Par Didier ZAHM - Responsable d'Études Acoustiques d’OTE Ingénierie
Le nouveau conservatoire de musique, danse et arts dramatiques de Mulhouse prendra bientôt place au cœur du centre-ville de Mulhouse, dans les murs transformés de l’ancien Centre Europe. En plus des enjeux thermiques (rénovation BBC conforme au cahier des charges de la région Alsace), l’acoustique est un enjeu particulièrement fort sur ce projet qui héberge des activités culturelles.
Présentation de l’opération
L’architecture du Conservatoire évoquera côté ville, sous la forme d’un bandeau de panneaux verticaux en résine de synthèse, l’expression d’une partition musicale où apparaissent rythmes et variations, couleurs et accentuations. Une vision de face plutôt noire et blanche, une autre de biais plutôt colorée. La nuit, la perception de l’équipement culturel dans la ville sera plutôt bigarrée par le jeu des transparences et les couleurs des espaces intérieurs.
Pièce essentielle de l’équipement culturel, un auditorium de 300 places sera entièrement construit, est également des salles de musiques, des studios instruments, des salles de formation, des espaces de convivialité, des patios et des locaux administratifs. Tous ces locaux nécessitent un traitement acoustique, afin de répondre à trois objectifs :
- les protéger des nuisances sonores de l’environnement proche,
- traiter la qualité acoustique des espaces eux-mêmes
- isoler le bâtiment vis-à-vis des locaux ou environnement proches (« bruits » provenant de l’activité à isoler).
TOA architectes associés - insertion paysagère
Les enjeux acoustiques
Le bâtiment accueillant le nouveau Conservatoire comporte des solutions constructives très contraignantes, car les dalles d’origine sont très fines, induisant de faibles isolements aux bruits aériens et des transmissions structurelles très importantes. Les capacités de reprise de charge sont aussi modestes, limitant les types de solutions pouvant être employés. Pour encore simplifier le projet, celui-ci s’intègre sous deux tours d’habitation grandes hauteurs.
En France, il n’existe pas de texte qui réglemente spécifiquement l’acoustique des espaces d’enseignement de la musique et de la danse. Ce sont donc les attentes des utilisateurs, les contraintes d’environnement habité et le respect du programme qui ont fixé les objectifs d’isolement acoustiques et les niveaux de bruits d’impacts. Les exigences sont très élevées et ont été fixées pour garantir un confort acoustique uniforme dans tout le bâtiment.
Le traitement acoustique des façades
Les isolements de façade sont déterminés en premier lieu en fonction des types et classement des voies périphériques (trois voies classées autour du projet), mais sont également (et surtout) dimensionnés pour respecter les niveaux ambiants intérieurs mentionnés dans le programme. Les façades doivent aussi assurer une isolation élevée des activités musicales vers les riverains périphériques : l’isolation de façade visée pour se protéger des bruits routiers est de DnTAtr ≥35 dB, mais il est nécessaire d’augmenter cette valeur pour les salles d’enseignement.
Les éléments essentiels sur les façades sont les menuiseries. Celles-ci sont munies de vitrages feuilletés doubles, de performance Rw(C ;Ctr) = 45 (-1 ;-4) dB. Un système de ventilation double flux permet également de ne pas intégrer d’entrées d’air à ces menuiseries.
Sur les patios, employant des complexes verriers spécifiques en murs rideaux, le montage comporte une pièce intermédiaire spécifique limitant les transmissions latérales. Ce concept permet d’employer les vitrages requis et de réaliser un double montage au droit de chaque demi-cloison séparative, assurant la meilleure isolation possible entre les pièces et la maîtrise des transmissions latérales dans le mur rideau : il n’y a ainsi aucune transmission directe d’un vitrage vers celui de la salle contiguë, et l’isolement de cloison est maintenu jusqu’en tête de menuiserie.
