s’il y a accord de la DDASS, réaliser un traitement et un recyclage des eaux grises.
Doc. Pontos Hansgrohe
Ce procédé "smartclean" consiste à traiter les eaux grises en quatre phases : la filtration, le nettoyage biologique par système aérobie, la stérilisation par UVC et enfin le stockage.
Ainsi, l'eau issue des douches et des baignoires (les eaux grises) est recyclée et réutilisée pour les toilettes, l'arrosage, le lave-linge...
Un système entièrement automatique qui permet de récupérer les eaux savonneuses, sans aucune adjonction de produits chimiques au moyen d’un équipement constitué de 3 groupes de cuves polyéthylène.
- Le recours de plus en plus au vecteur air qui permet avec 1 seul système 8 fonctions : chauffage solaire passif, chauffage solaire dynamique, ventilation hygiénique, free-cooling, rafraichissement adiabatique sec, chauffage thermodynamique avec couplage solaire, production d’ECS solaire, climatisation. Ce système est moins coûteux, met en avant les EnR et offre plus d’efficience énergétique.
- Le rafraichissement à partir du free-cooling
- Le rafraichissement adiabatique sec à partir d'eaux pluviales stockées pour la circonstance. Les EP seront également utilisées pour l'arrosage.
Cycle de refroidissement sec et humide
- Le rafraichissement de certains bâtiments pourra être obtenu, soit par une batterie froide dans le cas du recours au vecteur air, soit par un plancher rafraichissant dans le cas du recours au vecteur eau.
L’eau froide sera obtenue à partir d’un système de free-chilling comportant un simple aéroréfrigérant adiabatique
- De jour, si la température sèche est de 32 °C et le bulbe humide est à 21 °C, on sera capable de refroidir l'eau à 25 °C et de rafraîchir les batiments entre 27°C et 29°C.
- Entre minuit et 6 h (plage horaire ou on habite le plus nos logements), si la température sèche est de 18°C et le bulbe humide est entre 18 et 14°C, on sera capable de refroidir l'eau à 18 °C et de rafraîchir les batiments à 26 °C.
- Le point de basculement sec / humide du “3C” sera de 23 °C.
- A Paris, il y a 260h/an au-dessus de 23°C ce qui nous aménera à recourir 4% de l’année en humide si l’on veut rafraichir les bâtiments à 27°C.
- Pendant ces 4% du temps, la consommation en eau sera de 2 m3/h pour 1 MW refroidi, soit l’équivalent de 520 m3/an à pleine charge.
- La dissipation de chaleur sera plus efficace par des aéroréfrigérants adiabatiques (mode combiné sec et humide) que par des aéroréfrigérants (secs) ou encore des aéro-refroidisseurs (condenseurs d'air).
Il existe aussi les condenseurs évaporatifs (condenseur avec pulvérisation d'eau), mais qui sont de moins en moins utilisés à cause des risques de légionellose.
Les condenseurs évaporatifs à mode adiabatique ou combiné (sec et humide) commencent à faire leur apparition.
- Le rafraichissement pourra être obtenu à partir d’un free-chilling obtenu à partir du stockage des eaux pluviales. Les cuves enterrées servant au stockage feront office d’échangeurs thermiques comme pourraient le faire des capteurs géothermiques.
- Le rafraîchissement et la climatisation des bâtiments à partir d’émetteurs à basse température (18°C) permettront d’avoir recours au free-chilling.
- Le stockage d’eau glacée produite la nuit quand la température du bulbe humide et la tarification électrique sont plus favorables. Elle permet également une diminution de la puissance de production d’eau glacée. Pour stratifier davantage, les bâches sont en plusieurs volumes, à chicane ou à membrane flexible.
- Pour le chauffage d’appoint ou la production de froid basse température, le recours à des systèmes thermodynamiques couplés à des productions fonctionnant à partir d’EnR et permettant de plus une utilisation de leur chaleur de réjection.
- Le recours au changement de phase (chaleur sensible et chaleur latente) pour le stockage d’énergie thermique de faible capacité.
- La gestion dynamique du bâtiment (GDB) laquelle sera capable de préparer et de protéger les bâtiments des conditions atmosphériques nuisibles au confort, de réaliser le bilan thermique des besoins et des stockages et de les gérer, d’être informé en permanence de la prévision météorologique sur plusieurs jours et de réaliser la cascade énergétique (optimisation énergétique). D’augmenter la durée de vie des matériels, d’effectuer un état permanent de la maintenance préventive, de réaliser un DPE permanent et bien sûr annuel.
Doc. SAUTER (rapport permanent du contrôle des performances et DPE)
- Le recours à des capteurs solaires thermiques sur des bâtiments fermés durant les vacances d’été (écoles, gymnases, etc.).
- Le recours à des capteurs solaires thermiques sur des piscines déshumidifiées en thermodynamique et qui ont déjà à utiliser leur chaleur de réjection provenant du condenseur.
- Le recours à des chaufferies biomasse avec une seule chaudière bois (1) pour des bâtiments très vitrés dont les besoins peuvent passer de 1 à 10 en l’espace d’une heure (genre école ou piscine).
- La conception de réseaux de chaleur qui ne permettra pas d’appauvrir au maximum la température de retour et le débit variable. Si c’est le cas, on aura des pertes de distribution et une consommation électrique de pompes élevées ainsi que des chaudières à condensation qui ne condenseront jamais.
- La géothermie en ville quand la superficie du terrain est limitée (même avec des pieux géothermiques) est difficilement possible.
Habitat Tertiaire Industrie Inapplicable Rarement applicable Applicable
Les éco-quartiers offrent une mixité et un mélange de différentes typologies de bâtiments et de leurs terrains.
