Par Marc Berthereau – Président-Fondateur d'ALHYANGE Acoustique - Ingénierie Acoustique et Vibratoire
Cette chronique traite d’un projet acoustique complexe et exigeant : le traitement acoustique du système de ventilation de l’auditorium de la Maison de la Radio avec ses 1500 sources de bruits près de 1500 spectateurs ! Voici les détails de cette étude acoustique dans le domaine aéraulique.
Contexte du projet
Vue de la Maison de la Radio (chantier auditorium en cours) - Coupe de l’auditorium
L’auditorium de la Maison de la radio est devenu en quelques années un lieu important de la musique symphonique à Paris. Inspiré de la Philharmonie de Berlin, qui place la musique au centre, l'Auditorium dispose de 1461 places installées en balcons et réparties tout autour de la scène et des musiciens. Cette architecture unique offre un champ de vision inédit. Le spectateur n’est jamais à plus de 17 mètres de la scène et bénéficie ainsi d’une relation de proximité et d’intimité avec les musiciens.
Dans cette salle, tout est conçu pour que le son circule et se réfléchisse grâce à des parements de bois sur les balcons et à des polycylindres situés à l’arrière des gradins. Le plafond a, quant à lui, été équipé d’une lentille réfléchissante appelée canopy, afin d’optimiser la propagation et la réflexion acoustiques, utile à la relation entre les musiciens eux-mêmes et à la qualité sonore diffusée dans la salle.
Pour offrir la meilleure qualité acoustique, rien ne doit être laissé au hasard.
Le bruit de fond est aussi un critère essentiel de la qualité sonore d’une salle de musique non amplifiée. Le concepteur de la salle de spectacle cherche à le minimiser le plus possible, afin d’obtenir un rapport signal sur bruit très élevé et favoriser d’excellents critères de salle (dynamique, intelligibilité, …)
En dehors des activités sonores liées aux personnes présentes dans la salle, le bruit de fond peut être influencé par :
1) Les bruits en provenance de l’extérieur (voiture, trains, métro, avions, chantier…)
2) Les bruits intérieurs du bâtiment (activité humaine/musicale dans les locaux contigus/superposés…)
3) Les bruits des équipements de ventilation et climatisation
Dans la suite de l’article, nous supposons que les composantes 1 et 2 sont traitées grâce aux dispositions constructives du bâtiment (parois verticales avec de la masse, doublage, systèmes de boite dans la boite, sas, etc.).
Quel objectif de niveau de bruit d’équipements ?
L’objectif de niveau de bruit d’équipement est fixé pour un mode fonctionnement de l’installation et comprend généralement deux indicateurs :
- Le niveau de pression sonore global en dB(A) maximum
- Une courbe gabarit NR (norme NF S30-010) à ne pas dépasser.
Dans le cadre de l’auditorium de la Maison de la Radio, le bruit induit par les équipements en mode nominal doit être inférieur ou égal à 22 dB(A) limité à NR15.
Pour la salle Pleyel (rénovation 2007 et études acoustiques des réseaux aérauliques réalisée par ALHYANGE), le niveau sonore ne devait pas dépasser NR15 pendant les concerts et NR25 pendant l’entracte.
Courbes NR10, 15, 20 et 25
Descriptif du système de ventilation et de la problématique
La ventilation de l’auditorium est traitée grâce à une CTA double flux de 77 000 m³/h située dans un local technique en sous-sol. Le réseau de soufflage se sépare ensuite en plusieurs branches pour desservir les différentes zones de l’auditorium et aboutir à un plenum sous les gradins avec une bouche de soufflage sous chaque siège (50 m³/h). La reprise est assurée par 8 grilles (9500 m³/h) en fond de salle.
Schéma de principe du système de ventilation de l’auditorium
Le bruit émis par les ventilateurs de la CTA se propage dans les réseaux de soufflage et de reprise. L’onde acoustique rencontre alors différents éléments (coudes, embranchements, registres, pièges à son, gaines souples, grilles terminales…) qui vont atténuer le bruit au cours de son trajet. La longueur du réseau et la nature du conduit (béton, tôle, absorbant) vont également contribuer à réduire le bruit. Il existe donc un phénomène d’atténuation du bruit.
En parallèle de cela, le flux d’air insufflé par le ventilateur dans le conduit va également rencontrer ces éléments. Des phénomènes de turbulences peuvent naître et créer un bruit qui dépendra notamment de la vitesse d’air dans l’élément. Ce phénomène est appelé régénération du bruit.
Exemple d’atténuation et de régénération d’un piège à son circulaire donné par le fabricant (TROX)
Méthode de calcul et de dimensionnement des traitements acoustiques
Les calculs sont effectués avec le logiciel AKFA développé par ALHYANGE.
Le niveau de pression sonore en un point de la salle dépendra donc :
- Des puissances acoustiques (Soufflage et reprise) des CTA
- Des atténuations et puissance acoustiques régénérées à travers les différents éléments (coudes, registres, pièges à son, plenum,…)
- Des caractéristiques de l’Auditorium (volume, temps de réverbération,…)
- Du nombre de sources de bruits dans l’Auditorium (soufflage et reprise)
- De la distance séparant les sources de bruit du point d’étude
Les calculs de niveaux sonores sont réalisés en plusieurs points représentatifs des différentes zones de la salle (balcons, côté cour, côté jardin…).
Exemple de point de calcul
Traitements acoustiques mis en œuvre
Pour obtenir le respect de l’objectif de 22dB(A) et NR15, les études ont conclu que les traitements acoustiques suivants étaient nécessaires :
- 3 niveaux de silencieux (pour soufflage et reprise)
. Primaire : 2100 x 2600 ht x 3000 lg : sortie de CTA. Gain global de 23 dB(A) environ.