Patio intérieur en cours de montage
Montage des planchers
Sur ce projet de rénovation, une contrainte était de limiter les charges permanentes (maximum 150 kg/m²), et de conserver les charges exploitation (de 250 à 400 kg/m² suivant les locaux). Une solution de planchers alliant légèreté et performances acoustiques a été développée. Le traitement est réalisé sous forme de chape sèche, avec des plaques de sol type FERMACELL en triples couches, reposant sur un ragréage allégé et une sous-couche acoustique :
Ragréage en granulats et montage du plancher flottant
Du côté de la circulation, où la nature du sol est différente, un montage spécifique est réalisé dans le même but de supprimer les jonctions solidiennes entre ces espaces. En effet, dans les circulations principales, le traitement comportera un ragréage de lissage, des matériaux de remplissage légers de type plaques de polyuréthane dense, puis une couche ou un matériau support de plancher chauffant, par exemple en laine minérale haute densité (type DOMISOL ou équivalent), assurant une réduction du bruit de choc ∆Lw d’au moins 20 dB), sur lequel sera coulée une chape béton de 6 cm, qui restera ensuite brute.
L’auditorium sera muni d’un plancher de danse type HARLEQUIN ACTVITY avec revêtement en parquet bois de chêne. La réduction ∆Lw des bruits de choc de ce type de complexe multicouches est d’au moins 22 dB.
Les trois salles de danse comporteront un plancher en bois sur lambourdes, posées sur des plots de désolidarisation en néoprène ou mousse de polyuréthane (par exemple REGUFOAM de BSW ou RUBBERGREEN VIBRA de KRAIBURG), dimensionnés en fonction des surfaces d’appui et des charges à reprendre. La réduction des bruits de choc visé est ∆Lw ≥ 30 dB.
Isolation au bruit aérien des salles de répétition
L’objectif est de limiter toutes les transmissions rigides entre les parements des salles pour optimiser les performances des parois assurant l’isolation acoustique, avec toujours la contrainte de trouver des solutions les plus légères possible. Le concept de plaques de plâtre en montage SAD 160 est optimisé par la mise en œuvre de doubles plaques préassemblées en usine, employant une colle viscoélastique (type Duotech 25 de Placoplatre), et un recoupement des planchers et plafonds. De la même manière qu’au niveau du sol, il est impératif que les parois, les ossatures et les plafonds de salles contiguës soient disjoints. Le plafond est ainsi recoupé et spécifique à chaque salle, et est suspendu sous un système de suspentes à ressort type WINFIX (Placoplatre). La vue ci-après représente la solution type employée au plafond des salles, où l’on voit également le système spécifique de piège à son sur la gaine de ventilation.
Plafond suspendu par boites à ressorts en cours de montage
Le traitement des ambiances sonores
La qualité sonore de chaque salle repose entre autres sur le bon équilibre spectral, une absorption maîtrisée sur l’ensemble des fréquences, l’absence de focalisation ou d’échos. Le traitement des salles du projet repose sur un ensemble de matériaux complémentaires et de leur bonne répartition géométrique. Pour des raisons d’homogénéité du projet, il y a un nombre restreint de matériaux de correction envisagé. L’optimisation des surfaces et des performances des différents matériaux permet d’obtenir les temps de réverbération et la qualité visés.
La solution de base proposée par l’équipe de conception pour corriger l’acoustique interne des salles musicales, consiste à introduire une notion de qualité d’ambiance sonore plus pertinente, basée plus sur le respect des timbres, permettant de restituer toutes les finesses sonores des instruments et de la musique, plutôt que de se focaliser sur le respect sensu-stricto d’une valeur de temps de réverbération.
Pour atteindre cet objectif, une partie des habillages muraux est réalisée en diffuseurs harmoniques d’un nouveau type. Ces dômes sont réalisés en fibres de bois haute densité taillés dans la masse, selon une géométrie parabolique reposant sur le principe d’une diffusion isotrope énergétique et fréquentielle. Ils sont soit lisses, soit perforés, répartis selon les besoins des musiciens.
Deux salles prototypes ont été construites dès le début du chantier pour contrôler les performances, valider les solutions constructives et faire tester les diffuseurs.
Salle prototype réalisée en début de chantier
D’autres traitements acoustiques d’ambiances ont été mis en place, dont le traitement des panneaux rayonnants dans certaines grandes pièces du projet. Ces panneaux sont micro-perforés avec une laine minérale en partie arrière, ce qui permet d’apporter un complément d’absorption dans ces salles.