On pourrait concevoir la mise en place de capteurs géothermiques sur les terrains publics ou même privés et apporter la chaleur captée à la CTFE.
C'est la mutualisation des ressources.
- Les puits canadiens ou provençaux en ville quand la superficie du terrain est limitée semble peu réaliste. Il sera préférable de réaliser un rafraichissement adiabatique sec qui de plus sera moins coûteux.
Important : Il est absolument nécessaire que l’énergéticien donne dans le programme qui sera remis aux AMO chargés de la construction des différents bâtiments, des indicateurs de performances quantifiables et vérifiables. Ces indicateurs seront repris dans les programmes particuliers de chaque projet de façon à pouvoir les mesurer à tout moment de son avancement. Le coût unitaire de l’énergie devra tenir compte des températures départ et retour du fluide atteintes (bonus/malus). |
(1) trop d'inertie et avec une modulation de puissance incapable de descendre en dessous de 40% de la puissance nominale.
Quatre thématiques freinent pour le moment la mise en place du « volet énergie » dans les éco-quartiers:
- Réglementaire : l’incorporation des exigences énergétiques mentionnées dans le programme au sein de chaque projet.
Il s’agira d’imposer aux maîtres d’ouvrage les performances qui permettront d’arriver aux objectifs énergétiques visés et comment les relayer auprès de la maîtrise d’œuvre pour qu’ils les traduisent intelligemment en terme de moyens. - Organisationnelle : le pilotage, l’assistance et l’organisation entre les différents acteurs concernés par le volet énergie, tout au long du projet.
Il s’agira de voir quelles sont les modalités de concertation entre ces derniers et d’identifier les rôles respectifs de chacun dans un seul but : la recherche de l’efficience énergétique. - Financière : les sources de financement et les leviers d’actions concernés par la mise en place du volet énergie. La gestion des « surinvestissements » fera l’objet d’une attention particulière de la part des différents acteurs.
Il s’agira d’identifier les dispositifs financiers sollicités concernant la recherche de l’efficience énergétique dans cette opération. Bien souvent, il y aura des contreparties telles que le classement des réseaux de chaleur qui permettront une TVA à un taux plus bas. - Délais : la notion de temps n’est souvent pas la même pour les MO que pour les promoteurs qui sont plus regardants sur la durée de construction qui influence leurs marges de profit. Les élus locaux quant à eux raisonnent souvent en termes de mandat ce qui ne favorise pas le développement durable…
Plusieurs raisons peuvent cependant motiver les élus à soutenir un projet d'éco-quartier
- Obtenir une image de marque auprès de leurs administrés :
à condition que le contenu du projet ne consiste pas en un simple affichage sans une véritable éco-efficacité. La mise en place d'une stratégie et le recrutement de professionnels compétents s'imposent comme par exemple l'accompagnement par un AMO entouré d'un énergéticien spécialisé. - Obtenir une certification donnant accès à des aides spécifiques en fonction de l'éco-efficacité pourra permettre de diminuer le surcoût du projet.
Afficher une certaine cohérence et motivation de la part de la municipalité permettra d'autre part d'impulser une dynamique auprès de l'ensemble des acteurs pour optimiser le financement de l'opération. - Diminuer les consommations d'énergie des équipements publics construits au sein même de l'éco-quartier et par conséquent réduire les factures correspondantes.
- Montrer l'exemple et acquérir ainsi une légitimité auprès de l'ensemble des acteurs, ce qui pourra par la suite faciliter l'engagement de projets similaires.
La recherche de l'efficacité énergétique et donc de la mise en œuvre de moyens constitue encore une démarche particulièrement innovante.
La question des compétences à trouver se pose pour nombre de maîtres d'ouvrage.
Sur certains projets, nous avons pu constater que le recrutement de prestataires extérieurs avait été fait sur la seule expérience en matière de HQE ; c'est bien insuffisant.
L'atteinte des objectifs visés en termes d'efficience énergétique de tels projets sous entend une mobilisation très forte de la part des prestataires en terme et de très bonnes connaissance : de management, de thermiques et fluides, de formation, de négociation.
La possibilité d'autofinancement du volet énergie
Les coûts des travaux et d’exploitation relatifs au volet énergie sont rarement supportés par les maîtres d’ouvrage. Le principe souvent mis en place est celui de la délégation de service public : DSP (ou du partenariat public - privé : PPP).
À la différence d’un marché public, dans une DSP, la rémunération est directement liée aux résultats du service. Elle est généralement assurée par des redevances perçues auprès des usagers.
Dans le cas d’un éco-quartier, il sera préférable qu’il y ait un seul et même prestataire pour réaliser les prestations relatives au volet énergie.
Par Alain GARNIER
Alain Garnier est ingénieur et directeur du bureau d'études GARNIER 120 rue Gambetta à Reims
– Lauréat du premier prix de l'Eco-Efficacité catégorie « concepteurs » en 2009
récompense remise lors de l'UCE (Université du confort et de l'eau) de ICO à Lille.
www.be-garnier.fr
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Sources & liens
Félicitation pour cette analyse sur laquelle il faudra encore travailler pour convaincre les différents acteurs concernés par les éco-quartiers.
Seul bémol, je ne partage pas votre appréciation sur l''inaplicabilité des solutions géothermiques en milieu urbain. De nombreux exemples existent a l''étranger, Suisse, Autriche, Allemagne et également plus recemment en France, à Paris et en banlieue dense. Ces systèmes ont l''avantage de pouvoir faire du rafraîchissement en géocooling.