Par Stéphane LEMEY – Responsable service Fluides et Energie, agence OTCE de Toulouse
Le contexte qui nous échappe
Force est de constater qu’avec des bâtiments de plus en plus performants, il devient incontournable de mettre plus d’intelligence dans les installations de génie climatique. Cette intelligence se trouvant concentrée dans les multiples automates, régulateurs, etc. mis en place dans nos bâtiments. Toutefois ceci pose de nombreux problèmes :
- Les bureaux d’études et entreprises ne maîtrisent pas (encore) parfaitement ces équipements qui prennent de plus en plus de place dans nos installations et perdent en autonomie par rapport à leurs fournisseurs ;
- Ces systèmes sont souvent disproportionnés au regard des attentes des utilisateurs et peuvent compliquer les opérations de conduite / maintenance ;
- Les installations de régulation et supervision, même si basées sur des protocoles de communication dits « ouverts », assujettissent bien souvent les différents intervenants et le client final à des acteurs qui deviennent incontournables.
Ainsi, bien souvent, bureaux d’études et entreprises (et client au final) se trouvent dans la position d’utilisateurs de services leur permettant, via des technologies diverses mais souvent captives, de se mettre en contact avec les installations de génie climatique et équipements tiers.
D’abord maîtriser la technologie
Tout commence par la maîtrise des tenants et aboutissants et on ne peut que constater que les bureaux d’études et entreprises maîtrisent mal ces nouvelles technologies.
En effet, au même titre que bien d’autres tâches nouvelles (calculs thermiques dynamiques, simulations thermiques, simulations aérauliques, etc.), la définition des installations de régulation et supervision nécessite des connaissances relativement pointues qu’il convient d’acquérir. Et le champ est vaste car cela nécessite :
- Des connaissances en automatisme et programmation ;
- Des connaissances en informatique / réseau ;
- Des connaissances en physique (sondes, etc.).
Sans cette maîtrise, le risque est d’aboutir à des systèmes mal conçus / inappropriés car la nature même des installations n’a pas été bien défini ou parce que la prestation n’a pu être maîtrisée / contrôlée faute de connaissance en ce domaine.
C’est capital : maîtriser les besoins
Autre point capital : la définition des besoins !
Sur ce sujet, nous ne pouvons que recommander la lecture et l’application du guide RAGE de juin 2014 « Bonnes pratiques pour concevoir et réaliser les systèmes de GTB ».
Extrait guide RAGE – Page 38
Il est en effet tentant de profiter de toutes les possibilités que permettent ces nouvelles technologies mais il faut résister à la tentation du tout numérique et à la mise à disposition de tous points de régulation sous prétexte qu’ils sont accessibles et exploitables. Il s’agit avant tout de bien questionner le client sur ses besoins réels et les ressources qu’il compte mettre à disposition pour l’exploitation de de ces systèmes de régulation et supervision. Avec éventuellement le développement d’un niveau « expert » permettant d’accéder à des informations susceptibles de permettre une optimisation de la performance énergétique du bâtiment.
Par ailleurs, il faut également souligner que ces équipements ne sont pas neutres sur un plan strictement écologique. Aux désastres environnementaux liés à l’extraction minière s’ajoute en effet l’impossibilité de recycler ces métaux, utilisés le plus souvent de manière intriquée, à des échelles nanométriques (cf. L'Âge des low tech, Philippe Bihouix).
Assurer l’accessibilité des systèmes de régulation et de supervision
Commençons par quelques illustrations :
Armoire électrique pré « ubérisation »
Armoire électrique post « ubérisation »
Ces nouvelles technologies comme on peut le constater ont considérablement modifié la nature des interfaces homme / machine. De manière similaire à ce que l’on peut observer dans nos voitures, la miniaturisation et l’électronique ont eu pour effet d’automatiser certaines tâches (mise en route des phares, des essuie-glaces, etc.) ou de numériser certaines actions (démarrage du véhicule, contrôle de la pression des pneus, etc.).
Or, cette évolution inéluctable, et positive sur bien des aspects, ne doit pas faire l’impasse sur un des aspects capital de nos métiers qui est que chaque bâtiment est un prototype à l’échelle 1 qui comporte bien des singularités ne permettant pas une simplification à l’extrême des dispositifs de contrôle / commande.
