Rafraîchissement passif ; une référence sans climatisation !

Par Jean-Pascal ROCHE - ingénieur énergéticien spécialisé dans les concepts HQE®.



A l'occasion de la construction d'un nouveau bâtiment pour le CNRS sur le site de l'Institut d'Etudes Scientifiques de Cargèse en Corse, un travail très poussé de recherche et de conception a été réalisé sur le confort d'été et la ventilation naturelle. Un des objectifs principaux du Maître d'Ouvrage était de disposer d'un bâtiment confortable en été sans avoir recours à du rafraîchissement actif, afin de minimiser les consommations énergétiques tout en profitant d'une liberté de fonctionnement en adéquation avec le superbe site du projet.



Bâtiment à Cargese




Les enjeux du projet


Dès la décision de construire un bâtiment d'hébergement, le CNRS a souhaité faire de ce projet une référence en terme de confort d'été. L'INES (Institut National de l'Energie Solaire), intervenant en temps qu'AMO auprès du CNRS, a choisi ce projet comme cas d'application dans le cadre d'un programme de recherche dénommé 4C (Confort en Climat Chaud sans Climatiser) sélectionné par l'ANR (Agence Nationale de la Recherche).



Bâtimenst à Cargese



Programme scientifiques et technique de 4C

Le sujet proposé concerne l’étude de la ventilation naturelle durant les saisons chaudes au Sud de la France continentale et dans les DOM. Cette problématique longtemps écartée des projets revient avec la politique de maîtrise des coûts et la gestion de bâtiments économes en énergie.
L’objectif est de modéliser, de contrôler et d’optimiser la ventilation naturelle pour limiter l’utilisation des systèmes actifs de traitement de l’air.

Ce projet s’inscrit dans les problématiques liées à la modélisation simplifiée, intermédiaire et détaillée des phénomènes convectifs  dans les bâtiments et dans des composants aérauliques passifs de bâtiments.

Cette démarche constitue une rupture technologique majeure par rapport à l’existant : ajout systématique de climatiseurs sur les constructions neuves ou existantes.

Il s’agit de fédérer autour d’un même projet des thématiques complémentaires issues de différents laboratoires : 

- la modélisation fine des écoulements à l’aide d’outils de simulation numérique de composants passif de bâtiments et de pièces
- l’étude des situations d’écoulement stables ou instables dans les composants passifs et l’amélioration de ces composants passifs en déterminant des paramètres clés d’optimisation
- la réduction des champs de données produites et la confrontation avec des expérimentations de laboratoire et à l’échelle 1


La commande du rafraîchissement par ventilation naturelle est une des clés de ce projet, ainsi que la modélisation de niveau de finesse intermédiaire qui a un fort potentiel d’intégration dans les outils de dimensionnement à destination des industriels.

Cette modélisation permet l’intégration des modèles réduits développés à partir des expérimentations et des simulations numériques fines tout en permettant l’optimisation du couplage global dans un système complexe tel qu’un bâtiment.

Le rafraîchissement passif est un sujet complexe qui ne peut se traiter que par la prise en compte de phénomènes physiques théoriques associés à des réalisations expérimentales.

Pour cette raison le projet se décomposera en trois parties ; l’une reposant sur l’expérience des différents partenaires ; l’autre sur l’étude des comportements aérauliques par codes de calcul ; et la dernière sur l’expérimentation. En matière de rafraîchissement passif, la prise en compte des conditions climatiques est fondamentale ce qui nous conduira à proposer trois réalisations dans des contextes bien différents, l’une située sur l’île de La Guadeloupe, l’autre à La Réunion, la dernière étant réalisée en Corse, ces trois site ayant en plus de conditions climatiques très chaudes un contexte énergétique particulièrement délicat.  En effet les émissions de CO2 liées à la fourniture d’électricité se situent autour de 800 g/kWh dans ces régions alors qu’on se situe autour de 150 g/kWh en France continentale, ces chiffres  suffisent à comprendre l’urgence de limiter le recours à la climatisation conventionnelle.




