Par Alice MEHEUT - Ingénieur et cogérante du BET UBAT
Le législateur n’avait pas imaginé imposer des mesures de perméabilité à l’air sur les bâtiments tertiaires :
ni dans le cadre du label BBC Effinergie, ni en RT 2012 et pourtant les demandes sont bien là …
Que dire sur ces bâtiments tertiaires du point de vue de la perméabilité à l’air ? Ouvrages singuliers qui pour certains ne doivent surtout pas prendre le risque d’une mesure de la qualité de l’enveloppe à réception ; ouvrages références qui pour d’autres sont une réelle promesse de performance …
Les exigences dans les cahiers des charges en termes de perméabilité à l’air (Q4Pa-surf et n50) sont de plus en plus élevées, souvent guidées par les impératifs des calculs énergétiques, et nécessitent donc de la méthode pour passer de la promesse à la réalité :
1. Anticiper les risques et points singuliers
2. Partager les objectifs et Former les équipes
3. Réaliser des mesures en cours de chantier
4. Organiser des autocontrôles
5. Mesurer le bâtiment en entier à réception
Rarement intégrée dans les démarches AMO HQE, l’analyse du bâtiment sous l’angle de la perméabilité à l’air mérite pourtant d’être faite, comme pour ce bâtiment de bureaux rénové de type haussmannien et dont le classement patrimonial nécessite de conserver une partie de façade avec vitrail, les anciennes cheminées et la charpente du 19ème siècle…
Cette analyse critique, en amont de la phase d’exécution, permet de lister les « obstacles » à une bonne étanchéité à l’air de l’enveloppe et de déterminer les solutions adéquates (solutions techniques et solutions d’organisation notamment pour le phasage des intervenants), tout en respectant les impératifs de la construction.
Derrière le terme « partager les objectifs », se cache peut être le réel challenge. La difficulté n’est pas finalement l’analyse mais son appropriation. Comment concrètement modifier les habitudes de travail des professionnels ? Sûrement pas en répartissant les sanctions sous forme de pénalités attribuées aux différents lots si la valeur de perméabilité à l’air mesurée n’est pas satisfaisante à la réception, encore moins en désignant l’un des lots comme le seul « coupable » potentiel d’un éventuel échec …Tous les retours d’expérience montrent que le succès est d’abord lié au facteur humain : la qualité de la coordination des différents intervenants, la vision transversale sur le projet, les échanges sur le thème de la perméabilité à l’air dans les réunions de chantier tout au long du projet.
L’investissement dans la communication et l’échange, avec toutes les parties, sur les enjeux de la perméabilité à l’air est donc un préalable au moins aussi important que la recherche des solutions techniques pour traiter l’étanchéité à l’air.
Rassurantes, les mesures en cours de chantier sont normalement un moyen de vérifier que les travaux sont sur le bon rail … Pourtant la sélection des zones témoins à tester influence énormément cette étape de validation et peut conduire, lorsqu’elle n’est pas faite de manière pertinente, à des déceptions. Que dire d’une salle de classe, d’un simple bureau et d’une chambre dans un EHPAD sélectionné comme « zone témoin » en mesure intermédiaire et donnant pourtant des résultats effrayants en terme de Q4Pa-surf (souvent supérieur à 4 !). Le cloisonnement, entre les salles de classe d’un Collège par exemple, n’est pas prévu pour être étanche puisque toutes ces classes sont à l’intérieur du volume chauffé. Par conséquent, les chemins de câbles, les gaines techniques, les faux-planchers et faux-plafonds traversant directement ces cloisons intérieures réduisent les chances de réaliser une mesure représentative …
Convaincre les maîtres d’ouvrage que la validation de l’enveloppe du bâtiment, objectif de la mesure intermédiaire, ne peut se faire en testant une salle de classe mais plutôt en préparant une zone de façade compartimentée ou une zone témoin représentative (sur un niveau entier ou une partie de niveau) est parfois un exercice périlleux quand ce n’est pas prévu au cahier des charges. La difficulté réside également dans le planning. Cette phase de préparation de la « zone témoin » n’étant pas prévue au planning de chantier, il devient très difficile de programmer le point d’arrêt dans l’avancement du chantier pour faire le test … alors il ne reste plus qu’à tester une salle de classe, plus simple à préparer et organiser à priori.
Le tableau des valeurs ci-dessous montre les écarts observés en terme de Q4Pa-surf entre des tests en cours de chantier sur des salles de classe, bureaux simples, chambres d’EHPAD et les résultats de Q4Pa-surf sur le bâtiment entier à réception :
Tableau des valeurs Q4Pa-surf COMPARATIVES
OPERATIONS |
Type de |
Résultat 1 chambre |
Résultat bâtiment entier |
|||
|
|
surface |
Q4Pa-surf |
surface |
Objectif |
Q4Pa-surf |
BUREAUX NEUFS |
1 Bureau |
50 m² |
18 m³/h/m² |
7000 m² |
1.70 m³/h/m² |
0.61 m³/h/m² |
ECOLE |
1 Classe |
60 m² |
6.56 m³/h/m² |
2400 m² |
1.70 m³/h/m² |
0.38 m³/h/m² |
BUREAUX RENOVES |
1 Bureau |
70 m² |
9.31 m³/h/m² |
3500 m² |
1.20 m³/h/m² |
1.18 m³/h/m² |
EHPAD |
1 Chambre |
25 m² |
2.89 m³/h/m² |
6500 m² |
0.80 m³/h/m² |
0.67 m³/h/m² |
RESIDENCE HOTELIERE |
1 Chambre |
45 m² |
3.09 m³/h/m² |
2610 m² |
1.20 m³/h/m² |
0.99 m³/h/m² |
FOYER JEUNES TRAVAILLEURS |
1 Chambre |
21 m² |
3.09 m³/h/m² |
2800 m² |
1.00 m³/h/m² |
0.53 m³/h/m² |
Les mesures en cours de chantier sur des parties de façade ou des parties de niveau permettront, sans aucun doute, d’identifier les infiltrations d’air parasites au niveau de l’enveloppe du bâtiment et de prendre des mesures correctives pour améliorer les défauts d’étanchéité à l’air des menuiseries extérieures, des portes donnant sur l’extérieur, des trappes et gaines techniques, etc.