Aussi, il est primordial d’offrir aux clients et exploitants des interfaces les plus pratiques et didactiques possibles. Et pour continuer notre analogie avec les véhicules motorisés, il n’existe pas de valise de diagnostic permettant, par interfaçage avec les installations de régulation / supervision, d’effectuer un dépannage ou un réglage de façon totalement automatisée.
Modules de forçage à placer en sorties d’automates
(si non intégrés)
Module type RVL pour réglage d’une loi d’eau
Si la seule porte d’entrée au paramétrage / contrôle des installations consiste en un poste de supervision unique situé dans un local informatique inaccessible voire un placard insalubre, rien n’est acquis
Pour paraphraserMatthew B. Crawford (Eloge du Carburateur), le spécialiste des systèmes de régulation et supervision « projette une image de liberté triomphante au regard de laquelle les métiers manuels passent volontiers pour misérables et étriqués. Imaginez à côté le plombier accroupi sous l'évier, la raie des fesses à l'air. », mais ce triomphalisme ne résiste pas à la réalité du terrain où la conduite des installations de génie climatique nécessite une bonne dose de savoir-faire, de « débrouillardise » et une très bonne connaissance des contraintes mécaniques, électriques ainsi que des principes thermodynamiques.
Nota 1 : Afin de caricaturer à l’extrême, il faut toutefois avouer que la mise en place d’unité « simplifiée locale type RVL présente un certain nombre d’inconvénients dont le forçage confort /réduit/HG par le client sur le bouton en façade de régulateur sans mot de passe. Ce qui peut générer des déplacements de technicien intempestifs.
Nota 2 : Le contrôle numérisé des installations poussé à l’extrême peut être contre performant énergétiquement. On pourrait citer sur ce thème la très mauvaise expérience d’une entreprise d’exploitation / maintenance dans le cadre de ses contrats type P1 sur des établissements publics : l’informaticien qui devait programmer l’arrêt des installations de chauffage pendant les fêtes de Noël a failli et des MWh ont été dépensés inutilement pour maintenir des dizaines de bâtiments en chauffe alors que rien ne le nécessitait.
Assurer l’évolutivité des systèmes de GTB
Autre sujet majeur, l’évolutivité des systèmes ou leur simple modification (indispensable en cas de modification de l’usage du bâtiment, de recloisonnement, d’extension, etc.) est également rendu difficile par un certain nombre de problèmes :
- L’utilisation de supports ou protocoles de communication « propriétaire » peut rendre impossible l’ajout ou le remplacement d’équipements sans passer par le fournisseur initial ;
- Toutefois, l’utilisation de protocole ouvert et/ou normalisé ne garantit pas forcément un système facilement modifiable / évolutif. Le point le plus important étant de garantir l’interopérabilité des systèmes. De nombreux fabricants créant des paramètres qui leur sont spécifiques et donc non utilisables / reconnus par les autres fabricants (unvt pour le protocole Lon par exemple) ;
L’interopérabilité est basée sur le respect d’un standard (paramètres normalisé).
En s’abstenant d’ajouter des paramètres spécifiques
- La non possession des codes sources (les automates comportant généralement des versions compilées des programmes initiaux) ou des logiciels de programmation rend le client captif de l’intégrateur initial ;
- L’utilisation d’interfaces de supervision réalisées par les fabricants des matériels de régulation et non par des éditeurs de logiciels peut occasionner des problèmes d’interopérabilité avec les équipements tiers voire conduire à des problématiques d’obsolescence programmée pour des fournisseurs peu vertueux. Il est plus pérenne d’utiliser des outils développés par des éditeurs de logiciels (Panorama, PCVue, etc.).
Nota : à noter toutefois sur ce point que certains fabricants intègrent maintenant à leur offre la fourniture de licence d’exploitation intégrée.
- Etc.
Conclusion et recommandations
Ainsi, sur ce thème, c’est aux bureaux d’études et entreprises de défendre les intérêts de leur client afin de faire en sorte, par le choix des technologies et matériels employés, qu’il ne soit pas captif d’un intervenant unique. Le rendant ainsi maître de son destin et non plus utilisateur d’un service parfois chèrement payé.