Le traitement acoustique des équipements
Les matériels de chauffage, ventilation et les divers réseaux des salles de formation musicale et de répétition, les bureaux et des différents espaces calmes du projet, ont été dimensionnés, sélectionnés et sont mis en œuvre afin d’obtenir des niveaux sonores ambiants LnAT définis au programme.
La production de froid et le rafraîchissement des circuits d’eau, sont réalisés par un pompage d’eau de nappe, via un échangeur à plaque. Pour ce poste également, il n’y a que des pompes de circulation et aucun compresseur.
Toutes les installations de « production » de chauffage et de rafraîchissement sont regroupées dans un local technique clos situé au sous-sol du bâtiment. Le chauffage du nouveau conservatoire est assuré par une sous-station reliée au chauffage urbain via un échangeur thermique. Il n’y a donc ni brûleur, ni cheminée. Les pompes de circulation sont également implantées en sous-sol. L’eau chaude ou froide circule ensuite dans le bâtiment pour alimenter les centrales d’air ou directement dans les poutres climatiques ou les panneaux rayonnants. Il n’y a de fait aucune pompe ou circulateur dans les locaux de répétition ou de formation.
Les principaux locaux techniques (LT) assurant la ventilation des salles du conservatoire sont implantés à différents niveaux en fonction des contraintes de distribution. Les grandes salles de répétition, disposent chacune de leur propre système de ventilation indépendant. La connexion des salles sur le LT du sous-sol est assurée dans une galerie technique de distribution, qui constitue un local tampon et permet par ailleurs un bon recoupement avec les locaux périphériques.
Pour la distribution terminale de l’air, chaque salle comporte un ou plusieurs caissons de distribution absorbant munis de chicanes. (voir photographie sur la structure de faux plafond des salles de répétition).
Une attention particulière a également été portée au traitement acoustique des gaines de désenfumage. Celles-ci ont été réalisées en matériaux lourds de type Promat et sont équipées d’un clapet coupe-feu à étanchéité renforcée, placé au passage de la paroi acoustique.
L’auditorium dispose d’un système complètement indépendant de traitement d’air, comportant un local technique fortement isolé réalisé sous les gradins du public, et permettant une diffusion répartie très basse vitesse.
Construction des gradins de l'auditorium
Conclusion
Ce projet emblématique, combine des exigences acoustiques fortes, puisque les sources de « bruits » sont à la fois extérieures et intérieures, dans un bâtiment existant présentant de très modestes performances initiales, mais aussi parce qu’il faut garantir un confort acoustique spécifique pour chaque type de local.
Pour atteindre les résultats très performants attendus sur tous ces critères entre salles et vis-à-vis de l’extérieur, plusieurs types de solutions ont été combinés, permettant de forts isolements aux bruits aériens, une bonne réduction des transmissions de bruits de chocs et des transmissions structurelles.
Les traitements des ambiances sonores permettent d’atteindre un haut niveau qualitatif pour les musiciens.
Les mesures réalisées sur les salles prototypes sont conformes aux objectifs calculés lors des phases de conception, et les essais réalisés par les musiciens confirment le bien fondé de nos propositions.
Ces hauts niveaux qualitatifs sont bien sûr permis grâce à la qualité des équipes et des intervenants sur ce projet, et atteints grâce à des entreprises performantes et soucieuses de la qualité d’exécution.
Les intervenants du projet
Maître d’Ouvrage : CITIVIA (ex SERM)
Équipe de Maîtrise d’œuvre :
• TOA, architectes associés
• OTE Ingénierie, BET Tous corps d’État, OPC
• NOTE, Ingénierie acoustique
• OTELIO, Bureau d’études Thermique, Référent HQE
Par Didier ZAHM
Responsable d'Études Acoustiques - Chef de Projet. Didier ZAHM est diplômé d’un DUT Technicien en Environnement Industriel et d’un MASTER en Acoustique Architecturale et Urbaine. Il a développé les missions d’études et de mesures acoustiques dans les domaines de l’environnement, de l’industrie et du Bâtiment. Il a également mis en place et animé des interventions sous forme de cours.
Tél : 03 88 67 55 53 - Mobile : 06 73 68 01 07 - e-mail : Didier.zahm@ote.fr