Toutefois, les mesures finales montrent que, malgré tout, des défauts récurrents et persistants sont toujours présents le jour de la réception :
- Portes d’accès sur des locaux poubelles et des locaux techniques sans étanchéité au niveau des seuils
- Porte du Hall d’entrée avec des défauts de réglage ouvrant/dormant
- Fenêtre présentant des défauts de fermeture
- Ouvrants pompiers et ouvrants de désenfumage avec des joints défectueux
Tous ces « petits détails » n’en sont plus le jour de la mesure à réception. Ils nécessitent des autocontrôles qui ne sont pas souvent mis en œuvre faute de temps à la livraison. La clé du succès réside donc dans la capacité des équipes à aller jusqu’au bout de tous les autocontrôles, en cours de chantier et avant la livraison.
La question est souvent posée de savoir s’il faut mesurer ou non le bâtiment en entier à la réception pour la validation de la performance sur l’étanchéité à l’air. Sans aucun doute, c’est le bâtiment entier qui doit être mesuré, à l’opérateur de tout mettre en œuvre pour démontrer qu’il possède les moyens techniques de réaliser cette mesure (Machines Grands Volumes).
Photo : MGV (porte soufflante pour bâtiment tertiaire jusqu’à 100000m³ à un indice de perméabilité de 1.7 m³/h.m²)
Le doute s’est pourtant installé dans les esprits car la norme NF EN 13829 et son guide d’application GA P50-784 (Février 2010) prévoient des « dérogations » pour des bâtiments complexes qui ne pourraient pas être mesurés en entier. Du coup, nombre de maîtres d’ouvrage et d’opérateurs de mesure ont préféré réaliser des tests « par échantillonnage » alors que ceux-ci ne sont pas autorisés à partir du moment où le bâtiment ne présente pas de spécificités empêchant cette mesure en entier (le manque de moyen matériel n’étant pas une justification suffisante).
Cette confusion est levée avec la parution du nouveau guide d’application GA P50-784 en Décembre 2014 qui vient clairement stipuler que la mesure de la perméabilité à l’air d’un bâtiment non résidentiel est réalisée sur le bâtiment en entier sauf 3 cas particuliers :
- Si tout le bâtiment n’est pas soumis aux mêmes objectifs de perméabilité à l’air
- Si le bâtiment est composé de plusieurs parties non communicantes et sans liaison aérauliques entre elles
- Si l’usage de certaines zones du bâtiment en interdit l’accès
L’autre point délicat à gérer sur les bâtiments non résidentiels porte sur la préparation du bâtiment préalablement à la mesure. Cette question justifierait un chapitre entier à lui seul, nous limiterons le sujet à la problématique des ascenseurs qui, là aussi, est souvent mal comprise.
Le système de ventilation haute des cages d’ascenseurs entraîne nécessairement des fuites d’air parasites au moment de la mesure et cela même si les ascenseurs sont mis à l’arrêt avec leurs portes fermées. Nombreux sont ceux qui pensent donc que le colmatage de ces ventilations hautes par des adhésifs le jour de la mesure permettra de résoudre le problème. Certes, ce colmatage réglera le problème de fuites mais dans ce cas la mesure ne sera pas conforme à la norme et ne pourra être prise en compte pour la validation de la performance du bâtiment. Elle sera considérée comme une mesure en cours de chantier (méthode B).
La VH des ascenseurs ne peut être colmatée que si les déperditions de cette ventilation sont déjà prises en compte dans le calcul thermique : par exemple avec un système de ventilation mécanique dédié à la cage d’ascenseur.
Le CEREMA confirme sur son site internet :
« Les ascenseurs, quand ils sont inclus dans la zone soumise à l’essai de perméabilité à l’air, doivent faire l’objet des conditionnements suivants :
Les portes doivent être fermées mais non colmatées,
Si la ventilation de l’ascenseur, prévue pour le respect des exigences de sécurité incendie, est prise en compte dans le calcul thermique, les amenées d’air et les extractions doivent être colmatées ;
Si cette ventilation n’est pas prise en compte dans le calcul thermique, les ouvertures ne doivent pas être colmatées ; d’autre part, si elle est assurée par un ouvrant permanent, celui-ci doit être laissé en l’état ; par contre, si cet ouvrant est muni d’un système de fermeture automatisé, en position fermée dans les conditions normales d’utilisation, alors l’ouvrant est fermé et non colmaté.
Tout autre conditionnement induit une méthode B, impropre au calcul du Q4Pa-surf. »
L’expérience acquise depuis maintenant presque 7 ans (lancement du label BBC Effinergie en 2007) a démontré l’intérêt de mesurer la performance réelle et de passer de l’ère de la promesse à celle de la vérification. C’est une grande avancée qui n’a pas échappé aux maîtres d’ouvrage soucieux de progresser dans l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments. Le temps est venu de consolider cette aventure par des démarches professionnelles et rigoureuses qui permettent d’anticiper les risques et de fiabiliser les méthodes.
Par Alice MEHEUT
Ingénieur et cogérante du BET UBAT Paris spécialisé dans les mesures de perméabilité à l'air et l'infiltrométrie du bâtiment – alice.meheut(at)ubat.fr
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