Un travail sur le bâti


La performance énergétique et le confort d'été d’un bâtiment passe avant tout par :

- une conception architecturale adaptée permettant de réduire les surfaces d’échange   et de déperdition, de profiter des apports du soleil en hiver, de s’en protéger en été   et de favoriser l’éclairage naturel
- puis, par un très bon niveau d’isolation
- et enfin, par des systèmes techniques performants et adaptés

Nous avons donc fait le choix d'un bâti optimisé pour répondre à l'objectif avec :

- un bâtiment compact pour limiter les pertes de chaleur
- une orientation Nord-Sud et un bâtiment traversant pour bénéficier des apports solaires passifs en hiver et s'en protéger facilement en été et surtout pour permettre une ventilation traversante naturelle


Un choix d'inertie mixte : pignons en béton isolés par l'extérieur + planchers béton + refends béton entre chaque chambre et façades à ossature secondaire bois et isolation par ouate de cellulose et fibre de bois. Ce choix permet d'éviter le problème de paroi froide posé par une isolation par l'extérieur des façades principales.

Une optimisation des surfaces vitrées : vitrages Est et Ouest très limités pour réduire les apports solaires en été (énergie incidente plus importante sur ces façades qu'en façade Sud).

Vitrages Nord et Sud optimisés pour assurer à la fois le confort visuel, le confort d'été et des pertes de chaleur limitées en hiver.

Des protections solaires pour toutes les baies : casquettes formées par les balcons et le débord de toiture en façade Sud dimensionnées pour permettre l'ensoleillement en hiver et supprimer les apports solaires en été; complément par volets persiennés coulissants en bois.




Etude de faisabilité concernant la ventilation naturelle


Le rafraîchissement passif des bâtiments dans les climats modérés ou les climats présentant une différence de température jour/nuit repose sur l’utilisation d’une forte inertie thermique couplée à une protection solaire optimale le jour et sur une ventilation nocturne suffsante pour stocker la fraîcheur la nuit afin de réduire les pics de température dans les pièces le jour suivant.

Le climat à Cargèse s’apprête bien à un rafraîchissement passif et le nouveau bâtiment d’accueil en construction sur le site CNRS de l’Institut d’Études Scientifiques (IES) de Cargèse est destiné à être rafraîchi par ventilation naturelle. Une étude très complète a été réalisée par l'INES afin de vérifier l’amélioration que peut apporter une bonne activation de l’inertie thermique du béton d’une part et d’autre part vérifier si cette activation peut être réalisée par une surventilation naturelle le soir.

Une chambre type a été modélisée; une première simulation a été réalisée par approche multizone.

La modélisation multizone consiste à représenter le bâtiment comme un ensemble de zones homogènes dont les caractéristiques thermo-physiques sont idéalisées par un seul noeud de calcul. Ainsi nous supposons qu’au sein de chaque zone, le mélange est parfait et instantané et que la température, la densité et le pourcentage d’humidité réduits au centre de la zone sont représentatifs de l’état de la zone à un instant "t" donné. Quant à la pression, nous considérons qu’elle suit une variation hydrostatique selon la hauteur de la pièce. Ces hypothèses aident à limiter le nombre d’équations et de variables indépendantes nécessaires pour décrire des bâtiments complexes avec un nombre important de zones et permettent la réalisation de simulations annuelles dont le temps de calcul est limité.

Une deuxième approche plus fine a ensuite été réalisée; le but étant de détailler les échanges thermo-aérauliques par ventilation naturelle en caractérisant de manière plus précise l'évolution de champ de température et de vitesse au sein de la chambre et en ciblant les zones d'inertie les plus sollicitées. La méthode suivante appliquée sur un modèle intermédiaire a été employée :

- Résolution directe de l’équation de Navier-stokes par la méthode des éléments finis en utilisant la technique de décomposition d’opérateurs par projection
- Application de l’algorithme d’adaptation du maillage afin de réduire la taille du maillage, le temps de calcul et la taille de mémoire allouée, tout en préservant   la qualité de la solution
- Parallélisation du calcul




Les résultats de ces travaux de recherche ont permi de tirer les conclusions suivantes:

- la ventilation naturelle peut assurer le débit minimal hygiénique de 0.5 Vol/h
- la ventilation naturelle peut assurer des débits de renouvellement d’air  convenables le   soir
- l’inertie thermique du bâtiment couplée à la surventilation nocturne améliore considérablement le confort thermique au sein du bâtiment.