Cette prise en conscience est d’autant plus importante que de nombreux nouveaux acteurs issus de l’internet s’intéressent maintenant à ces problématiques de confort, etc. (Google, Apple, etc.) et que ces systèmes de contrôle / commande s’étendent maintenant hors du bâtiment avec le développement des éco-quartiers et smart-cities. Ce, avec l’intégration de nouveaux usages (objets connectés, vidéosurveillance, contrôle d’accès, etc.).
Aussi, en guise de conclusion, vous trouverez ci-dessous quelques prérequis qui sont selon nous indispensables pour un bureau d’études dans cette optique :
- Se former :
- Aux problématiques de transport de l’information (type de supports, codage, etc.) ;
- Aux différents protocoles de régulation / supervision (chaque protocole ayant ses avantages et inconvénients selon la couche à laquelle il est dédié ; couches field, automation et management) dont les plus importants :
- ModBus (courant mais non normalisé, ce qui peut poser un certain nombre de problèmes) ;
- KNX ;
- LonWorks ;
- BACnet.
- Aux problématiques de mise au point des installations (choix des capteurs, choix des actionneurs, programmation, réglage PID, etc.).
- S’informer :
- Sur les différents fabricants et fournisseurs de matériel et leur positionnement concernant les différentes problématiques évoquées ci-dessus ;
- Sur l’évolution des technologies en matière de communication et régulation.
- Bien définir les besoins de son client ;
- Rédiger des documents « marché » précis intégrant à minima les éléments suivants :
- Une analyse fonctionnelle définissant clairement les logiques de régulation / supervision des différents systèmes (CVC, éclairage, dispositifs de ventilation naturelle, dispositifs de protections solaires, etc.) ;
- Une description de la typologie des réseaux d’information avec selon la couche concernée, les protocoles requis ;
- Imposer un certain nombre d’éléments permettant l’évolutivité des systèmes :
- L’intelligence doit être diffuse et non concentrée sur des équipements centraux ;
- Les équipements doivent être interopérables ;
- Les standards doivent être respectés (contre-exemple : utilisation d’une valeur logique 0/1 pour déclarer une alarme sous BACnet alors qu’un type spécifique existe) ;
- Les codes sources doivent être impérativement fournis ;
- La base de données des variables (nom, type, unité, adresse, etc.) doit être fournie ;
- Les outils de programmation doivent être fournis et libres de droit ;
- Etc.
- Une description précise des interfaces homme / machine :
- Poste central de supervision y compris méthode d’archivage des données (points de régulation, dispositifs de comptage, etc.) ;
- Postes annexes (écrans tactiles, dispositifs de forçage, etc.) ;
- Accès depuis extérieur via web-serveur ou autre dispositif le cas échéant.
- Suivre avec une attention particulière le déroulement des travaux / réception en y sollicitant le client final lors des étapes clés (établissement de la liste de points finale, définition des interfaces de contrôle /commande, réalisation des images de supervision, etc.) ;
- Sensibiliser le client à la nécessité absolue d’intégrer ces équipements aux contrats de maintenance des installations techniques.
Par Stéphane LEMEY
Responsable service Fluides et Energie – agence OTCE de Toulouse : Omnium Technique d’études de la Construction et de l’Equipement est composé des filiales : OTCE Aquitaine, OTCE Ile-de-France, OTCE Infra, OTCE Languedoc-Roussillon, OTCE Liban, OTCE Midi-Pyrénées, OTCE Organisation, OTCE Saudi.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, plus cher en limitant totalement l'autonomie des utilisateurs finaux et pour finir obtenir des installations non fonctionnelles, hors de portée des techniciens et ingénieurs (même du secteur), faire simple c'est l'ultime sophistication et on en est très très loin avec ces sociétés qui kidnappent les marchés et dossiers. Avec les GTC/GTB on réinvente la roue en permanence.. Il est préférable d'investir dans des technologies paramétrables et non programmable (pas d'automate) avec superviseur des comptages et surtout interface à très haute valeur pédagogique, manière de délivrer des interfaces qui ne s'adressent pas à des polytechniciens..