Rodrigue LECLECH, Responsable Pôle Construction IDF, associé Pouget Consultants
Il faut atteindre le plus vite possible le niveau RE2031 pour regagner la confiance et montrer notre capacité collective à répondre aux enjeux actuels tant climatiques qu’énergétiques et pour éviter les dommages graves et irréversibles à horizon 20 ou 30 ans ! Voici l’analyse et la démonstration de Rodrigue LECLECH, Responsable Pôle Construction IDF, associé Pouget Consultants.
La RE2020, outil de décarbonation de la construction
RE2020, des seuils réglementaires en cascade
La Réglementation Environnementale 2020 (RE2020) fait rentrer le secteur bâtiment dans cette action collective avec ambition, et pragmatisme. Avec ambition puisqu’elle prévoit une accélération, tous les 3 ans, des seuils réglementaires pour s’aligner sur la Stratégie Nationale Bas Carbone avec une baisse globale de 42% entre 2022 et 2031.
Et avec pragmatisme, en donnant du temps à toutes les filières de s’adapter et aux acteurs de se préparer sur la baisse des émissions carbone.
La RE2020 distingue les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux consommations énergétiques (Indicateur Icénergie) des émissions dues aux matériaux de construction (Indicateur Icconstruction).
RE2020 et logements collectifs
En logements collectifs, concernant la partie énergie, c’est dès 2025 que l’effort principal est à faire. En effet, d’un seuil moyen[1] de 560kgCO2/m²SHA pour les Permis de Construire (PC) déposés entre 2022 et 2025, l’exigence chute à 260kgCO2/m²SHA pour les PC qui seront déposés à partir du 1er janvier 2025, pour ne plus évoluer ensuite (de 2025 donc à 2031). Une dérogation est accordée aux Réseaux de Chaleur Urbain (RCU) entre 2025 et 2028 pour leur permettre de faire évoluer leurs mixes énergétiques. Le graphique ci-dessous représente cette évolution de seuil en logements collectifs :
Pour la partie matériaux l’effort global de 35% de baisse des émissions de GES est lissé sur trois étapes 2025, 2028 et 2031 avec une baisse moyenne de 12% par palier.
Ci-dessous la représentation graphique de l’évolution du seuil Icconstruction :
[1] La RE2020 intègre de nombreuses modulations pour adapter les seuils réglementaires aux contraintes des sites pour harmoniser les efforts et impacts de la réglementation sur les projets.
La trajectoire est claire, c’est maintenant au secteur du bâtiment dans son ensemble de la suivre !
RE2020 et palier 2031, c’est quoi ?
Energie, les solutions sont identifiées et sont vouées à se développer
L’étape de 2025 marque un vrai tournant dans les choix énergétiques en excluant les solutions qui utilisent une énergie 100% fossile.
En 2025, la Pompe à Chaleur (PAC) deviendra la solution phare des bâtiments neufs, là où aucun réseau de chaleur bas carbone (moins de 125gCO2/kWh) ne sera déployé.
Elle pourra être double usage, chauffage et ECS ou triple usage avec une production de froid[2] (attention alors aux effets d’ilot de chaleur urbain), assurant l’intégralité des besoins en chaleur du bâtiment ou qu’une partie avec une chaudière gaz en appoint, ce qu’on appelle l’hybridation.
Il est important de noter que les solutions PAC sont courantes en maison individuelle, mais tout à fait récentes en immeuble résidentiel. Il va être nécessaire, sur les premières installations de bien identifier les problématiques de mise en œuvre pour éviter les contre-références et déployer sereinement cette solution de décarbonation[3].
Dans certains cas, sur les projets très bien isolés (Bbio-30% à minima) et présentant une bonne compacité, il sera possible d’associer une production d’eau chaude sanitaire thermodynamique à un chauffage électrique par panneaux rayonnants. La faible efficacité du chauffage électrique étant compensée par la qualité de l’enveloppe isolante.
Autre solution identifiée, les chaufferies biomasse seront également en mesure de répondre aux ambitions de la RE2020 pour les solutions les plus performantes avec des chaudières à condensation.
Le seuil de 2025 est résolument une étape importante dans l’histoire du bâtiment en bousculant fortement et rapidement les habitudes sur le choix énergétique. L’usage des énergies fossiles sera fortement réduit dans les logements neufs !
Matériaux, sobriété et biosourcés
La RE2020 est réaliste avec des seuils progressifs qui seront atteignables avec le développement des solutions industrielles, une programmation et une conception architecturale adaptées.
La difficulté est bien d’anticiper les seuils !
Avoir le point d’arrivée en ligne de mire doit permettre à tous les acteurs de trouver à leurs échelles les réponses adéquates. Nous voyons plusieurs (r)évolutions nécessaires.