Nota : les travaux de recherche, résumés très brièvement ci-dessus, ont été réalisés par Louis STEPHAN et Etienne WURTZ au sein du laboratoire LOCIE de l'INES, dans le cadre du programme ANR 4C.




Les systèmes de la ventilation


Les systèmes de ventilation retenus devaient permettre de maitriser les débits et donc les consommations de chauffage en hiver et de ventiler fortement, en fonction des conditions de température, pour assurer un rafraîchissement passif en été.


systèmes de ventilation




Le choix s'est porté sur :

- une installation de VMC (Ventilation Mécanique Contrôlée) composée d'une grille d'entrée d'air autoréglable (45 m³/h) par chambre située en menuiserie en façade Sud, d'une bouche d'extraction autoréglable (45 m³/h) par chambre située dans la salle d'eau, d'un réseau de gaines d'extraction et d'un caisson d'extraction à moteur microwatt basse consommation.

- un châssis bois à ouverture manuelle situé dans chaque salle d'eau et permettant une ventilation naturelle de la salle d'eau l'été.

 VMC toilettes   châssis bois vitré à ventelles motorisées châssis bois vitré à ventelles motorisées

- un châssis bois vitré à ventelles motorisées situé, dans chaque chambre, sur la façade Sud, en allège sous le bureau; ce châssis fait office d'entrée d'air en ventilation basse pour la ventilation naturelle traversante en été.

- un châssis bois vitré oscillant motorisé situé, dans chaque chambre, sur la façade Nord, en imposte de la porte d'entrée; ce châssis fait office de ventilation haute pour la ventilation naturelle traversante en été.




- un brasseur d'air plafonnier à 3 vitesses




- un pilotage intelligent de l'ensemble par un régulateur communiquant et une commande murale par chambre

pilotage intelligent de l'ensemble par un régulateur

L'ouverture et la fermeture des châssis motorisés sont gérés par le régulateur, sur programmation horaire, en fonction d'une différence de température intérieure / extérieure et en fonction de la vitesse du vent à l'extérieur. Les 3 vitesses du brasseur d'air sont également gérées par le régulateur en fonction de la température intérieure. Le boîtier d'ambiance mural situé dans chaque chambre permet manuellement de déroger aux vitesses du brasseur, de modifier la consigne de température d'ambiance (+/- 3°C) et de choisir les modes de fonctionnement de la régulation automatique (normal / réduit / arrêt).




Le suivi


Dans le cadre du projet de recherche ANR 4C, un programme de suivi a été mis en place. Deux chambres témoins ont été équipées de 3 sondes de température d'ambiance (sol, mur, plafond), de 3 sondes de température de contact (sol, mur, plafond), d'une sonde de vitesse d'air. Des compteurs d'énergie ont été prévus par usage. Une station météo a été placée en toiture afin de mesurer l'ensoleillement, la température extérieure et le vent (vitesse et direction). L'objectif du suivi est de pouvoir valider les hypothèses de calcul et agir sur le paramétrage de la régulation afin de garantir le confort d'été.




Conclusion


Malgré une livraison au mois de juin dernier et un paramétrage de la régulation perfectible, le bâtiment a été occupé tout l'été dans de bonnes conditions de confort. Depuis, la supervision a été installée et programmée. Tout est en place pour pouvoir assurer le suivi prévu, affiner les réglages et ainsi valider les études théoriques.







Par Jean-Pascal ROCHE du Bet ADRET
J.P. ROCHE est ingénieur énergéticien spécialisé dans les concepts HQE®. Il intervient sur le territoire national dans les programmes tertiaire et résidentiel en assistance à Maîtrise d'Ouvrage et maîtrise d'œuvre www.adret.net



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Commentaires

  • Olivier
    0
    18/04/2021

    Merci beaucoup d'avoir partagé cette étude très intéressante mais très loin de ce qui est proposé de base, y compris sur des projets RT 2012
    Nous menons un projet d'habitat participatif en occitanie. Les simulations STD RT nous inquiètent compte tenu : 1) de la base été caniculaire retenu qui est loin de l'été 2003 et 2) des valeurs importantes en terme de nombre d'heures de température d'inconfort.
    Pourriez-vous nous orienter : sur quelle base interpréter ces valeurs (T° inconfort). Qu'est-ce qu'une valeur alarmante ? Comment interpréter ces grandeurs en terme d'usage ?
    Cordialement,


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