. Secondaire : 1500 x 1400ht x 3000 lg. Gain global de 8 dB(A)
. Tertiaire : 1400 x 1000ht x 3000lg. Gain global de 8 dB(A)
- Registres : vitesse limitée à 2m/s. Registres circulaires car sinon régénération trop élevée
- Gaines isophoniques souples sur soufflage de longueur 2000 mm. Après les registres pour réduire le bruit régénéré. Gain global de 5 dB(A).
- Plenum de soufflage sous gradin : gain global de 2 à 5 dB(A).
- Grilles de soufflage : limitation de la vitesse d’air à 0,4 m/s. Niveau global de puissance régénérée limité
- Grilles de reprise : limitation de la vitesse d’air à 1,2 m/s. Niveau global de puissance limité
Après mise en place de ces dispositifs, l’objectif est respecté.
Exemple de calculs de niveaux sonores par bande d’octave et global (en vert) selon les différentes contributions :
soufflage champ direct + soufflage champ réverbéré + reprise direct + reprise réverbéré
Focus sur le dimensionnement de silencieux
Le dimensionnement des silencieux dans les réseaux doit tenir compte de 3 contraintes :
- L’encombrement
- Le bon fonctionnement aéraulique
- Les performances d’atténuation acoustique
Il s’agit de trouver le meilleur compromis.
Il est difficile de traiter les bruits basses-fréquences (entre 31 et 250 Hz) car pour obtenir de bonnes atténuations, il faut prévoir d’importantes longueurs de pièges à son (2 à 3 mètres par exemple pour des silencieux d’extracteurs de parking). Ceci s’explique compte tenu du fait que les longueurs d’ondes en basses fréquences sont importantes. Exemple : à 63 Hz, lambda = 5 mètres environ.
Les conséquences en terme d’encombrement font que cela n’est pas toujours réalisable in situ.
Pour répondre à cela, un travail de Recherche & Développement qui s’est concrétisé par une « thèse sur l’optimisation des silencieux en basses fréquences » a été réalisé par ALHYANGE en collaboration avec les laboratoires de l’UTC Compiègne et SUPMECA de Saint-Ouen.
Ces travaux, menés spécifiquement sur les applications au domaine du génie climatique, ont permis d’aboutir :
- A une meilleure compréhension des phénomènes acoustiques basses fréquences dans différents types de silencieux existants (baffles parallèles, circulaire, à résonateurs, quart d’onde, dissipatifs, hybrides…)
- Au développement d’un logiciel de modélisation basée sur une approche analytique multicouche des phénomènes acoustiques à l’échelle du silencieux (cartographie sonore du champ de pression, Transmission/Insertion Loss…)
- Une validation expérimentale du logiciel de modélisation grâce à des mesures réalisées en laboratoire sur des silencieux en échelle réelle et réduite
- A la mise au point d’un produit innovant performant en basses fréquences (gain de 5 à 10 dB entre 63 et 250 Hz)
- Au dépôt d’un brevet n°1659520 « matériaux pour l’absorption acoustiques »
Banc de mesures en laboratoire
Conclusions
Des solutions techniques existent pour traiter efficacement les bruits d’équipements.
Les contraintes aérauliques et d’encombrement doivent être soigneusement étudiées entre les bureaux d’études fluides, les architectes et l’acousticien pour trouver le meilleur compromis de traitements acoustiques afin de respecter les objectifs.
La régénération induite par les éléments du réseau et notamment les grilles terminales doit aussi faire l’objet d’attention particulière. Par exemple, des silencieux de 2 mètres de long en sortie de CTA seront inefficaces pour réduire le bruit si celui-ci est produit par la régénération du flux d’air sur les grilles ou des registres après.
Il convient de signaler que ce sujet n’est pas toujours bien pris en compte lors des études de conception de MOE. Les Entreprises en charge du lot CVC et leur acousticien doivent alors faire face à des difficultés en phase chantier lors des études d’exécution et l’élaboration des notes de calculs justificatives du respect des objectifs : réservation de pièges à son trop petites, objectifs de niveau sonore pas toujours réalistes eu égard aux contraintes, modifications des puissances acoustiques des machines, vitesses d’air sur les grilles trop élevées, modification des exigences du MOA …
Pour ne pas reporter le sujet des bruits d’équipements sur la phase chantier et sur les Entreprises concernées, il est important de prendre en compte l’aspect bruit d’équipement intérieur mais également environnemental le plus tôt pendant la conception.
En résumé
75 mètres de longueur cumulée de pièges à son pour le soufflage et la reprise
77 000 m³/h : débit CTA
95 dB(A) de puissance acoustique globale au soufflage (101 dB à 63 Hz et 96 dB à 125 Hz)
1 460 bouches de soufflage
8 grilles de reprise
19 000 m³ : volume de l’auditorium
2 secondes de temps de réverbération à 1kHz
Acteurs du projet
Acousticien de l’entreprise CVC : ALHYANGE acoustique
Entreprise CVC : EMTE
Maître d’Ouvrage : Radio France
Architecte : Architecture Studio
Montant travaux : 35 M€ de travaux
Par Marc Berthereau – Président-Fondateur d'ALHYANGE Acoustique - Ingénierie Acoustique et Vibratoire
SOURCE ET LIEN
ALHYANGE ACOUSTIQUE
192 rue du Faubourg Saint-Martin - 75010 Paris
Tél. 01.43.14.29.01 - Fax. 01.43.14.29.03
Site : www.alhyange.com
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Bonjour,
petite interrogation, comment pouvez vous assurer un débit homogène dans chacune des bouches sous les sièges avec ce système de plenum ?
Cdt
Loïc