Les industriels doivent développer des produits bas carbone soit en faisant évoluer leurs outils industriels, par exemple avec l’utilisation d’énergies renouvelables dans leurs process industriels, soit en modifiant en profondeur leurs « recettes ». L’exemple du béton qui cherche à substituer le clinker, composant qui représente plus de 90% du CO2 émis par le béton, par d’autres « ingrédients » est tout à fait représentatif de la direction prise par les fabricants de matériaux. Cela nécessite d’abord des investissements importants en R&D, puis de tester sur des chantiers ces nouveaux produits tout en validant l’assurabilité des ouvrages, leurs réponses aux différentes réglementations et règles professionnelles et en obtenant les avis techniques, avant de déployer les chaines de fabrication.
Connaître le calendrier des objectifs est donc essentiel pour sécuriser ces investissements en ayant la certitude que le produit sera adapté et pertinent dans le contexte réglementaire à venir. C’est tout l’intérêt d’une trajectoire claire !
A l’échelle urbaine il faut créer un cadre urbain en cohérence avec une approche bas carbone, c’est-à-dire adapté à des morphologies efficaces, simples et rationnelles, acceptant des matériaux de façade bas carbone et frugaux, modifiant la place de la mobilité (qui aujourd’hui grève les budgets et est responsable de beaucoup d’émissions de GES). Ce cadre doit être travaillé avec les collectivités, urbanistes, aménageurs et aboutir dans les documents d’urbanismes pour favoriser les projets bas carbone et contraindre les pratiques peu vertueuses.
Il convient là d’éviter les contradictions, trop nombreuses actuellement, entre volonté environnementale, ambition architecturale et capacité économique des opérations. Pour répondre aux attentes de chaque ville, de ses habitants et usagers, il convient que la réflexion soit menée avec les contraintes et opportunités locales.
Enfin, il convient que l’ensemble des métiers de l’ingénierie s’empare de ces nouveaux produits et modes constructifs, les assemblent intelligemment, ingénieusement, pour répondre au projet architectural dans une optimisation du couple carbone-coût, sans oublier le confort et la qualité de vie des futurs occupants !
Le bois massif, solution phare de la RE2031 en 2023 !
Viser le niveau 2031 dès aujourd’hui limite grandement les solutions possibles, mais les leviers sont chaque jour un peu plus nombreux. La maîtrise d’œuvre peut aujourd’hui piocher dans les solutions comme la construction bois, le réemploi, la réduction des quantités de matière par l’architecture et les modes constructifs.
En attendant l’évolution des produits, les projets qui respectent aujourd’hui les seuils carbone de la RE2031 utilisent majoritairement la construction bois.
[2] Refroidir un bâtiment c’est extraire sa chaleur et la renvoyer dans l’environnement du bâtiment. Dans le cas des PAC fonctionnant sur l’air, c’est donc réchauffer l’air extérieur. Cela participe alors aux effets d’ilot de chaleur urbain. Ce point doit donc faire l’objet d’une attention particulière dans le cas de bâtiments rafraîchis.
[3] Voir l’étude sur les freins et les leviers à la diffusion de la pompe à chaleur en logement collectif réalisée par POUGET Consultants pour la DHUP : https://rt-re-batiment.developpement-durable.gouv.fr/etude-sur-les-freins-et-les-leviers-a-la-diffusion-a713.html
C’est le cas par exemple du projet Mélia réalisé par Woodeum à Taverny (cf source ci-avant).
Le mode constructif développé par Woodeum et généralisé sur l’ensemble des opérations du groupe repose sur des porteurs verticaux et horizontaux en bois massif CLT, produit largement décarboné. L’usage du béton est donc réduit au strict minimum pour les ouvrages où il est difficilement substituable (noyaux ascenseurs-escaliers, sous-sol, …).
Dans sa prise en compte dans les Analyses de Cycle de Vie (ACV) de la RE2020, le bois massif bénéficie du stockage carbone. Il est en effet considéré que le carbone capté par les cellules des arbres pendant leurs croissances sera stocké dans le bâtiment pendant toute sa durée de vie. Le bois massif type CLT permet de maximiser cette séquestration puisque la quantité de bois est importante.
L’impact carbone de la superstructure (lot 3 de l’indicateur Icconstruction) est alors négatif !
Afin de proposer une intégration urbaine optimum, l’opération se recule de la limite séparative ouest proche des pavillons ce qui permet également de libérer un grand jardin en pleine terre. Ce bâtiment compact présente un épannelage allant du R+4 à l’est au R+2 pour se raccrocher à la hauteur de bâti existant. La compacité du bâti permet tout de même de proposer une façade rythmée de plein et de vide avec une écriture architecturale basée sur un jeu volumétrique entre les balcons rapportés et les creux des loggias.
Les matériaux de façade associent enduit et produits biosourcés (bardage bois, menuiseries et volets bois) pour limiter les émissions de CO2 du lot 6 - façade à 43kgCO2/m²SHA.
La toiture en charpente bois permet également de limiter l’impact carbone des matériaux.
© Vincent Epaillard, Architecte : Atelier M3
Mêler excellence environnementale et confort d’usage
Réduire le taux de surface vitrée c’est améliorer le bilan carbone, limiter les consommations énergétiques et l’inconfort estival. Ici, l’architecte a réalisé un travail important pour apporter un bon confort lumineux dans les logements tout en maitrisant la surface vitrée autour de 18% de la surface habitable.
Malgré des largeurs de bâti ne permettant pas de généraliser les logements traversants, les architectes ont su offrir un espace extérieur privatif à tous les logements (surface moyenne 9m², profondeur moyenne 1.4m) ainsi qu’un parc en pleine terre dégagé à l’Ouest grâce à la compacité de l’opération.
Dans un travail réalisé pour l’EpaMarne en collaboration avec Ecologie Urbaine et Citoyenne d’autres opérations ont été identifiées au niveau 2031 de la RE2020. Les approches sont globalement les mêmes et sont caractérisées par des bâtiments compacts, adaptés à leurs tissus urbains, avec une structure bois, une intégration importante de produits biosourcés dans le second œuvre et une recherche de sobriété de matière.
La construction doit être exemplaire
La crise actuelle dans la construction est due à de nombreux facteurs conjecturels et structurels. Nous pensons qu’il y a aujourd’hui une défiance des collectivités autour de la construction neuve liée à son impact environnemental (artificialisation des sols, consommations de ressources primaires, émissions de gaz à effet de serre, …). La meilleure réponse que peut faire notre secteur est d’être exemplaire !
Or sur le sujet du carbone l’exemplarité est aujourd’hui correctement ciblée avec la RE2020. Il faut atteindre le plus vite possible le niveau 2031 pour regagner la confiance, et montrer notre capacité collective à répondre aux enjeux actuels.
Evidemment et comme nous l’avons expliqué s’il n’est pas possible aujourd’hui de généraliser cette performance, il est important de s’y confronter pour développer les bonnes conditions techniques, urbaines, et économiques qui en faciliteront le déploiement le plus rapidement possible !
Par Rodrigue LECLECH, Responsable Pôle Construction IDF, associé Pouget Consultants
Source et lien
Réaction à Daniel Casse , oui en effet et c'est loin d'être une utopie. Nous avons la techno. mais le savoir faire passe par un ENORME chantier de mise à niveau des pro., dirigeants pour la prise de conscience des enjeux et salariés pour la réalisation (je force le trait de façon caricatural mais vu mon quotidien et ce que je vois sur les chantiers, je n'en suis pas trop loin). Pour étayer mon propos, voir le concept 22-26 de l'agence BEA, programme de 24 logements à Lyon à moins de 5kWh/m² pour environ 2000€/m². Ce n'est qu'un exemple urbain mais il y en a bien d'autres chez nos voisins. Moi je bosse sur des projets low-cost publics ossature bois, isolant paille avec de bons ratios prix /performance ... quand la filière pro. maitrise bien le sujet.
Pour rebondir sur le commentaire de "L'inconnue de l ": nous connaissons bien le positionnement partisan de la boite de Janco.. Si le bonhomme est un champion des punchlines en débat public, il sait aussi parfaitement être accommodant avec sa clientèle industrielle avec parfois des conclusions bien éloignées de ses prônes et même du Shift-Project.
Je vous suggère plutôt de prendre connaissance des scénarios Ademe et négawatt (si ce n'est pas fait) qui prennent le sujet énergétique plus globalement et pas uniquement par "le prisme de la lorgnette" pro.-élec.
Sur le fond, depuis que le sujet nucléaire est ravivé, on a quelque peu oublié que le kWh le moins cher est celui qui n'est pas dépensé et que le colossal effort prioritaire est d'abord à faire sur la rénovation de l'enveloppe. Ca passera obligatoirement par un encadrement strict des prix et des aides, rigoureusement et uniquement orientées vers la performance de l'enveloppe (Les vendeurs de matériels se sont suffisamment gavés d'aides généreuses, ils vont bien !).
Dès lors, dans un bâtiment parfaitement isolé( en chaud comme en froid), dans un avenir contraint en matière premières disponibles et en surface, une petite chaudière hybride solaire/gaz, chauffage et ECS (eau chaude sanitaire) sera la solution technologiquement la plus robuste, financièrement la moins onéreuse, et avec un encombrement maitrisé. Il faut bien garder dans l'esprit que la première des dépenses énergétiques d'un logement performant n'est plus le chauffage mais l'ECS .